Le droit international, une légitimité à degrés variables

, par Ferghane Azihari

Le droit international, une légitimité à degrés variables

La norme est la résultante de rapports de force. Cela vaut aussi pour les normes conventionnelles, les traités, qui forment un véritable corpus de règles que l’on nomme « droit international ».

En France, l’article 55 de la Constitution confère à ces normes une supériorité aux règles issues de « l’expression de la volonté générale », la Loi, selon les dires de Rousseau. Au sein de ce corpus de règles, le droit communautaire (ou droit de l’Union européenne) apparaît comme une branche privilégiée et cela pour plusieurs raisons. La première tient au fait que le droit communautaire a une place spéciale qui lui est dédié dans la Constitution (article 88-1). La seconde serait sa primauté sur toutes les normes internes, y compris constitutionnelles (Cour de justice de l’Union européenne, Costa c/ Enel, 1964) même si ces considérations sont juridiquement infirmées mais en pratique confortées par les instances nationales (Conseil d’État, Arcelor, 2007). Alors quelle est la légitimité de ces normes internationales qui pénètrent de plus en plus nos systèmes juridiques internes et qui tendent à diminuer la marge de manœuvre des pouvoirs constitués nationaux ?

La légitimité réside dans l’acceptation du Constituant

En effet, si aujourd’hui le pouvoir législatif est placé en situation d’infériorité par rapport à ce que John Locke appelait le « pouvoir fédératif », celui qui sert à conclure des conventions internationales, c’est uniquement parce que le pouvoir constituant souverain, celui qui élabore la Constitution l’a accepté. Or en France et dans les pays dits démocratiques, l’élaboration et l’amendement de la Constitution sont censés se faire selon des procédures également démocratiques.

Mais alors pourquoi le pouvoir souverain accepte de conférer la supériorité du droit international sur la Loi ? C’est parce que le Constituant a compris qu’il existe certains problèmes intéressant les Nations qui ne se règlent ni dans un Parlement ordinaire, ni dans un seul Ministère. Le droit international sert à résoudre des problèmes qui transcendent le seul cadre interne et sa primauté répond à la nécessité pratique de la bonne conduite des relations diplomatiques. Bien qu’il puisse servir à protéger et à rendre compte de la souveraineté des États, il met aussi en lumière l’impossibilité pour ceux-ci de vivre en autarcie, ce qui ne peut les conduire à être pleinement indépendants. Le droit international sert donc dans une certaine mesure à défendre des intérêts qui concernent une échelle supérieure à la société nationale.

Le problème quant à la légitimité tient à l’existence de plusieurs sortes de normes internationales

En effet, il n’y a pas un modèle unique d’élaboration du droit international car il en existe deux. Le droit international peut en effet être élaboré selon une dynamique intergouvernementale ou supranationale. L’intérêt de la distinction quant au problème posé tient à ce qu’un mode est plus légitime que l’autre. En effet on a précédemment énoncé que la norme est la résultante de rapports de force.

Lorsque la norme est élaborée selon une dynamique intergouvernementale, le droit sera donc la résultante de rapports de force essentiellement économique ou militaire.

Tandis que lorsque la norme est élaborée selon une dynamique supranationale, elle sera la résultante de rapports de force essentiellement juridique.

Il semble que la seconde définition corresponde beaucoup plus à la finalité du droit. On peut y voir l’application de la célèbre phrase d’Henri Lacordaire : « entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

Ainsi le droit international élaboré selon un processus intergouvernemental aura tendance à privilégier la somme des intérêts particuliers, un jeu à somme négative qui ne peut pas tendre vers l’intérêt général tant que le cadre de référence nécessaire à la validité du paradigme de la main invisible (l’existence de rapports de force égalitaires) n’existe pas.

Quant à l’autre processus d’élaboration, c’est parce qu’il est supranational que la norme est la résultante de rapports de force juridique : elle reflète davantage l’expression de la volonté générale conformément aux principes majoritaires inhérents à toute démocratie digne de ce nom.

Le cas mitigé de l’Union européenne

Alors que le projet européen vieillit, il semble qu’il n’acquiert pas plus de sagesse en ce que la gouvernance européenne a récemment reculé vers l’inter-gouvernementalisme au lieu de progresser vers le supranationalisme plus légitime car plus soucieux de l’intérêt général. Ceci se manifeste par une emprise croissante du Conseil européen dans la gestion des affaires européennes au détriment des institutions plus respectueuses de l’intérêt européen comme le Parlement.

Dès lors on ne peut se livrer à un exercice de démagogie hypocrite en dénonçant le manque de démocratie dans l’Union européenne tout en assurant la mainmise du Conseil européen sur les affaires publiques. De même on ne peut déplorer l’émergence des sentiments germanophobes tout en entretenant le même système intergouvernemental.

Enfin on ne peut déplorer l’échec imparable que nous sommes amenés à subir aux élections européennes face aux extrémistes et à l’abstention tout en refusant de faire dépérir le rôle du Conseil européen et d’institutionnaliser son pouvoir au profit d’instances supranationales qu’il nous faut impérieusement et urgemment démocratiser. Les institutions intergouvernementales, prises seules, ne sont pas terribles. Ce qui importe c’est qu’elles fonctionnent selon un mode supranational et qu’elles ne puissent décider seules sans la participation maximale du Parlement.

Concrètement, dans l’Union, cela devrait amener à transférer les compétences du Conseil européen au Conseil et élargir le nombre de domaine où l’on décide à la majorité qualifiée et avec le Parlement conformément à la procédure législative ordinaire. C’est en ce sens que le droit européen sera davantage la résultante de rapports de force juridique qu’économique (et plus légitime) conformément au concept d’État de droit, valeur à laquelle tous les États européens sont supposés être attachés depuis le traité de Londres de 1949.

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