Le Taurillon : Le marché unique fête cette année ses 20 ans, quel bilan économique et social la Commission fait-elle aujourd’hui ? Quels ont été les avantages économiques concrets ?
Anne Houtman : D’abord il faut rappeler que le projet de marché unique est né dans des circonstances similaires à celles d’aujourd’hui : « l’objectif 1992 » a été fixé en 1985 dans le but de relancer la croissance après une période de crise économique. Il s’agissait d’approfondir l’intégration européenne en créant un espace ou les personnes, les biens, les services et les capitaux pouvaient circuler librement. Aujourd’hui, avec 500 millions de consommateurs, c’est un marché plus vaste que celui des Etats-Unis. Il compte plus de 20 millions d’entreprises dont les échanges représentent en valeur près de 3.000 milliards d’euros à l’intérieur de l’Union européenne et 1.500 milliards avec le reste du monde, ce qui en fait la première puissance commerciale. La Commission européenne évalue à environ 2,13 points de PIB et 2,77 millions d’emplois supplémentaires, les gains obtenus grâce au marché unique entre 1992 et 2008, juste avant la crise actuelle.
Concrètement, les consommateurs ont vu l’éventail de biens et services offerts s’élargir avec la possibilité de choisir des produits moins chers et de meilleure qualité, tout en bénéficiant de règles communes et fortes qui les protègent en matière de sécurité des produits (aliments, jouets etc...) ou de pratiques commerciales (publicité trompeuse, droit à l’information, voies de recours etc...). Ainsi par exemple, le prix des appels téléphoniques en itinérance (roaming) est passé de 43 centimes en 2009 à 35 centimes en 2011 et environ 75% des substances actives entrant dans la composition des pesticides ont été retirées du marché grâce à des règles européennes.
Chaque année, 1,25 milliards d’Européens se déplacent dans un autre Etat membre. Les touristes bénéficient de meilleurs droits dans les transports, en particulier ceux qui souffrent de handicap. Les travailleurs trouvent un choix plus vaste d’emplois et leurs qualifications professionnelles doivent être reconnues. Les étudiants aussi peuvent profiter de cette mobilité et voir leurs diplômes reconnus dans les autres Etats membres. Ce ne sont que des exemples.
Le Taurillon : Le marché unique ne semble cependant pas pleinement réalisé et en temps de crise l’économie européenne devrait pouvoir s’appuyer sur ces avantages. Quelles sont les propositions de la Commission pour améliorer le marché unique ?
Anne Houtman : On peut être déçu des obstacles qui subsistent encore dans le marché unique 20 ans après sa création mais la bonne nouvelle dans cette période difficile est que les améliorations qu’on peut lui apporter offrent encore un très bon potentiel de croissance. C’est pour cela que la Commission a présenté en avril 2011 et ensuite en octobre 2012 deux « Actes pour le marché unique » qui proposent chacun 12 nouvelles actions clés qui constituent autant de « leviers de croissance et d’emplois ». L’objectif est d’encourager une croissance durable, fondée sur l’innovation et les technologies numériques et constituant un vecteur de cohésion sociale et d’emploi. Au total, 24 chantiers dont certains sont déjà bien avancés.
Parmi ces chantiers, certains auront un écho tout particulier en France : faciliter l’accès au financement des PME, notamment en matière de capital-risque ; améliorer la mobilité professionnelle, par une meilleure reconnaissance des qualifications et par la portabilité des pensions ; clarifier les règles pour les travailleurs détachés ; réviser la législation en matière de marchés publics, notamment vis-à-vis des pays tiers ; enfin encourager l’entrepreunariat social.
La Commission a aussi mis en œuvre une approche plus pragmatique du fonctionnement quotidien du marché unique en travaillant sur toutes les étapes du cycle de gouvernance. Il s’agit d’améliorer par exemple le système de points de contact uniques pour les entreprises, le système d’information du marché intérieur entre les 7.000 autorités nationales, régionales ou locales, ou encore de renforcer les centres du réseau SOLVIT qui aide les citoyens et entreprises confrontés à une mauvaise application du droit européen par les autorités publiques.
Le Taurillon : Le 6 novembre vous organisez une conférence-débat sur l’économie numérique. Neelie Kroes, Commissaire à la Stratégie Numérique, avait détaillé il y a un an dans nos colonnes ses propositions en faveur de « l’open data ». Selon la Commission, quels sont les leviers de croissance que revêt l’économie numérique ?
Anne Houtman : Aujourd’hui, l’économie numérique représente déjà un levier de croissance important. Dans les années à venir, ce rôle ne fera que s’accroître : l’économie numérique est amenée à devenir un pilier de notre développement futur. Cette économie est multiforme : elle couvre aussi bien le commerce électronique que l’utilisation des nouvelles technologies pour améliorer nos modes de vie (transport et consommation énergétique plus efficaces).
Le commerce électronique, surtout à l’échelon transfrontalier, peut profiter aussi bien aux consommateurs qu’aux entreprises. Pour plus de 2/3 des produits, les prix en ligne sont inférieurs à ceux pratiqués en magasin et s’accompagnent d’une gamme de choix plus importante. C’est un marché qui offre un potentiel de croissance significatif pour les entreprises.
Or l’UE est confrontée à un problème de fragmentation des marchés et de confiance des consommateurs. Alors 43% des Européens ont acheté des produits et des services en ligne dans leur pays, seuls 9,6% l’ont fait à des vendeurs établis dans d’autres pays de l’UE, qui pourraient pourtant leur proposer des prix plus attrayants.
Une partie de la solution passe donc par le développement d’outils plus sûrs, tels que les signatures électroniques et les moyens de paiements en ligne. De tels outils contribueraient à asseoir la confiance des consommateurs et à exploiter pleinement les possibilités de ce secteur.
Le Taurillon : Une des propositions de la Commission consiste à améliorer la mobilité des citoyens et des entreprises. Quelles sont les propositions concrètes ?
Anne Houtman : Tout Européen qui souhaite travailler à l’étranger devrait avoir les moyens de le faire. Une amélioration de la mobilité offrira davantage d’opportunités aux demandeurs d’emploi et permettra une meilleure circulation des compétences et qualifications sur le marché unique. Actuellement, de nombreux postes qualifiés ne sont pas pourvus et ce, malgré des taux de chômage élevés dans certains pays.
Il est donc essentiel de moderniser la législation relative à la reconnaissance ces qualifications professionnelles. En parallèle, nous souhaitons créer un passeport européen de compétences, développer le concept de formation "en dehors de l’école" et réfléchir ensemble à la question de la portabilité des pensions, car les questions de pension constituent souvent un frein à la mobilité de personnes qualifiées. Enfin, les Européens doivent disposer d’un outil puissant et efficace pour effectuer leurs recherches de postes en Europe : nous souhaitons donc réviser le portail EURES pour qu’il devienne un moteur de recherche de référence.
Le Taurillon : Quel rôle joue la Représentation de la Commission en France dans la mise en œuvre de ces propositions ?
Anne Houtman : En tant qu’antenne "de proximité" de la Commission européenne en France, la Représentation a d’abord un rôle de sensibilisation et de pédagogie à l’égard de la population française. Il nous revient d’expliquer aux citoyens, aux autorités publiques et aux médias, la nature de nos propositions, le processus de négociation avec ses grandes échéances, et, une fois les propositions adoptées, les modalités de mise en œuvre.
Par ailleurs, n’oublions pas que tout changement législatif s’inscrit dans le long terme : notre rôle consiste donc également à expliquer et illustrer les résultats obtenus par le biais de ces propositions.
Ce rôle pédagogique est essentiel car si les citoyens et les autorités ne comprennent pas pourquoi nous agissons, ils ne donneront pas leur aval à nos propositions. Nous représentons donc un rouage certes limité en termes de taille, mais essentiel au regard de la démocratie européenne.
1. Le 12 janvier 2013 à 14:13, par Gilles Raveaud En réponse à : Le marché unique a permis la création de près de 3 millions d’emplois
« La Commission européenne évalue à environ 2,13 points de PIB et 2,77 millions d’emplois supplémentaires, les gains obtenus grâce au marché unique entre 1992 et 2008, juste avant la crise actuelle. »
Pourriez-vous nous donner la référence de cette étude ? (Il aurait été judicieux d’insérer un lien...)
En vous remerciant.
2. Le 12 janvier 2013 à 15:29, par Jonathan Leveugle En réponse à : Le marché unique a permis la création de près de 3 millions d’emplois
Bonjour,
J’ai mis un lien vers la Communication de la Commission mais si le sujet vous intéresse, je vous invite à lire ce 4 pages du Cepii qui rappelle les différentes études menées sur le sujet ainsi que leurs méthodes de travail.
Bien à vous
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