Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

, par Pascal Malosse

Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

Les allemands sont-ils en train de se replier sur eux-même ? La réaction « nationaliste » de l’opinion publique est suivie par quasiment tous les partis politiques. Les verts, « die Linke », le SPD, la CDU-CSU et surtout le FDP, personne n’ose dire qu’il faut aider immédiatement la Grèce. Selon les responsables de tous ces partis, l’important serait d’en discuter au Parlement, de demander aux grecs des mesures de rigueur supplémentaires et d’inclure les banques privées dans le plan de sauvetage. Tant de conditions qui sont avant tout des signaux censés rassurer le peuple allemand dans le contexte des prochaines élections en Nordrhein-Westfalen.

Cette réaction est tout à fait compréhensible. Premièrement, les années de rigueur sous le gouvernement Shroeder avec la stagnation des salaires afin de rester compétitifs à l’exportation sont loin d’être oubliées. Deuxièmement, au-delà du refus de payer pour les paresseux grecs, il y a une peur profonde et un manque de confiance en la capacité des pays du sud, même à coups de milliards, de s’en sortir. Les allemands n’aiment naturellement pas s’engager sur une voie dont on ne sait où elle menera exactement. Le débat d’une éventuelle sortie de la zone euro, mécanisme proposé par Angela Merkel, n’est qu’une expression parmi tant d’autres de cette peur. Si on commence à sauver les pays du sud, jusqu’où ira t-on ? Peut-on s’assurer qu’on ne le fera qu’une seule fois ? Et ensuite, faudrat-il payer pour le Portugal et l’Espagne... ?

Contrairement à ce qu’affirment certains journaux, les allemands ne sont pas devenus des nationalistes anti-européens en quelques mois. Ces craintes qui s’expriment sont légitimes. Le repli sur soi est comme une injection de morphine, la solution la plus rapide, celle qui rassure le peuple sans pour autant soigner l’origine du mal. De nombreux élus y sont sensibles.

Se replier sur son modèle n’a pourtant aucun sens aujourd’hui. L’Allemagne a désespérément besoin de pays de « paresseux » vers lesquels elle peut exporter ses marchandises. L’essentiel de son commerce extérieur se concentre d’ailleurs dans la zone euro.

La responsabilité de ceux qui ont voulu l’Euro

Mais ce n’est pas qu’une question de solidarité. Ni même une question d’intérêt pour tous. Il s’agit avant tout de la responsabilité de ceux qui ont voulu et mis en place la zone euro. En 1999, ce furent de belles pièces de monnaies et des billets colorés qui sont arrivés dans les mains de millions d’européens, mais également une étape supplémentaire vers un ensemble politique et économique européen.

Construire la moitié d’un pont ne sert à rien. Les Etats européens - au premier rang desquels, L’Allemagne ayant imposé la plupart des caractéristiques de l’Union monétaire et ayant fermé les yeux sur les comptes de la Grèce quand elle a accédé à la zone euro en 2001 - ont une responsabilité très lourde. La zone euro et dans sa continuation, l’Union Européenne ne peut survivre sans une politique économique commune, sans transferts publics des zones les plus riches vers les zones les plus pauvres, bref sans plus de fédéralisme.

Demander à un peuple d’allonger son temps du travail, de supprimer les postes de fonctionnaires, de repousser l’âge de la retraite, de vendre quelques îles, l’envoyer mendier au FMI et laisser les taux d’intérêt atteindre 13% ne peut être l’unique solution. Je m’étonne d’ailleurs pourquoi personne ne parle d’abord des dépenses militaires délirantes de ce pays, censées prévenir une attaque turque.

En tout cas le choix pour les Etats européens commence à se définir très précisément : Affronter la tempête ensemble ou le chacun pour soi - Jeder für sich. Mais le temps qui, sur les marchés financiers s’écoule plus vite qu’ailleurs, risque de décider à notre place.

Illustration : Angela Merkel (à droite) et José Manuel Barroso, à Berlin le 9 juin 2009, en préparation du Conseil européen des 18 et 19 juin.

(Source : Service audiovisuel de la Commission européenne

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Vos commentaires
  • Le 3 mai 2010 à 10:53, par Aymeric En réponse à : Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

    « La zone euro et dans sa continuation, l’Union Européenne ne peut survivre sans une politique économique commune, sans transferts publics des zones les plus riches vers les zones les plus pauvres, bref sans plus de fédéralisme »

    Tout est dit...

    Quant aux dépenses militaires, il « suffit » de les faire passer au niveau européennes, elle aussi. Ainsi, la Grèce n’aurait rien à craindre, seule dans son coin. En cas d’attaque d’un membre de l’UE, l’UE serait attaqué, et donc l’UE répliquerait. Ce serait bien plus efficace, bien plus dissuasif. Sans parler des économies d’échelles énormes que ça impliquerait.

  • Le 3 mai 2010 à 20:32, par Frank Stadelmaier En réponse à : Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

    ...et pourtant le gouvernement allemand a lancé aujourd’hui la loi pour les crédits grecs. La SPD a signalé déjà il y a quelques jours qu’elle soutiendrait ces crédits.

    Donc, bien que je soutienne l’analyse en ce qui concerne le rôle des élections en Nordrhein-Westfalen, et surtout quant au fédéralisme européen nécessaire, le « Allemagne-bashing » en France ces derniers jours me semble mal ancré dans la réalité, et on se demande quel sentiment plus profond envers l’Allemagne se cache ici, un sentiment auquel on donne libre cours dans les discours politiques et dans les médias, ce qui me semble nouveau.

  • Le 3 mai 2010 à 22:51, par Pascal Malosse En réponse à : Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

    Je tiens à répondre que je ne souhaite en aucun cas faire de « l’Allemagne-bashing ».

    Ganz im Gegenteil, sind meiner Meinung nach die Deutschen echten Europäer. Ich mache mir nur Sorge wegen der anti-griechischen Stimmung in vielen Medien (Bild...).

    Je répète ce que je disais dans l’article : « Contrairement à ce qu’affirment certains journaux, les allemands ne sont pas devenus des nationalistes anti-européens en quelques mois. »

    Ce que j’espère, ce sont des solutions européennes qui vont bien au-delà du sauvetage de 110 milliards et des mesures de d’austérité imposées aux grecs. Et le soutien - voire l’initiative - des allemands est urgent. Le problème de la survie de l’Union vient à peine d’être posé.

  • Le 5 mai 2010 à 13:42, par Larami En réponse à : Le point de vue allemand : chacun pour soi ?

    L’Allemagne a travaillé dur pour financer sa réunification, tandis que la Grèce n’a strictement rien fait, entretenant au contraire un régime patrimonial, avec une économie inexistante et incréée. La réaction allemande est tout à fait compréhensible, il est normal que la Grèce apprenne à se prendre en main. Si la France ne veut pas subir le même sort que la Grèce, elle doit elle aussi faire attention !

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