Le “Non” irlandais en posters

, par Marc Foglia

Le “Non” irlandais en posters

Le « Non » irlandais le démontre encore une fois : les électeurs sont peu sensibles aux arguments macro-économiques. Comment expliquer cette ingratitude ? Le motif de l’inquiétude liée à la perte du statu quo est très souvent évoqué. On le retrouve dans le vote négatif des agriculteurs français, pourtant largement bénéficiaires de la PAC, au référendum de 2005. Mais pour pouvoir s’imposer, plus encore que d’arguments, l’inquiétude a besoin d’images.

J’aborderai ici la question de la “visualité de la communication”, selon l’expression de Daniela Kneissl, historienne et spécialiste de l’identité visuelle de l’Union européenne. L’enjeu de cette identité visuelle se reflète avec une force toute particulière dans les posters de la campagne irlandaise. N’ayant pas eu l’occasion d’aller en Irlande pendant la campagne, je regrette énormément de n’avoir pu mesurer la fréquence des différents posters et leur degré de visibilité, afin d’appuyer l’analyse par des considérations empiriques.

Comme il faut s’y attendre pour un référendum, l’espace public irlandais a été structuré par le “Oui” et par le “Non”, à tel point que la question initiale, celle de la réforme des institutions européennes, a quasiment disparu. Par ailleurs, il apparaît que le « Oui » n’a pas su trouver d’imagerie efficace, faisant de l’identité visuelle positive de l’Union européenne un piètre candidat. On peut dire aujourd’hui, vendredi 13 juin, que le déficit visuel de l’Europe a été une fois de plus confirmé. Ou plutôt que le “Non” irlandais exprime aussi la faillite visuelle de l’Europe.

On sait depuis les Sophistes au moins que les images, au sens propre et au sens figuré, disposent d’une force de persuasion importante. L’imagerie du « Oui » propose une Europe aseptisée et vide de signification. C’est une image infantilisée, qui ferait danser en rond les États comme des enfants dans une ronde. Ou bien sur un slip…

… dans une posture narcissique, sûre de son pouvoir de séduction, et par conséquent peu attentive aux autres. L’imagerie du “Non” s’est engouffrée dans ce poncif : l’Union est autiste. Son symbole est le singe des Chinois, qui ne voit pas, qui n’entend pas et qui se tait, à l’origine un symbole de sagesse…

Face à l’image d’une Union Européenne lisse et superficielle, la réalité doit logiquement être différente, puisque la réalité est faite d’intérêts, de rapports de force et d’oppression du plus faible par le plus fort. Il est facile de jouer le rôle visuel de l’opprimé.

Les images iréniques un peu faciles de l’Union se transforment alors en violence cachée de l’ennemi contre l’autochtone.

Les images du « Non » ne se privent pas de faire apparaître la violence, les intérêts, les peurs les plus folles. Il semble par conséquent qu’elles renvoient à la réalité, même si c’est sous une forme mythologique, contraire à la réalité, mais irréfutable tant l’image se situe au-delà de toute argumentation possible…

Les partisans du “Non” s’appuient largement sur des images mythiques, populaires et même bibliques. Ce sont les forces de la tradition, de l’identité populaire et de la sagesse qui s’expriment face à une modernité incertaine, pleine de tromperies et d’illusions. Le paradoxe est que cette imagerie apparaît aussi… sur Internet, dans des affiches virtuelles satiriques fabriquées par des blogueurs.

La qualité graphique des images du “Non” est généralement moindre que celle des images du “Oui”. C’est aussi une stratégie : ces images paraissent plus authentiques, et plus proche des intérêts du petit peuple. C’est David contre Goliath - la métaphore a été utilisée, notamment par Gerry Adams, président du Sinn Féin et seul chef politique d’envergure à défendre le “Non”.

***

La valeur pédagogique des images a été sous-estimée par les pro-européens. Car l’image a le pouvoir, au moins autant que les arguments, de créer la réalité ou du moins de la façonner dans un sens ou dans l’autre. Les affiches politiques restent très présentes dans l’espace public européen, soulignait Daniela Kneissl à l’occasion du référendum de 2005. Par ailleurs, dit-elle, “ce sont les affiches qui recueillent le plus grand nombre de contacts visuels, parce qu’elles s’adressent à tous les publics - ce qui n’est le cas ni des journaux, ni de la télévision, ni d’Internet. Loin d’être isolées, comme mode d’expression visuel traditionnel, les affiches entrent en interaction avec les autres médias et sont largement répercutées dans la presse papier ou numérique.”

Les images du « Non » ont réussi à remplir un vraie fonction politique, celle de la focalisation de l’attention sur certains enjeux, de la désignation de l’ami (nous) et de l’ennemi (eux, là-bas) et de la justification d’une position sur la base d’affects, qui ont fait apparaître les idées correspondantes plus vraies. Les Irlandais ont cru que les Allemands leur imposeraient le droit à l’avortement, et que les Français les obligeraient au service militaire européen.

Avec des arguments simplistes et des images fortes, les nonistes, aidés par la presse de Rupert Murdoch, ont terrassé une Europe naïve, narcissique et sans imagination. Les images du « Non” ont tranché, découpé, décidé, rejetant les partisans du “Oui” dans le non-choix et la soumission à l’inévitable.

À l’avenir, que pourront des images visant à rassembler, auréolées de messages positifs, et s’abstenant pudiquement de prendre leur adversaire pour cible ? Ces images se privent de la violence inhérente à la réalité politique, et risquent d’offrir de nouvelles victoires de l’imagination aux adversaires d’une Europe au ventre mou.

Cet article a été publié à l’origine sur le blog du Groupe des Belles Feuilles sur la plateforme Blogactiv.eu. Nous remercions GBF de nous avoir autorisé à reproduire celui-ci.

Sur l’iconographie de l’Union européenne, voir Daniela Kneissl, chercheuse à l’Institut historique allemand de Paris :

 “Politische Plakate und Öffentlichkeit, das Beispiel des französischen Referendums über den europäischen Verfassungsvertrag”, in Frankreich Jahrbuch, 2006 : Politik und Kommunikation, S. 203–2162006 (analyse de la campagne pro- et anti-Traité constitutionnel, à partir des affiches de campagne, en allemand).

 “Auf dem Weg nach Europa. Die Bildsprache der Europäischen Union”, dans : Gerhard Paul (dir.), Bildatlas des 20. und beginnenden 21. Jahrhunderts, 2008.

Vos commentaires
  • Le 24 juin 2008 à 08:25, par Ronan En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    J’adore l’affiche militariste de « Cym.ie » qui fleure bon la ressucée de « Starship troopers » : si vous votez oui, l’UE va vous recruter de force et vous envoyer combattre les méchantes mygales géantes de l’espace. Brrr. ça fait froid dans le dos.

    Face à quoi le camp europhile n’a rien trouvé de mieux à faire que de nous montrer un bodybuildé de boys’ band sur le point de nous montrer sa grosse quéquette « made in Europa ». C’est sûr, ça donne envie de voter OUI. Pas vous ?! Pitoyable, isn’it ?!

  • Le 24 juin 2008 à 08:35, par Valéry En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    Il faudra un jour que les pro-Européens apprennent à mentir s’ils veulent convaincre.

  • Le 24 juin 2008 à 09:54, par arturh En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    A l’issue du scrutin, l’Eurobaromètre a montré que les irlandais sont massivement pro-européens. Cherchez l’erreur. Les enquêtes ont aussi montré que la raison du NON qui revient chez 95% ds votants, c’est qu’on ne dit pas OUI à un texte complètement illisible.

    Il faudra un jour que certain pro-européens partisans du tout bureaucratie se mettent un peu à réfléchir à ce qu’ils font, plutôt que s’émerveiller en permanence d’être si belle en ce miroir.

  • Le 24 juin 2008 à 10:13, par arturh En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    « Les Irlandais ont cru que les Allemands leur imposeraient le droit à l’avortement, et que les Français les obligeraient au service militaire européen. »

    C’est au mastère machin truc qu’on apprend à écrire des âneries pareille ? LES irlandais ont cru ? Alors que ce genre d’opinion ne concernait au maximum que 5% des votants ?

    Marc Foglia ne serait pas plutôt en mastère de généralisations approximatives et démagogiques à partir de catégories politiques, « les irlandais », « les français », « les peuples », qui lui permettent de nier l’existence des citoyens de l’Union Européennes ?

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Citoyennet%C3%A9_de_l’Union_europ%C3%A9enne

    Rappelons que si on a réussi à ne pas être formaté à la Pensée Unique au mastère machin truc de la bureaucratie européenne bienheureuse, et qu’on sait articuler un minimum de vocabulaire de la Démocratie, on sait qu’une majorité de citoyens irlandais de l’UE ont rejeté le Traité de Lisbonne comme le ferait, probablement pour les mêmes raisons, une majorité de citoyens des autres Etats membres de l’Union Européenne si on leur en donnait la possibilité. Raisons au premier rang desquelles figure, et de loin, que ce Traité a été écrit par des bureaucrates diplômés totalement irresponsables politiquement et qu’il est donc complètement illisible pour 98% des citoyens de l’UE dans l’exercice normal de leur activité de citoyen.

  • Le 24 juin 2008 à 11:28, par Ronan En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    Ou proposer des projets simples, clairs, lisibles et qui tiennent la route... (je sais pas, je cherches...).

  • Le 24 juin 2008 à 11:42, par Ronan En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    En même temps « pro-européens », ça ne veut pas dire grand chose (pro-construction européenne en général ou pro-globiboulga intergouvernemental actuel en particulier ?!).

    Par contre, "fédéraliste", "intergouvernementaliste" ou "souverainiste", voilà des mots qui portent sens. Quand est-ce qu’on va donc utiliser des mots qui veulent vraiment dire des trucs clairs ?!

  • Le 24 juin 2008 à 20:23, par valéry En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    « la raison du NON qui revient chez 95% ds votants, c’est qu’on ne dit pas OUI à un texte complètement illisible. »

    Il faut leur faire faire des études alors. Il me semble très clair ce traité.

  • Le 25 juin 2008 à 10:49, par Ronan En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    Dis Valéry, tu exagères un peu quand même ; déjà j’avais eu du mal avec le TCE (notamment avec la partie III), mais là c’est encore pire : ce « nouveau » texte est un labyrinthe de références aux traités antérieurs, Traités qu’il amende mais dont il faut donc bien maîtriser le contenu pour comprendre exactement de quoi il retourne et quels sont exactement les changements proposés et dans quelle perspective les interpréter (bref : pour comprendre s’il s’agit d’améliorations ou de dégradations...).

    D’ailleurs, que ce texte soit compliqué, ce sont les Irlandais eux-même qui l’ont dit : le jour du référendum, c’est quand même - tout de même - environ 47% d’entre eux qui se soient abstenus : soit qu’ils soient d’avance d’accord avec le résultat final du référendum, quel que soit ce résultat (?!), soit qu’ils ne jugent pas utile d’aller voter sur ce sujet et se désintéressent de ce sujet, soit qu’ils ne veulent pas prendre leur responsabilité de citoyen sur cette question, soit qu’ils n’y comprennent absolument rien...).

    Et - d’après les récentes enquêtes d’opinion - il s’avère également qu’un % non négligeable de ceux qui ont voté NON (en tout cas environ 40% des sondés) l’ont ainsi fait pour appliquer une espèce de « principe de précaution » à l’égard d’un texte qu’ils disent ne pas comprendre et où ils ont cru décéler je ne sais trop qu’elle entourloupe (eux-mêmes disant qu’ils ont cru comprendre qu’un tel texte ait été rédigé ainsi - à dessein - pour mieux faire passer les dîtes entourloupes...).

    Le fait que le PM irlandais Brian Cowen (et Charlie MacCreevy, le Commissaire européen venu d’Eire) aient eux-mêmes publiquement « avoué » ne pas avoir lu le texte, l’aient eux-même - « mezzo vocce » mais en public, et sur un ton rigolard - jugé compliqué et/ou aient laissé entendre ne pas eux-mêmes en comprendre un traître mot (un comble pour des gouvernants !) n’aura évidemment pas arrangé l’affaire.

    Bref, je trouve également que l’éditorial signé ce jour et à ce sujet par Laurent Bonsang dans ce même webzine est tout de même d’une sacrée mauvaise foi. D’ailleurs, normalement ce n’est à vrai dire pas vraiment un problème (et ce ne devrait - en tout cas - pas en être un) que de reconnaître que ce texte est compliqué voire l’est excessivement (en tout cas pour recueillir l’adhésion populaire) : en effet, ce traité - après tout - n’est pas le notre, c’est celui des Etats.

  • Le 25 juin 2008 à 10:55, par Fabien Cazenave En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    Je ne vois pas en quoi Laurent est de mauvaise foi : il dit clairement qu’un texte juridique, cela n’est pas facilement « lisible ». Il caricature peut-être mais sur le fond, il a aussi raison de rappeler cette évidence. La constitution de 58 est loin d’être d’une simplicité biblique comme dirait l’autre.

    Alors 259 pages, c’est trop, et trop compliqué. Mais on aura jamais un texte qui se lit tranquillement en 20 minutes à une terrasse de café...

  • Le 25 juin 2008 à 11:27, par Ronan En réponse à : Le “Non” irlandais en posters

    C’est de la mauvaise foi que de caricaturer ainsi les choses et de dire qu’un Traité ne peut pas être écrit en SMS. Tout de même on s’en doute bien !!! (et donc - puisque pas écrit en SMS - qu’il ne peut être que compliqué !). Franchement, de qui se moque-t-on ?!

    C’est une insulte à l’intelligence de nos concitoyens que de prétendre qu’ils décrocheraient systématiquement d’un texte dès que celui-ci serait écris au-delà du SMS. C’est également une insulte à l’esprit civique que de présenter à la réflexion des citoyens des textes juridiques alors qu’on sait fort bien que les 9/10e de nos concitoyens n’ont pas suivi de formation spécifique pour les décrypter.

    Quant à comparer la Constitution de 1958 au Traité de Lisbonne, et bien je vous invite à lire attentivement l’un et l’autre et à déterminer de vous même lequel de ces documents est le plus lisible. Franchement, y’a quand même pas photo : l’un des deux textes, un citoyen doté de son seul certificat d’étude peut aisément le comprendre dans ses grandes lignes essentielles, l’autre NON.

    Quand à écrire des textes européens simples allant à l’essentiel, d’autres s’y sont pourtant déjà essayé et avec succès. Comme le Conventionnel Badinter (voir lien électronique ci-dessous). Ce n’est donc pas là un défi complètement insurmontable. C’est seulement un problème de volonté politique...

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