Le Taurillon : La Belgique est-elle vraiment au bord de la rupture ? Les infos côté flamand et côté wallon semblent souvent contradictoires. Ce terme de partition n’est-il pas, en fait, exagéré ?
Pierre Marlet : La question du divorce de la Belgique est bel et bien sur la table même si j’ai personnellement encore un peu de mal à y croire à court terme. Les négociations interminables qui n’aboutissent pas à la formation d’un gouvernement traduisent une réalité : une indifférence croissante de chaque communauté envers l’autre.
Le point de départ est le renforcement du nationalisme flamand qui a abouti à faire de la NVA, parti nationaliste et séparatiste, le premier parti de Flandre aux dernières élections. Avec pour conséquence un ras-le-bol grandissant auprès de la population francophone, sur l’air de : « s’ils veulent s’en aller, qu’ils s’en aillent »… Le pays vit donc bel et bien des moments cruciaux.
La Belgique est souvent présentée comme la référence de l’intégration européenne. Quelles leçons tirer des querelles actuelles ?
Pierre Marlet : La crise du modèle belge traduit effectivement la crise du modèle européen et un repli sur des identités nationales que l’on observe ailleurs en Europe. Une partition du pays serait, à cet égard, un très mauvais signal.
Du point de vue démographique, une partition Flandre/Wallonie serait tout à fait viable, bien que le problème du statut de Bruxelles soit encore loin d’être résolu : il y a 6 millions de Flamands pour 4 millions de francophones ( 3 millions de Wallons et 1 million de Bruxellois). Économiquement, les ressources seraient aussi suffisantes. Cependant, un gros problème se poserait : celui de la répartition de la dette publique, qui atteint jusqu’à 100% du PIB.
Néanmoins, d’un point de vue symbolique, un divorce serait une catastrophe, l’ouverture d’une boîte de Pandore des mythes nationaux en Europe.
Je suis convaincu que les nationalismes font souvent beaucoup de dégâts. Les exemples dans l’Histoire sont hélas très nombreux. Je crains que la Belgique ne finisse par en faire les frais en raison de la capacité des extrémistes à gagner les reins et les cœurs et, a contrario, de l’indifférence de trop de gens à défendre un modèle trop complexe pour s’y identifier. Je crains que le même mal ne ronge l’idéal européen. Mais je reste un optimiste de nature : et après tout, point n’est raison d’espérer pour entreprendre.
J’ai peur de cette impression de revivre cet idéal de Nation, alors que l’Europe semble avoir raté le coche en étant vu comme une entité bureaucratique, négative. Certains de nos contemporains vantent même l’éloge des frontières comme clés de la stabilité et de la paix ! L’Union européenne n’a pas su vendre ses avantages. On est face à un « machin », un truc flou incompréhensible, aussi obscur que l’organigramme politique belge !
Au niveau du projet politique, on peut aussi faire un rapprochement entre ce qui se passe en Belgique et dans l’UE. Il n’y a pas de parti politique européen, au même titre qu’il n’y a plus de parti politique belge depuis les années 1960 ; seulement des conglomérats qui nouent difficilement de nouvelles alliances. Et les compromis sont de plus en plus difficiles à atteindre, chacun cherchant principalement à servir les intérêts de son électorat, c’est-à-dire national sur le plan européen ou flamand/wallon sur le plan belge. Il est cependant intéressant de noter le rôle que joue le patronat belge dans la recherche de ces compromis, les intérêts économiques dépassant parfois les clivages sociaux.
En Belgique ou en Europe, le constat est le même : je crois très sincèrement que tant qu’on n’en sera pas à voter pour quelqu’un, un président européen, qui aidera à transcender les intérêts locaux, on ne constatera ni de nouveaux progrès, ni d’avancement significatif.
Le Taurillon : Un scénario catastrophe de partition Flandre/Wallonie/Région de Bruxelles capitale indépendante et gérée par des forces administratives internationales ne serait-il pas plutôt un moindre mal ?
Pierre Marlet : Bruxelles occupe aujourd’hui une place invraisemblable au niveau de l’attractivité internationale. Elle se situe à un niveau presque comparable à Londres, Francfort ou Paris, alors qu’elle est bien plus petite.
Dans le cas d’une partition de la Belgique, faire de Bruxelles un district européen, sur le modèle de Washington D.C., serait clairement impraticable. Ce serait même un cauchemar contrairement à ce que pensent certains Bruxellois ! Ainsi, Washington D.C. est relativement pauvre, elle ne produit pas de richesse en tant que telle. La plupart des personnes qui y travaillent préfère vivre dans un autre Etat. Nul doute que la même situation se produirait, sachant que les Européens ne semblent avoir aucune envie de prendre en main la gestion de la ville et de sa région, ainsi que les écoles, les infrastructures...
Enfin, n’oublions pas que Bruxelles demeure la capitale de la Flandre, bien qu’il n’y ait plus que 5% de néerlandophones, sachant que les immigrés et eurocrates parlent français, et davantage l’anglais que le néerlandais.
1. Le 4 janvier 2011 à 11:37, par HR En réponse à : Les difficultés gouvernementales en Belgique, quelles leçons pour l’Europe ?
Quelles leçons pour l’Europe, en effet.
« En Belgique ou en Europe, le constat est le même : je crois très sincèrement que tant qu’on n’en sera pas à voter pour quelqu’un, un président européen, qui aidera à transcender les intérêts locaux, on ne constatera ni de nouveaux progrès, ni d’avancement significatif. » C’est vrai, ce qui détruit la Belgique comme l’Union Européenne, c’est la scrutin de liste qui renforce les bureaucraties politiques. Et les bureaucraties politiques sont naturellement nationalistes.
L’année 2011 commence bien en Union Européenne de Le Taurillon. Après un article sur la crise de l’Euro, voici un article sur la crise belge.
Dans les deux cas, on peut noter la chose suivante. Le premier article minimise une évidence : si l’euro disparaissait, cela provoquerait une véritable déflagration mondiale, que quelqu’un a déjà qualifié, à juste titre, de « mère de toutes les crises économiques ». Evidemment, ce serait la mort de l’Union Européenne. Le deuxième article minimise le fait que la partition de l’Etat belge en deux Etats distincts ferait instantanément exploser l’Union Européenne.
L’Union Européenne, après à peine deux décennies d’existence, en est là.
2. Le 5 janvier 2011 à 02:38, par KPM En réponse à : Les difficultés gouvernementales en Belgique, quelles leçons pour l’Europe ?
« Le deuxième article minimise le fait que la partition de l’Etat belge en deux Etats distincts ferait instantanément exploser l’Union Européenne. »
C’est un peu court, jeune homme (ou jeune femme ?). Pourquoi donc ? Je ne vois pas de lien de cause à conséquence entre les deux... Pas plus qu’une indépendance de la Catalogne ou de l’Écosse. Au contraire, c’est l’UE qui leur donne le cadre nécessaire à la crédibilité. Que pèserait une Écosse indépendante sans l’Union européenne ? C’est pareil pour la Flandre.
D’ailleurs c’est le projet de la NVA : déléguer à l’Union les compétences extérieures de la Belgique (défense, diplomatie, commerce...), et rapatrier en Flandre le reste (social, économie, culture...). C’est ce qu’ils appellent la stratégie de la « coquille vide » ou de l’« évaporation ». Mais une diplomatie flamande, c’est juste ridicule. Aucune chance que ça convainque un peuple aussi réaliste que les Flamands.
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