Le problème linguistique de la Belgique

, par Gilles Johnson

Le problème linguistique de la Belgique
Auteur : philippe grangeaud / solfé communications http://www.flickr.com/photos/partisocialiste/306689747/

Alors que dans le plat pays, les négociations en vue de former un gouvernement – après celles sur la réforme de l’Etat – se poursuivent, Bart de Wever, le chef de file de la Nieuwe Vlaams Alliantie, s’en prend une nouvelle fois au formateur royal, le leader socialiste francophone Elio di Rupo, en s’interrogeant sur son niveau de néerlandais au point de comparer le futur Premier ministre de Belgique à sa femme de ménage. Mais derrière la boutade se cache un autre aspect des relations tumultueuses entre Wallons et Flamands, le rapport à la langue de l’autre surtout chez les premiers. Alors Spreekt u Nederlands, herr Di Rupo ? Analyse.

Dans un récent entretien à Huma, un magazine néerlandophone, le leader de la Nieuwe Vlaams Alliantie, le parti indépendantiste flamand, vainqueur des dernières législatives belges, s’en est pris, outre aux libéraux et sociaux-chrétiens flamands, au formateur royal, le socialiste francophone Elio di Rupo déclarant non sans rire que sa femme de ménage, originaire du Nigéria, savait mieux parler le néerlandais que lui. Une petite phrase qu’a sans doute du apprécier l’intéressé qui a préféré ne pas réagir.

Des Flamands particulièrement pointilleux

Il faut dire que les Flamands sont tout particulièrement pointilleux quant à l’usage et à la place du néerlandais chez les Francophones et notamment les responsables politiques. Déjà en 2006, le ministre-président de la région flamande – un certain… Yves Leterme – avait fait sensation en déclarant au journaliste français Jean Quatremer que les Belges francophones étaient intellectuellement incapables d’apprendre la langue de Vondel, des propos qui avaient suscité une vive émotion et une forte polémique, contraignant le futur Premier ministre à mettre de l’eau dans son vin, histoire de mieux calmer les esprits. Puis, récemment – c’est-à-dire en juin dernier –, ce sont les propos de Vic Van Aelst, avocat et membre de la N-VA qui avaient créés la polémique en pleine crise politique, ce dernier considérant que Laurette Onkelinx, ministre francophone de la Santé et des affaires sociales, violait le néerlandais à force de ne pas le parler correctement. Une remarque qui valait également pour Elio di Rupo.

L’handicap de Di Rupo

Aussi, la dernière sortie de Bart de Wever ne devrait pas surprendre, celle-ci ayant pour but de déstabiliser un probable chef du gouvernement qui a toujours exprimé d’importantes lacunes en néerlandais et qui ne s’en cache même plus. Des lacunes qui s’expliquent par un important handicap auditif – Elio di Rupo n’entend pas les sons aigus – que le leader des socialistes francophones tente de gommer malgré tout en suivant vaille que vaille des cours de langue et s’exprimant de plus en plus dans la première langue du pays (en terme de locuteurs) comme récemment à la VRT, la télévision publique flamande.

Toutefois, la petite phrase du chef de file des indépendantistes flamands, bien que sacrément maladroite et pouvant être considérée comme un excès de zèle, soulève bel et bien un problème de fond : le rapport des Wallons et des Bruxellois au néerlandais, un rapport quelque compliqué. Et s’il est faux de considérer que les Francophones (du moins leurs responsables politiques) se désintéressent du néerlandais, il n’en demeure pas moins que la petite phrase d’Yves Leterme prononcée en 2006 ne manque pas de pertinence, surtout sur le plan du symbole.

Car le Premier ministre, selon la constitution belge, est neutre, c’est-à-dire qu’il représente l’Etat fédéral et non les entités fédérées, un détail qui compte car son « origine linguistique » n’est pas pris en compte dans la composition du gouvernement, un gouvernement qui veille à la parité entre francophones et néerlandophones. De ce fait, plus que les autres membres de l’exécutif, il se doit d’être capable de parler les deux langues officielles du pays comme cela est le cas dans des pays comme la Suisse ou le Canada. En clair, le niveau de bilinguisme de tel ou tel responsable politique se transforme en enjeu politique majeur, comme préalable à sa capacité de remplir sa fonction dignement, en toute impartialité.

C’est tout le problème concernant Elio di Rupo qui, malgré les critiques, tend à démontrer à ses compatriotes du nord qu’il sera capable de les représenter et surtout dans leur langue, ce qui constitue une première. Depuis 1978, en effet, aucun francophone n’avait occupé le poste de Premier ministre en Belgique à tel point qu’une sorte de règle non-écrite s’est comme instaurée, une règle qui voulait que le chef du gouvernement soit un néerlandophone, les Flamands étant de toute façon, majoritaires dans le pays.

Un changement de donne ?

Mais les élections de 2010 et surtout la popularité d’Elio di Rupo en Flandre ont changé la donne. Le probable successeur d’Yves Leterme le sait et s’emploie à cette fin à améliorer ses connaissances en néerlandais pour mieux séduire les habitants du Nord, tout comme la plupart des personnalités politiques francophones d’ailleurs. C’est sans doute une des conséquences de la crise politique qui secoue le plat pays depuis 2007 : les hommes et femmes politiques du sud veulent absolument montrer qu’ils sont capables de s’exprimer dans la langue de Vondel même si leur bilinguisme est loin d’être optimal à l’instar des Flamands.

Aussi, c’est tout le défi pour Elio di Rupo, lui qui devra incarner et assurer la fameuse unité de la Belgique, sans cesse mise à mal, ce qui passe inévitablement par la maitrise mais aussi l’intérêt d’une langue qui n’est pas notre langue maternelle. Trop longtemps, les Flamands considéraient – souvent à juste titre – que les Wallons méprisaient leur langue et notamment leurs responsables politiques. Dans cette Belgique 2.0 qui se dessine, il parait clair que la langue jouera un rôle politique, à l’instar de ce qui se passe au Canada, à propos de la place du Français au sein de la province du Québec mais aussi de la Confédération. Et parler la langue de l’autre (même maladroitement) est plutôt un premier geste positif, un geste auquel personne n’est insensible et qui devrait sans doute amener certains à mettre de l’eau dans leur vin.

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