Avenir de l’Europe

Le chemin inachevé vers l’unité européenne

, par Traduit par Sophie Gérardin, Lucio Levi

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Le chemin inachevé vers l'unité européenne

Cette année, nous fêtons le cinquantième anniversaire de l’établissement de la Communauté Européenne. Cet événement est l’occasion de réfléchir à la signification historique de l’unification européenne. La CE était à l’origine une union de six pays. Aujourd’hui, elle s’étend de la Laponie à la Méditerranée et de la Pologne aux Canaries et intègre vingt-sept pays. C’est une communauté de 487 millions d’habitants, au sein de laquelle vingt-trois langues officielles sont parlées et qui inclut quelque 100 anciennes minorités ethniques. Elle a une commission exécutive, un parlement, une chambre haute, une cour de justice, une banque centrale, une monnaie, une citoyenneté, un drapeau, un hymne, un passeport. Les frontières nationales ont été abolies.

Le processus d’unification s’est développé avec des hauts et des bas, caractéristiques d’une entreprise difficile, comme le triomphe de la souveraineté d’un nombre d’États croissant qui ont rejoint le noyau dur des États fondateurs.

Les étapes-clés de l’histoire de l’unification européenne

Il est nécessaire de rappeler deux dates qui sont des étapes-clés dans l’histoire de l’unification européenne. La première est le 10 juin 1979, lorsque le Parlement européen a été élu pour la première fois au suffrage universel. Cet évènement a représenté un saut important dans la construction de l’unité européenne, avec un Parlement européen devenant le premier parlement supranational de l’histoire. Cette innovation a changé l’histoire mondiale. La démocratie, qui se cantonne normalement aux frontières des États, est devenue internationale. Dans l’avenir, elle pourrait devenir mondiale avec la transformation de l’Assemblée générale des Nations Unies en parlement mondial.

La deuxième date est le 1er janvier 1999, lorsque la banque centrale européenne a été créée, ouvrant ainsi la voie à la circulation de l’euro en 2002. Ce fut un pas historique sur le chemin de la construction d’une souveraineté européenne. L’euro a été un grand succès. La part de celui-ci dans les réserves officielles mondiales tourne aux alentours de 25%. Depuis décembre 2006, la quantité de billets en euro en circulation dans le monde a dépassé celle du dollar. C’est une performance extraordinaire quand on sait que l’euro a été lancé il y a seulement cinq ans. En même temps, l’euro est le point de départ d’une transition vers un système monétaire international polycentrique et comme un marché mondial intégré ne peut fonctionner avec de nombreuses monnaies concurrentes, vers une monnaie internationale.

Quelle est la signification historique du grand dessein de l’unification européenne ?

La paix constitue indiscutablement le résultat le plus important de l’UE. Après des siècles de guerre, l’Europe n’a jamais vécu aussi longtemps en paix depuis la seconde Guerre Mondiale, période qui coïncide avec les prémisses du processus d’unification européenne. Qu’est-ce que la paix ? Ce n’est pas simplement l’absence de guerre. Kant appelait cette notion négative, la « trêve » et la plaçait dans la même catégorie que la guerre. Au contraire, la paix positive nécessite une organisation politique qui protège de la guerre, en confiant le pouvoir de régler les conflits entre États à une autorité fédérale agissant sur les bases de la loi. Selon la philosophie kantienne, la paix repose sur la loi et plus précisément, sur l’extension de la loi au domaine des relations internationales. « La guerre semble être aussi vieille que l’humanité, mais la paix est une invention moderne », a déclaré Henry Maine. La guerre a toujours été considérée comme un évènement normal dans la vie politique, le moyen de régler les conflits qui ne pouvaient l’être par la diplomatie.

L’Union européenne représente et c’est une nouveauté, la tentative la plus réussie depuis toujours de construire une nouvelle forme de gouvernance à l’échelle internationale, même si sa route a été lente et hésitante.

L’Union européenne est la région du monde la plus régulée. Ses institutions politiques imposent des restrictions dans les relations interétatiques et en cela, elle montre la manière dont les Nations Unies devraient évoluer : la gardienne de la loi internationale et l’artisane d’un processus de constitutionnalisation des relations internationales. Le processus d’intégration européenne affaiblit les gouvernements nationaux et les oblige à coopérer, afin de résoudre ensemble les problèmes qu’ils ne pourraient régler seul. Il crée une société civile européenne qui cohabite avec les sociétés civiles nationales et établit des institutions européennes qui représentent un mécanisme de décision réduisant progressivement les institutions nationales. Le processus a tellement progressé que la guerre entre États membres de l’UE est devenue inconcevable. L’actuel débat politique sur la Constitution européenne montre à quel point le processus d’unification en Europe a progressé. Autrement dit, lentement et imparfaitement, quelque chose comme une fédération européenne est en train de naître.

lentement et imparfaitement, quelque chose comme une fédération européenne est en train de naître.

C’est totalement irréalisable de prévoir une fusion entre les nations ; c’est-à-dire au milieu de formes d’organisation politique basée sur la centralisation du pouvoir et l’antagonisme international. L’UE représente un rejet de tel nationalisme qui ne connaît pas d’autre moyen de poursuivre l’unification que l’impérialisme. L’UE n’est pas et ne sera jamais un État au sens traditionnel du terme. Ce sera plutôt une fédération d’États. La Fédération européenne naissante doit promouvoir la tolérance envers l’autre et la solidarité entre nations. La vitalité de l’expérience de l’unification européenne provient de la tentative de concilier l’unité d’un côté avec la diversité des peuples du vieux continent de l’autre. Elle repose sur le principe que le résultat de toute tentative de suppression des différences serait pire que leur acceptation. L’expérience de la CE montre à l’évidence que l’époque des guerres mondiales est derrière nous. L’UE élargie qui englobe désormais la plupart des pays du centre et de l’Est de l’Europe, représente le triomphe de la Guerre Froide.

Malgré ce succès, les Européens restent indifférents à la célébration de la naissance de la CE. Comme l’a fait remarquer le pape Benoît XVI, dressant un bilan de l’année 2006 : « l’Europe semble fatiguée ou plutôt fuir l’histoire. » En bloquant la Constitution européenne, les Français et les Néerlandais ont soudain brouillé l’avenir.

Une unité incomplète

Le projet d’unification européenne est actuellement incomplet. L’UE a toujours une capacité d’agir limitée. Son budget ne représente que 1% du PIB européen. Le projet de force de réaction rapide, adopté en 1999, n’est toujours pas établi. De plus, élargir l’Union sans, au préalable, la renforcer menace la cohésion de ses institutions politiques tout en faisant surgir le danger sous-jacent d’une UE régressant au stade de marché libre.

Le demi siècle précédent vit la construction d’une Union européenne fondée essentiellement sur l’intégration économique, sous la protection des États-Unis. Dans l’avenir, l’UE n’existera que si elle est capable de devenir un acteur mondial. Le rôle croissant de l’euro et la mission au Liban peuvent être jugés comme des avancées positives dans la bonne direction.

Une autre faiblesse de l’UE réside dans le droit de veto qui continue d’être la règle dans des domaines aussi cruciaux que les politiques étrangère, de sécurité et fiscale et la révision constitutionnelle. C’est une chimère d’imaginer que vingt-sept États membres pourraient tous aller à la même vitesse. Une ratification unanime de la Constitution était illusoire. Il est vrai que dix-huit pays l’ont ratifiée. Mais, son rejet en France et aux Pays-Bas a signifié que – suivant les règles actuelles qui s’écartent du principe démocratique – la volonté d’une petite minorité peut finalement se prévaloir sur celle de la majorité.

Le seul moyen de sortir de cette impasse est de confier le pouvoir de décider aux citoyens européens, à travers un référendum européen sur la Constitution. Cette méthode obligera les gouvernements à reconnaître la souveraineté du peuple européen et à se soumettre à la règle de la majorité. Un référendum dans toute l’Europe marquera la naissance du peuple européen qui apparaîtra sur le devant de la vie politique comme le détenteur du pouvoir constituant.

Pour conclure, il semble que la destinée de l’Europe soit la définition de modèles mondiaux. Si l’UE arrive à parler d’une seule voix, sa représentation au Fond Monétaire International, à la Banque Mondiale et au Conseil de Sécurité sera unifiée. Elle deviendra ainsi le moteur de la réforme des Nations Unies.

Illustration : symbole de l’unité européenne sur le perron en face du Parlement européen de Strasbourg, ce jour-là sans les drapeaux européens. Source : Murray Fortescue sur Flickr.

Source : cet article a d’abord été publié dans l’édition de février 2007 de The Federalist Debate, magazine des fédéralistes en Europe et dans le monde.

Vos commentaires
  • Le 19 juin 2007 à 12:39, par krokodilo En réponse à : Le chemin inachevé vers l’unité européenne

    C’est bien de rappeler en intro l’extrême diversité linguistique l’Europe, et donc culturelle : l’Europe politique n’a pas d’âme et n’existe pas réellement à ce jour. J’adhère à votre vision d’une lutte necessaire contre les nationalismes, tout en conservant les identités culturelles nationales – et régionales, dont les langues locales sont le ciment.

    Si l’on ambitionne de faire autre chose qu’un marché commun doté de quelques organisations de coopération civile et militaire (c’est déjà une belle réalisation), il faut que les Européens puissent communiquer avec la Commission dans leur langue, mais aussi entre eux.

    Imagine-t-on un pays dont les habitants ne pourraient discuter entre eux ? Sinon on aboutit à une supranationalité dirigée par une élite massivement anglophone éloignée de la population. Le suffrage indirect ne me gêne pas, c’est une solution pratique si des contre-pouvoirs sont en place, mais des dirigeants ne suffisent pas, il faut un sentiment européen.

    Or, la réalité d’aujourd’hui, c’est une Europe marché commun totalement anglophone, nous en avons déjà discuté, maquillé d’une couche microscopique de plurilinguisme : quasiment tous les organismes et sites sont anglophones, 70% des documents, etc. la liste est longue, je ne détaille pas, malgré les efforts méritoires des sites comme le vôtre pour être plurilingue qui ne changent rien à la réalité. Un seul exemple, récent : j’ai entendu à la radio qu’au salon du Bourget, toute la documentation était en anglais. La Suisse et la Belgique peinent avec trois ou quatre langues nationales ; penser que nous pourrons le faire avec 25 ou 30 langues est de l’aveuglement. Je cite pour mémoire l’intercompréhension passive, une théorie colportée depuis 15 ans qui ne compte aucune expérience probante, aucune méthode pédagogique, rien, c’est tout simplement ce que font les gens qui essaient de se comprendre tant bien que mal. Ne reste que l’anglais ou une langue auxiliaire neutre et largement plus facile, donc démocratique car accessible au plus grand nombre, la seule ayant fait ses preuves étant l’espéranto qui est déjà une langue européenne : vocabulaire latin-grec-germanique et grammaire internationale (cad. collant aux bases), il serait stupide de passer à côté d’une telle opportunité de doter l’Europe d’une âme (car la langue est un puissant facteur identitaire) et d’une solution simple et efficace à la communication entre Européens. Les réticences à promouvoir une langue construite sont irrationnelles car justement le grand avantage est de ne pas passer quinze ans pour aboutir à un kitchen english, global english, broken english ou Dieu sait quel nom on va encore donner à « l’anglais international » quoi n’est qu’un mauvais anglais imprécis.

    Mais les principales raisons des réticences à discuter de cette possibilité pour l’UE sont ailleurs : nos élites ont pour la plupart déjà un bon niveau d’anglais, leurs enfants aussi, et envisager une autre solution ne les intéresse pas, car cela ne leur apportera rien personnellement sinon de devoir eux aussi apprendre une langue auxiliaire ! Une vision à long terme n’apporte rien à des politiciens, seuls les plus altruistes d’entre eux pensent au long terme, à l’intérêt de leurs concitoyens.

    Ils ont donc fait allégeance à l’anglais (voir les journaux, les télés, les radios, les politiques), solution inéquitable et élitiste. C’est à nous, les citoyens lambda qu’il appartiendra de faire savoir si nous adhérons à l’anglais lingua franca de l’UE ou si nous la refusons. Voulons-nous payer pour French 24, la télé en anglais ? Demandons le choix des langues dans les écoles primaires et secondaires (parmi celles disponibles, ou en inter établissements), et apprenons l’espéranto, la langue interculturelle !

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