Le rôle stratégique des réseaux électriques dans la mise en œuvre d’une politique énergétique européenne

, par André Merlin

Le rôle stratégique des réseaux électriques dans la mise en œuvre d'une politique énergétique européenne
Par Filter Forge

Le monde est en train de vivre une troisième révolution énergétique. Après celle du charbon et de la machine à vapeur au 19ème siècle, après celle de l’électricité et du pétrole au 20ème siècle, nous sommes entrés désormais, en ce début de 21ème siècle, dans l’ère des énergies faiblement carbonées et du développement durable.

L’Union européenne, dans ce nouveau contexte, a adopter en 2009 une politique énergétique ambitieuse ayant un triple objectif :

  • Réduire le volume d’émissions de gaz carbonique dans l’atmosphère afin de lutter contre le risque d’un bouleversement climatique.
  • Accroître la sécurité de son approvisionnement énergétique en limitant sa dépendance vis à vis des énergies fossiles (pétrole, gaz…) et en renforçant la solidarité entre Etats membres notamment en situation de crise.
  • Achever la construction des marchés intérieurs de l’électricité et du gaz en intégrant davantage ces marchés à l’échelle européenne et en connexion avec les régions voisines (Méditerranée, Russie).
  • Pour mener à bien une telle politique, l’électricité va prendre une place prépondérante dans le mix énergétique européen et les réseaux électriques qui constituent les épines dorsales des systèmes électriques, vont jouer un rôle stratégique.

C’est le but de cet article que de l’expliciter

La place prépondérante de l’électricité dans le nouveau contexte énergétique :

Pour atteindre les trois principaux objectifs de la politique énergétique européenne, qui viennent d’être rappelés, l’électricité est sans aucun doute un des vecteurs à privilégier. Du côté de la demande d’énergie, l’électricité permet très souvent d’atteindre un haut niveau d’efficacité énergétique. Dans le domaine industriel, les processus à base d’électricité sont souvent beaucoup plus sobres en énergie que les processus utilisant directement la chaleur (par exemple dans la fabrication du papier). Dans le domaine du chauffage et de la climatisation des locaux, l’utilisation des pompes à chaleur fonctionnant à l’électricité permet de réaliser là aussi de grandes économies d’énergie, en comparaison à des modes de chauffage traditionnels. Enfin dans le domaine des transports routiers, le développement des véhicules hybrides rechargeables ou électriques va conduire également à une réduction de la consommation de pétrole et à un accroissement de la demande électrique.

Au total, alors que les prévisions de l’évolution de la demande énergétique à l’horizon 2020 pour les 27 Etats membres de l’UE aboutissent à une baisse sensible par rapport à la demande actuelle, la consommation d’électricité devrait continuer à croître, certes à un rythme plus faible que par le passé mais sans doute supérieur à 1% par an. Il en résultera une part encore plus importante de l’électricité dans le mix énergétique européen.Du côté de l’offre, l’électricité possède également de nombreux atouts. Elle permet en effet de mobiliser toutes les énergies faiblement carbonées, qu’il s’agisse des énergies renouvelables (hydrauliques, éolien, géothermique, solaire,) ou de l’énergie nucléaire. Dans le futur, c’est à dire sans doute au delà de 2020, lorsque la technologie de captation et de séquestration du CO2 sera industriellement disponible, on peut imaginer un système électrique européen sans émission de CO2. C’est la vision que propose d’ailleurs Eurelectric.

En 2005, l’électricité produite au sein de l’UE par les 27 Etats membres provenait à 54,6% d’énergies fossiles (principalement le charbon à 28%, suivi par le gaz 21%) et seulement à 45,4% d’énergie faiblement carbonées (nucléaire à hauteur de 30,2% suivi par l’hydraulique 10,4%). Les énergies renouvelables (hors hydraulique) représentaient seulement 4,8% du mix électrique. Si l’on se projette à l’horizon 2020, compte tenu de l’effort considérable de l’UE en faveur des énergies renouvelables (20% dans le mix énergétique à cette date), il est probable que les deux tiers de l’électricité produite en Europe seront issues de sources énergétiques faiblement carbonées. 1/3 provenant des renouvelables (y compris l’hydraulique) et 1/3 provenant de l’énergie nucléaire.

Dans la part provenant des renouvelables, de l’ordre de 13% du mix électrique européen serait d’origine éolienne, alors que cette source ne représentait que 1,9% en 2005. Ces 13% correspondront à une énergie électrique de l’ordre de 500 TWh pour une production d’énergie électrique annuelle totale de l’ordre de 4000 TWh (3300 en 2005). Compte tenu du caractère intermittent de cette forme d’énergie et d’une durée d’appel de ces moyens de production de l’ordre de 2000 à 2500 heures par an, une telle quantité d’électricité à produire nécessite une puissance éolienne connectée au réseau électrique européen de l’ordre de 200 à 250 GW pour une puissance globale installée qui devrait être proche des 1000 GW.

Une évolution aussi drastique du mix électrique conduit à une mutation extrêmement forte des réseaux électriques en Europe, mutation qui, il faut bien l’avouer n’a pas été jusqu’à présent assez soulignée par les instances politiques tant européennes que nationales.

Le rôle stratégique des réseaux électriques

Pourquoi une telle mutation des réseaux électriques dans ce nouveau contexte énergétique ?

Essentiellement pour les trois raisons que sous tend la politique énergétique européenne :

  • Permettre l’intégration dans le système électrique européen de grandes quantités d’énergies renouvelables à caractère intermittent.
  • Accroître la solidarité énergétique au sein de l’UE par un secours mutuel des systèmes électriques des Etats membres ainsi qu’avec les pays et régions voisines.
  • Achever l’intégration du marché intérieur de l’électricité à l’échelle européenne.

Il en résulte pour les gestionnaires des réseaux électriques européens un premier impératif : accroître fortement les interconnexions au sein de l’Europe non seulement comme l’a maintes fois souligné la Commission Européenne pour permettre une plus forte concurrence entre les acteurs du marché, mais aussi, comme l’a révélé la grande panne qui a affecté l’ensemble du réseau électrique européen en novembre 2006, pour réduire les risques de black out comme ceux qui se sont produits en Italie et dans le nord est des Etats-Unis et du Canada en 2003. Un tel renforcement des interconnexions est également indispensable pour d’une part permettre d’équilibrer à tout moment l’offre et la demande d’électricité en présence d’une part de plus en plus significative de production éolienne débitant sur le réseau, laquelle nécessite du fait de son caractère intermittent d’être secourue à tout moment par d’autres moyens de production, en cas de vent trop faible ou trop fort.

Contrairement à l’idée quelquefois répandue selon laquelle l’énergie décentralisée peut permettre de réaliser des économies de développement de réseaux de transport, leur intermittence liée au caractère non stockable de l’électricité nécessite, au contraire, un fort développement des réseaux d’interconnexion à proportion de la quantité d’énergie intermittente injectée dans le système électrique européen. Cette interconnexion va s’étendre également au delà des frontières actuelles du réseau électrique européen principalement dans deux directions, autour de la Méditerranée en appui notamment des projets énergétiques de l’Union pour la Méditerranée et vers l’Est avec le système électrique russe en rendant possible notamment les échanges électriques entre les pays baltes et leurs voisins scandinaves et polonais.

Enfin pour maîtriser la plus grande complexité des systèmes électriques qui résulte à la fois de la recherche d’une utilisation des installations existantes plus près de leur limite et de l’évolution du mix électrique vers davantage de production décentralisée à caractère intermittent, il est indispensable de parvenir à une plus grande efficience dans l’exploitation du réseau électrique européen.

Quelles sont dans un tel contexte les évolutions technologiques des réseaux électriques qui sont nécessaire pour faire face à de tels défis ?

Ces évolutions ne sont d’ailleurs pas propres à l’Europe et vont sans doute se faire sous des formes quelque peu différentes selon les régions du monde et en fonction des politiques énergétiques mises en œuvre.

On peut toutefois retenir deux orientations principales :

  • le développement et le renforcement des grands réseaux d’interconnexion à l’échelle continentale voir l’ébauche de réseaux intercontinentaux (Europe-Asie ou EuropeAfrique).
  • le développement de réseaux électriques encore plus intelligents.

Pour renforcer et étendre l’interconnexion à l’échelle continentale, il est probable que se développeront de plus en plus de grands réseaux de transport hybrides mêlant à la fois des liaisons à courant alternatif constituant toujours l’épine dorsale des systèmes électriques et des liaisons à très haute tension en courant continu point à point pour franchir en particulier les obstacles naturels en souterrain ou en sous marin que constituent les barrières montagneuses ou les bras de mer. Ira-t-on comme en Chine ou en Inde vers le développement de réseaux à ultra haute tension (plus d’un million de volts en courant alternatif ou 800.000 volts en courant continu) ? Les besoins et les distances de transport sont moindres en Europe et la forte sensibilité environnementale vis-à-vis d’ouvrages aériens sera un frein sinon un obstacle à une telle augmentation des niveaux de tension. Le développement de technologie de liaison à isolation gazeuse, permettant le transport d’électricité à très haute tension en courant alternatif et en souterrain sur longue distance (sur plus de 50 kms) pourrait sans doute atteindre le stade industriel dans la décennie à venir, notamment pour faire face à une pression environnementale de plus en plus forte.

La deuxième orientation majeure résultera du développement de réseaux électriques plus intelligents. Elle est la conséquence de la part de plus en plus grande que va prendre les énergies décentralisées dans le mix électrique et de la recherche d’une plus grande efficacité énergétique dans la gestion de la demande d’électricité par le client final.

Cette intelligence qui a commencé à être mise en œuvre dans les réseaux à partir des années 60 avec les progrès extrêmement rapides des technologies de l’information et de la communication, a concerné principalement les grands réseaux électriques avec le développement de systèmes de conduite, d’automates et de protection des équipements, aujourd’hui entièrement numérisés.

L’insertion de production décentralisée dans les réseaux de distribution change la nature et la fonctionnalité de ces réseaux. Alors que jusqu’à présent leur rôle était simplement d’acheminer l’électricité jusqu’au client final, ils vont devenir de plus en plus actifs, c’est-à-dire que dans certaines conditions de charges et de disponibilité, une partie de la production raccordée à ces réseaux devra être réinjectée vers les réseaux de tension supérieure et alimentera des consommations localisées souvent bien au-delà.

Une telle évolution va nécessiter l’intégration de beaucoup plus d’intelligence dans ces réseaux comme cela a été fait auparavant dans les réseaux de transport et le couplage de cette intelligence avec celle mise en œuvre à des niveaux de tension supérieurs.

Par ailleurs, l’ouverture totale du marché de l’électricité à l’ensemble des consommateurs pousse à généraliser le comptage intelligent notamment pour les clients domestiques et dès lors à utiliser cette intelligence pour une recherche d’une plus grande efficacité énergétique chez le client final.

Enfin l’accroissement des flux d’échanges d’électricité à l’échelle européenne résultant à la fois de l’intégration des marchés, du développement massif des énergies renouvelables et de la recherche d’une plus grande solidarité entre Etats membres, notamment dans les situations de crise, va nécessiter le renforcement de la coordination dans l’exploitation des systèmes électriques européens. Nous pensons qu’elle devrait se traduire par une plus grande intégration de l’intelligence dans les réseaux de transport d’électricité et, au moins pour l’Europe continentale, par la mise en place d’un centre européen de coordination du transport de l’électricité, lequel n’aurait pas vocation à se substituer aux centres de conduite des réseaux nationaux mais plutôt à mieux les aider dans la gestion coordonnée des flux d’échanges entre ces réseaux.

Conclusion

L’Union Européenne s’est donnée une politique énergétique ambitieuse pour assurer à la fois sa sécurité d’approvisionnement et lutter contre les risques de changement climatique.

L’électricité dans ce nouveau contexte va jouer un rôle de plus en plus prépondérant dans le mix énergétique européen, en permettant de mobiliser toutes les énergies faiblement carbonées et de rechercher une plus grande efficacité énergétique au niveau du client final. Une telle évolution nécessite une véritable mutation dans le rôle des réseaux électriques, mutation qui devra se faire tout à la fois par le développement de grands réseaux d’interconnexion (super grids) et de réseaux plus intelligents (smart grids) notamment pour les tensions les moins élevées (réseaux de distribution).

Le Conseil International des Grands Réseaux Electriques (CIGRE), que j’ai eu l’honneur de présider jusqu’en août 2012, a un rôle majeur à jouer en Europe comme ailleurs dans le monde en impulsant les innovations qui permettront une telle mutation.

« Il s’agit ici de contributions personnelles de membres du Conseil d’Orientation Stratégique du Mouvement Européen-France, et ne résultent pas du travail du Comité Environnement, Transport et Energie »

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