Nous vivons depuis Maastricht une époque d’intégration économique accélérée. Ces deux dernières années, l’UE a créé les semestres européens, le Fonds européen de stabilité financière (complété par le Mécanisme financier européen, une sorte de mini Fonds monétaire européen), ainsi que des autorités de surveillance et autres comités visant à fournir une réponse à la crise à court terme. A moyen terme, il est possible pour l’UE de dégager des ressources propres sous la forme de taxes sur les capitaux, de taxe carbone ou via la TVA ainsi que de financer la dette de l’Union par les Euro-obligations et la création d’un Trésor européen.
Avant la rencontre du 21 juillet, l’Allemagne et la France n’ont eu cesse de reporter le temps de la décision, laissant s’intensifier les comportements rapaces consistant à engranger les bénéfices sur le dos des économies européennes. Le président Sarkozy a lui-même admis le mois dernier que « nous ne pouvons continuer à avoir une monnaie déconnectée de la politique économique ». La chancelière Merkel a finalement accepté, avec toutes ses réserves, de suivre la voie d’une politique économique européenne.
Le fédéraliste malgré lui
Nous assistons ainsi au spectacle émouvant d’une génération de leaders européens ayant épuisé toutes les possibilités nationales, pour admettre in extremis que la seule option crédible passe par plus d’Europe, et s’appelle le fédéralisme.
Ces « nouveaux fédéralistes » ont en commun de n’avoir pas vécu la guerre, et de nourrir une vision plus étriquée de l’Europe, différente des pères fondateurs, Adenauer, Monnet, Schuman, dont l’héritage a forgé l’Europe jusqu’à nos jours.
Le doute n’est donc plus possible : « l’ancien » fédéralisme est mort. Que nous le voulions ou que nous le regrettions, le fédéralisme pragmatique de Merkel et Sarkozy sera le moteur de l’intégration européenne pour les années à venir.
Les « anciens » fédéralistes étaient des visionnaires ; ils militaient en faveur de plus d’intégration économique, accompagnée sur le même rythme par une intégration politique, légitimée démocratiquement par le peuple européen. Ils étaient convaincus que le partage de souveraineté devait avoir lieu entre les niveaux locaux, nationaux et supranational, mais qu’aucune délégation de souveraineté ne devait se faire sans contrôle démocratique.
Les institutions représentant les citoyens européens, le Parlement Européen, la Constitution Européenne, étaient des conditions sine qua non d’une avancée vers plus d’intégration. L’intégration économique sans intégration politique – c’est à dire sans que le peuple n’ait de contrôle sur les règles régissant les marchés – conduirait à un manque de légitimité du projet européen. Ces visionnaires avaient vu juste : la crise de légitimité que traverse l’UE trouve ses causes profondes dans le manque d’identification populaire avec le projet européen.
Les « anciens » fédéralistes déclaraient qu’une politique monétaire commune ne pouvait survivre sans politique économique commune. Lors de la dernière décennie, la Grèce et l’Espagne ont emprunté de l’argent aux taux d’intérêts allemands. Ceux-ci ne correspondaient pas à leur productivité réelle et cette période passée à vivre au delà de leurs moyens a provoqué un endettement dont ils paient le prix aujourd’hui. Avec un Trésor européen soutenu par des Euro-obligations et un budget européen propre, la crise actuelle aurait pu être mieux gérée, et les défauts de paiement actuels évités. Ce surendettement n’aurait pas été permis.
Les "nouveaux fédéralistes"
Mais revenons aux « nouveaux » fédéralistes. Ces « nouveaux » fédéralistes sont des réalistes convaincus – les mêmes qui, il y a de cela 4 ans, déclaraient que plus d’intégration n’était pas nécessaire et qu’un Trésor européen ne serait jamais mis en place.
A l’inverse des visionnaires ils sont dans un état permanent d’improvisation. Ne pas avoir de vision, c’est ne pas avoir de plan. Nos leaders européens ont globalement improvisé depuis 2008 et les marchés financiers nous punissent tous pour le chaos engendré par cette improvisation à 27. A cela s’ajoute le problème de la légitimité démocratique. Les mesures prises durant ces trois dernières années ont été prises à huis clos et observées avec scepticisme par la majorité des européens.
Cette improvisation permanente empêche toute participation publique à la construction européenne en cours. Même le Parlement Européen – déjà considéré par beaucoup comme trop lointain – n’a pas été autorisé à participer à la création des derniers outils de colmatage institutionnels tel que le Mécanisme Financier Européen. Le pire est que, pour le moment, les « nouveaux » fédéralistes n’ont exprimé aucun regret ni aucune inquiétude quand au manque actuel de démocratie que présente la forme prise en ce moment par l’UE. C’est sans surprise que l’UE jouit du taux de popularité le plus faible jamais rencontré depuis sa création.
D’aucuns déclarent que le temps des visionnaires est fini et qu’avec lui s’est évaporée l’opportunité de bâtir une union politique capable de contrôler la sphère économique, celle d’avoir une EU gouvernée par le peuple pour le peuple. On déclare que les réalistes ont imposé leur manque de vision, la nécessité d’une intégration plus forte dominant l’agenda tandis que l’aspect démocratique est absent des décisions. On ne peut pas considérer qu’un système fonctionne, lorsque pour être sauvés, les peuples européens doivent être tenus à l’extérieur des lieux de décision…
Fédéralisme par ambition ou par défaut, l’intégration suit son chemin
Nous marchons vers une union de transferts financiers qui conduira à une union fiscale, celle-ci amenant un Trésor européen et des obligations européennes. L’existence d’une politique fiscale et monétaire européenne pourrait pousser à la création d’une union politique. L’intégration politique en Europe a suivi l’intégration économique, et l’union politique a été une conséquence, pas une cause, de l’intégration économique.
L’intégration politique doit être intégrée à tout progrès fait dans l’intégration européenne. Les dernières évolutions et la création d’outils de politique économique devraient donc ouvrir la voie à une participation accrue du peuple européen dans le processus décisionnel de l’UE. Echouer reviendrait à mettre en jeu la crédibilité du projet européen. Encore une fois.
De manière beaucoup moins romantique que l’on aurait pu le penser, le chemin vers une fédération européenne n’est pas ouvert par le peuple européen ni même par des leaders forts animés par une vision mais bien par les seuls marchés. L’histoire nous a néanmoins enseigné que la démocratie ne vient que si elle est demandée par le peuple/ Il est donc d’une importance cruciale de poursuivre la vision d’une « démocratie européenne », chose qui ne peut être faite par les seuls « nouveaux » fédéralistes. Contre toute attente, les peuples d’Europe doivent reprendre le contrôle du processus européen et, pour ce faire, des visionnaires sont plus que nécessaires.
1. Le 9 novembre 2011 à 21:27, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Merkel, Sarkozy… fédéralistes malgré eux ?
Quand un Sarkozy parle de fédéralisme ce n’est pas exactement ce que nous ici appelons le fédéralisme.
Cf. Petite leçon de fédéralisme à l’usage de Nicolas Sarkozy chez @quatremer
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