Merkel, le Hara-kiri de la souveraineté nationale et la naissance d’une gouvernance économique européenne.

, par Joan Marc Simon, Traduit par Vincent Carriou

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Merkel, le Hara-kiri de la souveraineté nationale et la naissance d'une gouvernance économique européenne.

La couverture des journaux espagnols du 4 février 2011 encourageait les principaux acteurs politiques du pays à chérir les mots de Merkel selon lesquels « l’Espagne est en bonne voie avec les réformes ». J’étais à deux doigts d’en tomber à la renverse : un leader étranger venant en Espagne — un État ou la Nation est souveraine, au moins sur le papier — et indiquant à ses leaders démocratiquement élus ce qu’ils ont à faire. Et tout le monde trouve cela normal !

C’est la plus sérieuse intrusion au sein même de la souveraineté espagnole que j’ai en mémoire alors que les médias et politiciens l’accueillent telle une bonne nouvelle. Je ne vais pas commencer une analyse qualitative des réformes que Merkel a imposé à l’Espagne - de même qu’à d’autres pays- mais plutôt sur le fait qu’une Nation souveraine tente d’imposer à d’autres Nations souveraines des actions qui lui semblent juste. Par le passé cela n’aurait été réalisable que grâce au recours à la force militaire. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

La stabilité de la zone euro comme justification de l’intrusion

Nombreux sont ceux qui soutiennent que ce que Merkel est en train de faire est nécessaire pour le bien commun : que nous devons imposer des politiques fiscales à l’ensemble de l’euro-groupe afin de favoriser la stabilité macro-économique de la zone euro pour permettre à l’euro de continuer d’exister. Ceux-la ont sans doute raison mais la manière employée, elle, reste discutable : quel pouvoir détient l’Allemagne -mis à part être le grand frère ainsi que le créditeur de la zone euro - pour imposer le recours à des politiques fiscales à d’autres Etats souverains ? Selon les Traités de l’UE, la politique monétaire est européenne et gérée par la BCE mais les questions fiscales restent pour l’heure des compétences nationales.

Cela a été mis en cause par beaucoup, depuis la ratification du traité de Maastricht, et le temps a mis en lumière le fait que l’on ne peut se permettre d’avoir une politique monétaire commune et 17 politiques fiscales différentes. Pourtant, le pacte de Stabilité et de croissance était supposé réguler la convergence fiscale de l’union et chacun des essais pour se rapprocher d’une gouvernance européenne a été saboté par un quelconque pays car jugé contraire à la souveraineté nationale. Et bien, les évènements des derniers mois ont montré que la politique fiscale nationale s’était envolée... pour l’Allemagne. L’Allemagne décide des mesures et évalue leur implémentation et, que nous le voulions ou non, elle n’a demandé la permission à personne pour agir ainsi.

Impuissance de la Commission et souveraineté économique nationale

D’un point de vue légal, la Commission européenne est la gardienne des traités et si le pacte de stabilité et de croissance était mis à mal, il serait de son devoir d’intervenir. Le fait est que personne n’obéit. La crise actuelle a montré le vrai pouvoir de l’ « Exécutif européen » quand il est temps d’exécuter. La seule, l’unique personne qui devrait aller de capitale en capitale, instruire les pays sur ce qu’ils doivent faire et évaluer si ceux-ci font bien leurs devoirs devrait être le président de la Commission J.M. Barroso. Mais il n’en est simplement pas capable. Quand les choses sont devenues difficiles, la Commission a été laissée de côté et le spectacle a véritablement été pris en main par ceux qui détiennent les leviers du pouvoir, c’est à dire l’Allemagne et dans une bien moindre mesure la France.

Encore une fois, je ne suis pas en train de dire que les mesures que l’Allemagne est en train d’imposer au reste de l’Europe sont fallacieuses mais je trouve bien surprenant que la plus importante prise de contrôle de souveraineté nationale par un Etat membre depuis la Seconde Guerre mondiale passe inaperçue. Au cours des dernières décennies l’obstacle principal qui a empêché l’UE de s’approfondir a été le manque de volonté des Etats membres de partager plus de souveraineté, notamment concernant les affaires budgétaires et fiscales, cependant ils n’ont aucun problème pour céder ces domaines lorsque cela devient nécessaire. Cela n’a pas de sens. Si les citoyens de ladite Espagne se préoccupent de la souveraineté en Espagne ils devraient réagir lorsque le gouvernement -ainsi que l’opposition- qu’ils ont élus placent un gouvernement étranger au volant de l’économie nationale. Ou bien est-ce seulement que rien de semblable à l’ « économie nationale » n’existe plus ?

L’acceptation tacite de la perte de souveraineté économique

Je suis de ceux qui croient que le concept de souveraineté nationale appartient désormais au passé et que nous nous devons de former des structures démocratiques supranationales qui répartissent la souveraineté en différentes couches, mais je sais tout aussi bien que trop peu de gens partagent ces vues, et plus spécialement en Espagne. Cependant, lorsqu’il s’agit de défendre cette souveraineté, les nationalistes espagnols ne voient aucun problème à laisser le gouvernement Allemand décider en lieu et place de notre gouvernement démocratiquement élu. Est-ce dû au fait que les gens se soient habitués à ne pas avoir leur mot à dire sur quoi que ce soit et à accepter les réformes de l’étranger, tel une punition apocalyptique ? De quelle manière justifier cela d’un point de vue démocratique ?

Je n’ai aucun doute concernant la bonne foi que le gouvernement allemand place dans son rôle actuel de gouvernant Européen. Sa motivation à intervenir dans d’autres économies européennes est motivée par la peur de voir la crédibilité de la monnaie commune entachée, perdant par la même le marché européen de consommateurs de produits allemands et risquant les retours sur les investissements et emprunts effectués par l’économie allemande en cas de faillite. Après tout l’Allemagne s’efforce seulement de défendre son propre intérêt national en intervenant sur le terrain de la souveraineté d’autres pays. Mais bien que la motivation qui la guide soit compréhensible, la méthode ne peut être acceptable comme « modus operandi » (mode opératoire) pour l’UE.

Crise économique et gouvernance : des conséquences majeures sur le système politique européen

Je pense qu’il est trop tôt pour tirer les leçons, d’un point de vue économique, de la crise mais nous en avons vu assez pour tirer les leçons sur le plan politique. Celles-ci sont les suivantes : - que vous soyez d’accord ou non, l’UE a besoin d’une politique fiscale commune. Personne ne peut continuer à s’y opposer parce que cela relèverait de la souveraineté nationale, et ce car la crise a montré qu’une telle chose n’existe plus. Actuellement le gouvernement allemand décide de la politique fiscale à mener dans la plupart des pays de la zone euro. - Il nous faut un gouvernement économique européen, car en son absence c’est l’Allemagne qui s’en occupe, ce que certains pourraient considérer comme un moindre mal, mais cela s’oppose très vraisemblablement aux principes démocratiques de l’UE. - Afin de légitimer la gouvernance économique européenne et de lui donner la force nécessaire pour la rendre crédible en ce temps de crise il est nécessaire que la présidence de la Commission européenne obtienne son mandat du peuple européen. Et la seule solution est pour cela d’avoir recours à des élections d’ampleur européenne afin d’élire son président (ou sa présidente). Ce n’est que de cette manière que le (la) futur(e) président(e) de la CE pourra effectuer le travail que fait actuellement Merkel.

Vraisemblablement de telles réformes devront attendre avant que la maison soit remise en état de marche et cela signifie que jusqu’à ce que cela arrive Merkel continuera d’être Miss Europe et le gouvernement allemand le gouvernement économique européen de facto. Mais une fois la situation macro-économique de nouveau sur les rails ces réformes politiques seront indispensables au futur de l’UE.

Une ingérence allemande justifiée mais pas pour autant acceptable : la nécessité d’une gouvernance économique européenne

Si, quand il s’agit des politiques fiscales, les pays de l’euro-zone restent attachées à leur souveraineté nationale, alors il n’y a que deux options possibles : la fin de l’euro -à cause des décalages entre les politiques fiscales et monétaires - ou bien la fin de la démocratie à l’échelle de l’Europe avec la renaissance somme toute logique des tensions nationales entre les Etats européens. Le seul chemin qui soit désirable est de donner à l’UE les outils nécessaires afin d’agir de manière à la fois crédible et démocratique. L’époque à laquelle l’Allemagne désirait laisser à l’UE du pouvoir et l’emprise sur la monnaie est désormais révolue. L’Allemagne a appris à ses dépends que les partenaires européens n’étaient pas fiables et, en l’absence des bons outils pour gouverner, elle n’avait d’autre choix que d’intervenir et d’imposer une discipline fiscale a d’autres Etats souverains. La faible « confiance commune » qui existait avant la crise s’est évaporée et l’actuel contrôle allemand des politiques fiscales n’est pas acceptable. La seule option envisageable à l’avenir est d’avoir une gouvernance économique européenne qui soit démocratique.

Démocratique afin que dans le futur tous les Etats membres de la zone-euro puissent conjointement prendre les décisions que Berlin a eu à prendre seule. « Capable » afin que l’UE détienne les moyens de générer la confiance nécessaire et les poids et contrepoids" pour se prémunir des situations dans lesquelles certains des Etats membres délivrent de fausses données budgétaires ou bien dépensent l’argent de l’UE dans la construction d’autoroutes menant aux villas de quelques hommes politiques. Tristement, je suis à peu près sûr que le jour ou nous aurons un tel plan sur la table, ces mêmes médias et acteurs politiques qui aujourd’hui louent l’intervention de Miss Merkel dans les affaires nationales crieront contre « Bruxelles » essayant d’interférer dans leur indivisible et intransférable souveraineté nationale - qu’ils avaient perdu il y a fort longtemps-. Mais tel que le disait Proudhon « Les mots ne valent rien si des actions ne suivent pas ».

Vos commentaires
  • Le 3 mars 2011 à 08:10, par HR En réponse à : Merkel, le Hara-kiri de la souveraineté nationale et la naissance d’une gouvernance économique européenne.

    "Mais tel que le disait Proudhon « Les mots ne valent rien si des actions ne suivent pas ».

    Belle épitaphe pour le traité de Lisbonne.

    @ Joan Marc Simon (ou à son trauducteur) :

    "il est nécessaire que la présidence de la Commission européenne obtienne son mandat du peuple européen. Et la seule solution est pour cela d’avoir recours à des élections d’ampleur européenne "

    Bravo, mais faux. Vous voyez le problème par le petit bout de la lorgnette. On devine pourquoi. "Fédéraliste européen", vous avez probablement soutenu le traité qui voulait se faire passer pour une Constitution, et qui a fini pas être imposé à ce que vous appelez le "peuple européen" sous le nom de traité de Lisbonne alors que la majorité des Européen y étaient opposés. Aujourd’hui, vous faites le constat qui s’impose : ça a donné, comme c’était prévisible avec un traité, une Union Européenne complètement intergouvernementale.

    J’ai écrit un article pour le Taurillon qui ne sera pas publié et qui explique la mécanique qui a permis à Angela Merkel de prendre le leadership en Union Européenne.

    Pour la majorité des Européens, qui sont fédéralistes,c’est une Constitution, une vraie, qui est nécessaire. Et pour celà, au moins on est d’accord, il faudra avoir recours à des élections d’ampleur européenne.

  • Le 4 mars 2011 à 10:52, par fz En réponse à : Merkel, le Hara-kiri de la souveraineté nationale et la naissance d’une gouvernance économique européenne.

    Votre article est intéressant, dans le sens où il tend à poser une des réelles problématiques actuelles. Quand allons-nous enfin décider de créer une réelle gouvernance européenne ? Cela arrivera surement, mais quand et comment ? Et ce que ce ne sera pas trop tard ? Les hommes politiques ont cette fâcheuse tendance de rejeter leur manquement a la bonne gestion sur « Bruxelles » et bien sûr les medias traditionnelles ne sont pas la pour donner le change et faire une réelle analyse. Il faut une réelle conscience collective qu’un Etat seul ne peut s’en sortir dans l’économie de marche globale d’aujourd’hui. De ce constat tout les pays européens doivent se mettre à table et travailler dans l’intérêt de l’Europe dans son ensemble, et pas des patrons ou d’une élite, mais de tous les citoyens. Mais ce ne sont que de veine parole, les échéances électorales nationales font que pour rester au pouvoir, comme d’habitude chacun a bien compris qu’il faut jeter le blâme sur « Bruxelles », ce méchant « Bruxelles » qui nous impose de nous serrer la ceinture. Et ce comportement enfantin ne résoudra rien, ne tendant qu’à empirer les choses. La commission s’est effectivement effacée, laissant place aux initiatives du Conseil, mais ne serait- ce pas à la commission de s’imposer et de proposer des initiatives, des idées ? Jusqu’à présent nous n’avons rien entendu. Je trouve cependant que vous êtes un peu injuste avec l’Allemagne, il faut bien quelqu’un pour nous guider et dans la mesure où ces chères camarades se sont amuser pendant des années à embellir et falsifier leur situation économique, tout en détournant les fonds européens, il faut bien que quelqu’un mette de l’ordre. Une personne charismatique, qui sache s’imposer et vienne avec des idées constructives. Il est évidemment malheureux a ce que ce soit toujours les mêmes qui en payent le prix fort, c’est-à-dire les citoyens lambdas européens, qui ne se sont pas enrichis sur le dos des fonds européens. Les responsables politiques qui ont concouru a cette mascarade doivent être traduis devant la justice. Ce n’est a mon qu’en remettant de l’ordre, que le citoyen européen se rangera du coté d’une Europe qui défend avant tout ces intérêts.

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