Les Turcs croient-ils encore à l’Union européenne ?

, par Pauline Sauvage

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Les Turcs croient-ils encore à l'Union européenne ?

Ça s’est passé le 25 janvier dernier. Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre turc invité par la chaîne de télévision turque Kanal 24 revient sur les propositions évasives de Vladimir Poutine tenues en juillet, où ce dernier lui avait demandé « non sans humour » de « rejoindre l’OCS » (Organisation de coopération de Shanghai ) et d’oublier l’Union Européenne. Si Mr. Erdogan s’était alors contenté de rire poliment, son ton change quelques mois plus tard et il confie sur le même plateau de télé que cette hypothèse entre dans le champ du “sérieux” et de l’“intention”. Il précise même que la Turquie partagerait des valeurs communes avec les pays membres d’une organisation qui s’avérait être une alternative à l’UE et affirme : “Le groupe des cinq de Shanghai est meilleur et plus fort ... ”.

Le vent tourne-t-il du côté de l’Union européenne ?

L’UE qui traverse actuellement une crise des plus importantes de son histoire ne tarde pas à réagir par le biais d’Angela Merkel. La chancelière allemande prend le soin avant son voyage en Turquie fin février - le premier depuis trois ans – d’annoncer la relance des négociations permettant à la Turquie d’adhérer un jour à l’Union européenne (UE). « Ces négociations ont un peu piétiné ces derniers temps et je suis favorable à l’ouverture d’un nouveau chapitre dans ces négociations afin que nous puissions un peu avancer » [1] . Elle précise ensuite sur place être cependant « sceptique » sur leur issue, sans doute préoccupée par son électorat allemand encore majoritairement hostile à l’adhésion de la Turquie dans l’UE : selon un récent sondage, 60 % d’entre eux y seraient opposés [2].

La longue attente fait hésiter les turcs

Mais qu’en est-il de l’avis des turcs ? La Turquie a déposé sa demande d’adhésion à l’Union européenne le depuis 14 avril 1987 (alors Communauté européenne). La question de son adhésion a longtemps été repoussée jusqu’en 2005, lors du début des négociations (le dernier chapitre ayant été ouvert en 2010 sur la sécurité alimentaire).

Officiellement, la Turquie est donc toujours en « négociations », terme qui la maintient dans un statut intermédiaire qui n’est pas du goût de tous les turcs. En septembre 2010 déjà, un sondage rapportait que seuls 38% des Turcs soutenaient encore l’entrée de leur pays dans l’UE, contre 73% en 2004 et 63% pensaient alors que leur pays risquait de ne jamais adhérer à l’UE [3]. Les doutes se cristallisent surtout dans la jeunesse turque ; en effet la moitié des 75 millions d’habitants a moins de 30 ans et les jeunes ont par conséquent toujours connu le pays en tant que candidat, potentiel puis officiel depuis 2005. On les voit ainsi qualifier la possible adhésion comme un « mirage », « on se moque de nous », pis encore ; « on n’en veut plus », tel que me le confiait un ami turc en m’expliquant qu’il voyait plus d’inconvénients que d’avantages à l’adhésion à l’UE : économie en berne, dévaluation de l’euro (l’exemple grec effraye), peur d’un certain rejet même à l’intérieur de l’UE (la Turquie ayant la plus grande population de l’Union) et peur d’une certaine intrusion dans les affaires intérieures du pays, contre le seul gain positif de la liberté de circulation.

Un certain nombre de questions toujours en suspens

Même si le premier Ministre Mr. Erdogan a prévenu que « si la Turquie n’est pas membre d’ici 2023, nous nous détournerons de l’Union Européenne » , il reste un certain nombre de données essentiellement « historiques » ou « internationales » compromettantes quant à l’avenir de la Turquie en Europe [4].

Le dossier kurde récemment relancé après le meurtre des trois militantes du PKK à Paris le 10 janvier dernier (la Turquie ne reconnaît pas officiellement les minorités dont celle des 10 à 12 millions de Kurdes faisant face à une forte répression années 1970, ce qui conduit à la création d’un mouvement séparatiste : le PKK) ne fait que se rajouter à la longue liste des impasses turques ; le conflit persistant avec Chypre, membre de l’UE (la Turquie occupant toujours militairement une partie de l’Île et soutenant la République Turque de Chypre du Nord, non reconnue internationalement) ou encore le génocide arménien perpétré en avril 1915 par le gouvernement ottoman, encore d’actualité en France après le vote de la loi condamnant sa négation par le Sénat (et Erdogan de qualifier cette loi de « raciste »). Le parlement Européen lui-même a reconnu le caractère génocidaire du massacre des 300 000 à 1 million d’arméniens. Si Angela Merkel s’est dite prête en janvier à « remettre les compteurs à zéro » en ce qui concerne le dossier chypriote [5] , les dossiers sensibles de la Turquie continuent sûrement à lui porter préjudice, en tout cas aux yeux des membres de l’UE.

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