Quel que soit le résultat du référendum, l’Union européenne continuera d’exister. Son impressionnante administration s’animera encore dans les palais de verre et de métal de Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg tandis que les vrombissements de ses fonctionnaires, politiques et diplomates passeront toujours inaperçus auprès de l’opinion publique. Si les aménagements introduits par le traité sont nécessaires, c’est (on le saura) car les institutions héritées des traités de Maastricht, Amsterdam et Nice se révèlent inadaptées à un fonctionnement à 27 États. En aucun cas cependant ce texte ne permettra en lui-même une plus grande implication des citoyens dans les politiques européennes si les comportements des acteurs institutionnels et politiques ne changent pas.
La consolidation du déficit démocratique
Le traité de Lisbonne est avant tout un texte de rationalisation des institutions et des mécanismes de prise de décision au sein de l’Union européenne. La plupart de ses dispositions consistent en réalité en une consolidation de pratiques déjà engagées qui nécessitent une reconnaissance formelle. Cette reconnaissance requiert la révision des textes constitutionnels de chaque État membre et doit dès lors être accordée par le peuple ou ses représentants. Mais tant les parlements nationaux que les populations consultées par référendum ne servent alors en réalité que de caution morale aux négociations diplomatiques ayant abouti à un texte bancal, nécessairement de compromis.
On arguera que la participation des Européens à l’exercice du pouvoir se fait dans le cadre des élections européennes et que ce n’est pas le propos de ce référendum. Il est vrai également que le traité de Lisbonne introduit une disposition selon laquelle le président de la Commission devra être désigné parmi la majorité au Parlement européen, ce qui devrait encourager les partis politiques européens à s’organiser en vue de ces échéances. Toutefois la campagne électorale de juin dernier montre bien que le décalage existant entre les partis politiques, les institutions européennes et les citoyens ne risque pas d’être modifié par quelques nouvelles lignes de texte. Rien n’empêchait les partis politiques de préparer des programmes communs et de désigner leur candidat.
La reconduction sans heurts d’un président de la Commission complaisant envers le pouvoirs des États montre bien où se situe l’équilibre des forces. Aujourd’hui la démocratie au sein de l’Union européenne se ressent davantage dans le Conseil européen composé des chefs d’États et de gouvernement que dans la Commission censée représenter l’Union dans son ensemble. Cela est dû à la légitimité populaire dont disposent les chefs de l’exécutif des États membres, accentuée par la personnalisation croissante du pouvoir, qui contraste avec celle d’un Parlement européen invisible et incompréhensible.
Qu’importe le suffrage universel lorsque l’on ne sait pas pourquoi ou pour qui on vote, et de quelle manière cela influera notre quotidien ? L’institution est là mais n’est pas incarnée. L’effort de personnalisation et de rationalisation de l’Union qui prévalait dans le traité constitutionnel a disparu dans le traité de Lisbonne. On aurait tort de penser que l’Union telle que portée par ce dernier est un cadre vide, un niveau de pouvoir en construction à la disposition des citoyens. Il s’agit plutôt d’un outil de travail pour dirigeants européens devant oeuvrer en collaboration étroite pour peser dans un monde globalisé. Le 2 octobre les Irlandais se prononceront non seulement sur le texte du traité mais également sur cette manière de diriger l’Europe.
Le changement de nature du dialogue entre dirigeants et citoyens européens
Comment s’étonner alors des difficultés à faire ratifier aux citoyens européens un texte qui semble leur retirer un pouvoir de contrôle au lieu de leur en accorder ? Et si on comprenait enfin qu’ils ne veulent pas d’un fonctionnement qui les exclut ? Le fait qu’ils ne comprennent pas les mécanismes de décision est précisément une raison pour eux de les rejeter. La seule pédagogie n’est pas une bonne solution, et le débat public européen à travers les campagnes référendaires successives a positionné l’idée européenne comme un objet politique et non un cadre. On est contre ou pour l’Europe, on vante ses mérites ou on en critique les méfaits. Les citoyens ont dès lors l’impression de davantage peser sur ce que fait l’Europe lors de la ratification des traités que lors des élections au Parlement européen. Et ils n’ont pas tort.
Pour qu’une Europe politique démocratique puisse voir le jour, les citoyens ne doivent pas simplement ratifier les décisions diplomatiques de leurs dirigeants. Ils doivent pouvoir choisir et contrôler directement les politiques européennes et se sentir représentés par des hommes et des femmes qu’ils peuvent identifier et sanctionner. L’« autre Europe » doit être une possibilité visible pour les électeurs dans le choix de leur bulletin de vote. Cet enjeu pèse sur les dirigeants et responsables européens observateurs, et non pas tellement sur les Irlandais eux-mêmes. Il est temps de s’interroger sur ce que veulent vraiment les Européens et surtout leur donner les moyens d’exprimer cette diversité censée nous unir. N’espérons pas simplement d’eux qu’ils approuvent un beau texte, un beau projet construit de toutes pièces que nous aimerions qu’ils valident sans trop rechigner, pour laisser ensuite des responsables européens décider sans eux de leur destin.
La technique des traités est arrivée à ses limites. Alors qu’on demande à un peuple rebelle de consentir à ce qu’il a déjà refusé, il convient de rappeler les mots qu’écrivait Benjamin Constant à l’heure où une Europe impériale voulue par un seul homme se morcelait : « Malheur donc à ceux qui, se croyant invincibles, jettent le gant à l’espèce humaine, et prétendent opérer par elle (car ils n’ont pas d’autre instrument), des bouleversements qu’elle désapprouve, et des miracles qu’elle ne veut pas ».
1. Le 30 septembre 2009 à 20:39, par Nicolas_Suede En réponse à : Le faux enjeu du traité de Lisbonne
Toujours la faute à l’Europe et à ses institutions ! A quand un article sur les citoyens européens ? Ceux-là ont aussi le « droit » de faire leur travail de citoyen : consulter les listes des candidats au PE avant les élections, les contacter (ils ont généralement un site ou un blog), aller sur le site Web du PE et consulter les fiches de leurs députés, avec le descriptif de leur travaux (rapports, déclarations etc), faire passer leurs opinions sur des sites ou blogs consultés par les élus et membres de la Commission (notamment celui-ci, ou encore l’excellent Coulisses de Bruxelles), etc. Combien d’électeurs de la région Ouest ont écrit à Christophe Béchu pour lui demander s’il comptait abandonner son siège au Conseil Général du Maine-et-Loire ? On pourrait multiplier les exemples, je crois.
Autre point important : pour que l’Europe fonctionne vraiment, il faut que ces mêmes citoyens se rencontrent et se parlent. Sur ce point, l’Union, avec ses programmes d’échanges scolaires et étudiants, avec EURES pour la mobilité des travailleurs, peut difficilement faire plus. C’est aussi aux citoyens de prendre ce genre d’initiative. Et les relais pour cela ne manquent pas (municipalités, régions etc). Mais cela semble tenir du voeu pieu.
2. Le 30 septembre 2009 à 21:36, par Martina Latina En réponse à : Le faux enjeu du traité de Lisbonne
Que proposez-vous pour être des « taureaux » moins « honteux », pour que l’Europe devienne enfin démocratique, fière - bref, digne du nom qu’Europe lui donna, voilà plusieurs millénaires, en souvenir de l’Orient moteur, du Taureau vecteur et des liens créateurs, en signe toujours vivant d’ouverture et d’aventure ?
3. Le 1er octobre 2009 à 08:18, par Fabien Cazenave En réponse à : Le faux enjeu du traité de Lisbonne
Euh non, pas toujours la faute à l’Europe et à ses institutions... vous avez plein d’articles sur les citoyens. Vous avez aussi des articles qui critiquent la classe politique et d’autres qui lui donnent la parole. Parce que tout ça est toujours complexe. Un peu comme cet article non ?
4. Le 1er octobre 2009 à 10:00, par Maël Donoso En réponse à : Le faux enjeu du traité de Lisbonne
Pour un résumé des propositions des Jeunes Européens France, voir à cette adresse : Synthèse des positions politiques des Jeunes Européens France.
5. Le 2 octobre 2009 à 06:34, par Martina Latina En réponse à : Le faux enjeu du traité de Lisbonne
En ce jour de consultation irlandaise, merci pour le lien que vous nous indiquez ! Car, même si l’Assemblée constituante demandée en page 3 semble encore être dans les limbes, cette synthèse relance les chances de... liens européens dans la jeunesse, donc l’avenir de l’Europe : aux pages 6-9, pour instaurer une prise de conscience en matière de « coopérations renforcées » comme de « compétences partagées » ; aux pages 13-21, pour harmoniser dans le domaine des connaissances ou de l’information l’ouverture et la mobilité scolaires autant qu’universitaires ; aux pages 22-26, pour organiser une gestion commune des questions budgétaires ou énergétiques, enfin pour mettre sur pied une politique aussi juste que dynamique en direction des migrants et en vue d’une défense européenne.
J’ajouterais bien entendu que la feuille de route et la tentative de « faire aimer l’Europe » que vient de publier le TAURILLON relayant (heureusement) les positions des JE - France pourraient trouver une alliée non négligeable dans... EUROPE elle-même : n’est-elle pas cette jeune Orientale qui, selon le mythe grec, devint elle-même en assumant l’arrachement et le mouvement qui lui furent imposés, en transformant son enlèvement par un divin TAURILLON en un apport fondateur, celui de la technique phénicienne décisive pour la communication nautique ET alphabétique, donc en fécondant la Crète, cette première terre proprement européenne, par les premières graines de la démocratie ? Le moment n’est-il pas venu de suivre cet essor pour lui donner forme, donc de réaliser la démocratie en EUROPE grâce à une répartition opérationnelle de ses instances sur trois sièges complémentaires (juridique à Luxembourg, législatif à Strasbourg, exécutif à Bruxelles) ?
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