Microsoft / Europe :

L’Empire contre-attaque, judiciairement

, par Fabien Cazenave

Microsoft / Europe :

En cette semaine où nous nous plongeons dans les rouages de la mécanique institutionnelle communautaire, il est intéressant de revenir sur le procès ayant récemment opposé l’entreprise Microsoft aux autorités européennes.

C’est là pour nous l’occasion de souligner l’importance du rôle de la Commission européenne dans le respect des droits des consommateurs dans les domaines économiques et commerciaux.

Des domaines bien spécifiques où, de par les stipulations des Traités, cette Institution communautaire a pour rôle d’incarner l’intérêt général européen.

La semaine dernière s’est déroulé, sur cinq jours, un procès ayant opposé la Commission européenne à l’entreprise « Microcomputer Software Corporation », alias Microsoft. Un procès qui s’est déroulé dans le silence médiatique mais qui était néanmoins d’une très grande importance.

L’un des enjeux de ce procès n’est rien de moins que la crédibilité de la Commission européenne en matière économique (sans même parler de la ’’mise à plat’’ des actuelles pratiques commerciales de l’entreprise Microsoft...).

La bataille judiciaire a commencé.

Dans le domaine économique la Commission européenne a un rôle d’impartialité très important : elle vérifie notamment que les règles de la concurrence ne sont pas faussées (i. e : qu’il y a bien un « régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur » ) [1].

Ce pourquoi, dans le cadre d’une politique ’’anti-trust’’, elle s’oppose ainsi à deux types de pratiques : les ententes commerciales anti-concurrentielles et les abus de position dominante [2].

Pour ce faire, la Commission est donc amenée à régulièrement consulter tous les acteurs du marché concerné : lobbies économiques, ONG, États, partenaires sociaux, etc... et à écouter les plaintes des uns et des autres. Ces dernières années, la Commission européenne à s’est intéressée plus particulièrement au marché des logiciels multimedia : domaine où, jusque là, Microsoft régnait sans partage.

Microsoft condamné par la Commission : le début du combat judiciaire

En 2004, la nouvelle tombe : la Commission européenne venait de condamner Microsoft pour abus de position dominante. Une première condamnation retentissante qui prend alors une ampleur énorme, ne serait-ce qu’à cause du montant de l’amende qui est alors infligée à l’éditeur de logiciels : 497 millions d’euros !

En fait, plus que l’amende, la Commission européenne a surtout contraint Microsoft à commercialiser son logiciel d’exploitation « Windows » sans le lecteur multimedia « Windows Media Player » qui jusque là lui était joint d’une part, et de partager plus d’informations techniques avec ses concurrents d’autre part.

Et ce, alors même que l’entreprise créée par Bill Gates avait décidé de vendre les deux produits en même temps précisément pour mieux terrasser la concurrence. Par cette décision de la Commission, ce sont en fait toutes les pratiques commerciales de Microsoft qui étaient là remises en question.

Des moyens mis en œuvre à la hauteur des enjeux du procès

Dès sa condamnation, en mars 2004, Microsoft a engagée une procédure d’urgence pour demander à la justice européenne de suspendre cette condamnation (en attendant que celle-ci soit examinée sur le fond du dossier...).

Le « Tribunal de Première Instance » (TPI) de la « Cour de Justice des Communautés Européennes » (CJCE) [3] avait alors rejeté cette requête. A l’heure actuelle, la condamnation en justice de 2004 a ainsi fait perdre à Microsoft près de 699 millions de Dollars [4].

Or, la semaine dernière, le dossier devait donc être à nouveau examiné par le TPI-CJCE. La Cour de Luxembourg (présidée par le juge danois Danois Bo Versterdorf) devant ainsi statuer sur la légitimité économique et technique de cette double condamnation lors de cette procédure d’ ’’appel sur le fond’’.

À cette occasion, devant l’importance de l’affaire, les grands moyens ont été mis en oeuvre par les différentes parties. Ainsi, les juges de la Cour de Luxembourg ont, pendant 5 jours, écouté chacune des parties : Microsoft étant, selon l’AFP, représenté par 60 ’’plaideurs’’, contre « seulement » 30 pour la Commission.

Intérêt commercial...

Les effets de la condamnation de Microsoft, en 2004, se sont déjà fait ressentir sur le marché. La mise en vente de la version d’unev version de « Windows » sans le logiciel « Media Player » a été un cuisant échec pour l’entreprise de Bill Gates.

La commercialisation de « XPN » à l’été 2005 n’a pas été non plus un très grand succès : les fabricants de PC ne livrant aucun de leurs produits avec cette version de Windows ne comprenant pas de lecteur multimedia incorporé (et puisque préférant même proposer les anciennes versions à leurs clients...).

Cet état de fait devenant un des principaux arguments de défense de Me Bellis (avocat belge de Microsoft) qui, comme « il n’y a pas de demande pour une version de Windows sans la fonctionnalité multimedia », demande l’annulation de la décision de la Commission.

... contre Intérêt des consommateurs.

En revanche, la Commission européenne estime (par la voie de son avocat, Me Hellstrijm) que Windows et son lecteur media ne constituent pas « un bloc indivisible » et qu’il faut laisser le choix au consommateur et aux fabricants d’ordinateurs.

L’avocat trouvant même l’argument de Microsoft tout particulièrement cynique : si - après six ans de vente liées - il ne peut y avoir de demande pour le Media Player seul, « c’est en fait que la stratégie de Microsoft a eut tout son impact : le Marché a été verrouillé ». L’enjeu pour la Commission est ici d’éviter que le « Media Player » de Windows ne terrasse trop vite toute concurrence potentielle [5] comme l’éditeur de Seattle l’avait déjà précédemment fait avec « Internet Explorer ».

le concurrent de ce dernier, le logiciel Netscape n’étant alors pas intégré aux différentes versions de Windows, les fabricants se sont alors tous tournés vers « IE ». Il avait fallu attendre l’arrivée de « Mozilla », notamment, pour que le consommateur ait à nouveau réellement le choix.

L’autorité de la Commission mise en jeu

Les enjeux de ce procès sont très importants. Ainsi, d’après Me Flynn, avocat pour l’association Ecis [6] : « si on n’arrête pas Microsoft, ils recommenceront ».

De plus, si jamais la Cour européenne devait finalement estimer que la firme américaine avait jusque là agit en toute légalité et devait finalement prononcer la nullité de la décision de la Commission européenne, l’autorité de cette dernière en matière de concurrence pourrait s’en trouver durablement affaiblie.

En tout cas - bon point pour la Cour - tous les intervenants et tous les observateurs présents ont trouvé les Juges très compétents : posant aux deux parties des questions pertinentes même sur des points très techniques. Et ce, notamment par le biais du Président du Tribunal (le Danois Bo Versterdorf) et du juge rapporteur (l’Irlandais John Cooke). Le directeur des affaires juridiques de Microsoft, Thaiman Samman s’est même ainsi déclaré « impressionné », reconnaissant que les juges en charge du dossier en « maîtrisaient très bien les enjeux » [7].

L’inter-opérabilité : une notion déterminante entre les mains des Juges

La question la plus cruciale lors de ce procès aura été l’examen du concept d’interopérabilité [8] entre les logiciels extérieurs et le système d’exploitation Windows. En effet, Microsoft argue du fait que devoir communiquer des éléments techniques sur ses produits viole ses droits issus de la propriété intellectuelle, via le droit d’auteurs.

Ce à quoi la Commission a répondu en faisant comparaître un « témoin-surprise », savoir M. Andrew Tridgell, fondateur du logiciel libre « Samba ». Et, lors de sa comparution, celui ici a très clairement démontré que la demande d’information faite à Microsoft n’avait franchement rien d’excessif,

L’appréciation de ces différents arguments restant encore aujourd’hui entre les mains des Juges de la Cour. La décision finale du tribunal ne devrait pas être délivrée avant la fin 2006  [9]. Il est pourtant inutile de dire à quel point l’issue de cette bataille judiciaire est attendue.


Notes

[1Voir notamment les Art. 81 à 89 du Traité d’Amsterdam.

[2Art. 81 et 82 du Traité.

[3Le Tribunal de Première Instance (TPI) est entré en fonction le 1er novembre 1989 pour désengorger la CJCE. Il peut juger les recours en annulation contre les décisions individuelles en vertu de l’Art. 173 al. 2 du Traité d’Amsterdam. Comme la CJCE, il se trouve situé à Luxemboug.

[4Il faut noter que le pourvoi n’est pas suspensif.

[5On pense notamment à l’alternative « Real Player » de « Real Networks ».

[6Regroupant de grands industriels tels Oracle ou IBM aux côté de la Commission.

[7Déclaration à Paris à l’occasion de la présentation de Microsoft le 28 avril 2006 au Théâtre Marigny de sa conférence de presse sur sa « vision de l’Internet de demain ».

[8Lors de ce procès, le concept d’interopérabilité a été étudiée lors des journées de mercredi, jeudi et vendredi.

[9On parle même de janvier 2007.

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