La pièce de théâtre L’Européenne, de David Lescot : portrait vivant de l’Europe

, par Stéphanie Khoury Lattouf

La pièce de théâtre L'Européenne, de David Lescot : portrait vivant de l'Europe

Récemment produite au Théâtre national de Bordeaux Aquitaine (TNBA), L’Européenne de David Lescot est une pièce qui donne un point de vue original sur les questions européennes. Et si l’Europe se jouait sur scène avant tout ?

La construction européenne : une tour de Babel ?

Dans son Européenne, David Lescot tente de définir l’Europe. Comment se comprendre quand il faut en passer par plus de 500 interprètes pour que chaque langue soit traduite ? La mise en scène est construite autour de « l’incompréhension passive », concept élaboré à l’occasion de l’année 2008 annoncée année du dialogue interculturel.

Se moquant d’un peu tout, Lescot développe l’action dans les locaux d’une administration communautaire, où trois musiciens en mal d’orchestre en écho à un chef d’orchestre en mal de musiciens battent le rythme dans une ambiance obéissant à la logique du « mourant de l’avant », selon le mot de Beckett. « Maintenant, on fait quoi ? » demande au public une employée sous-déléguée, dépassée par les événements et résumant par la même les préoccupations de la plupart des europhiles.

Une cacophonie mélodieuse

À la fin de la pièce, le TNBA permettait ce soir-là de participer à une rencontre en bord de scène, moment privilégié de discussion entre l’équipe de la pièce et le public. Les acteurs font tomber les masques en redevenant les comédiens aux nationalités hétéroclites. Italiens, ils sont aussi Siciliens pour certains et soulignent l’importance du dialecte local : les médias émettent uniquement en sicilien. Cet excessif intérêt pour le patois régional tend à isoler les populations, bien que, sur scène, cet ajout linguistique contribue à la musicalité de l’ensemble des langues méridionales au « débit triple croche ».

Français, ils laissent principalement leurs instruments parler pour eux et s’expriment grâce à un répertoire riche de musiques européennes. Polonais, ils représentent aussi l’épopée européenne, à travers une vieille femme qui a beaucoup voyagé. Elle incarne la vieille Europe, celle qui n’a eu que le temps d’espérer à mieux, et git dans un lit d’hôpital, piteusement, à peine réveillée le temps d’une valse folle et étincelante. Peut-être tout n’est-il pas perdu, au fond ?

Mais faut-il nécessairement être optimiste ? Le metteur en scène n’a cherché ni à solliciter ni à étouffer l’espoir, il part simplement du constat que l’émiettement des combats, à l’heure actuelle, ne permet pas de s’y retrouver. Dès lors qu’un combat devient audible pour le grand nombre, il est déjà subdivisé en plusieurs sous-combats qu’il faudra à nouveau déchiffrer. C’est à devenir fou !

L’Europe, une épopée humaine

Le projet de David Lescot est parti de son étonnement : alors que l’Europe est omniprésente dans nos vies, on ignore quasiment tout d’elle. De cette Union inconnue et parfois inaccessible, symbolisée par les innombrables interprètes, Lescot fait une métaphore exquise en livrant une pièce de théâtre dont on ne peut posséder toutes les clés. Non seulement la pièce n’est pas intégralement traduite, mais aussi l’écriture envolée de certaines scènes peut perdre le spectateur. Faut-il s’arrêter à la frustration de ne pas tout saisir, alors ?

Certains spectateurs expriment ce manque négativement, perdant de vue qu’il y a toujours un détail qui échappe à la plus grande attention. L’Union européenne est à bâtir mais surtout à comprendre, pour les citoyens ordinaires. Au-delà des nationalités, David Lescot manifeste surtout un intérêt pour l’être humain. « Mon seul ennemi, dit-il, c’est l’identité… Je choisis l’histoire contre l’identité. » Peut-être la meilleure perspective à l’heure où les nationalismes menacent d’endormir la construction européenne.

Illustration : Scène de la pièce jouée au Théâtre National de Bordeaux Aquitaine (TNBA)

Crédit : P.Delacroix, tous droits réservés.

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