Mobilité européenne : l’heure est à la crispation

Interview de Pierre Henry, président de France Terre d’Asile

, par Laurent Nicolas

Mobilité européenne : l'heure est à la crispation

France Terre d’Asile, qui milite pour la protection des réfugiés et les droits des migrants, se positionne dans les colonnes du Taurillon sur la question de la mobilité en Europe et de la politique européenne des visas. Pierre Henry, sont président, répond à nos questions.

Le Taurillon : Quel regard porte une organisation comme France Terre d’Asile sur le régime de visas qui perdure dans de nombreux pays voisins de l’Union européenne, que ce soit dans les Balkans, le Caucase, ou dans des pays comme la Biélorussie ? Êtes-vous favorables à l’abandon des visas sur l’ensemble du continent européen ?

Pierre Henry : La politique des visas est un moyen aujourd’hui pour l’Union européenne de contrôler les flux migratoires au départ des pays d’origine. France terre d’asile ne remet pas en cause le droit souverain des Etats à contrôler l’entrée et le séjour sur leur territoire. Cependant, en tant qu’organisation de défense du droit d’asile et des droits des migrants, nous considérons que ce pouvoir doit s’exercer en conformité avec les obligations internationales et européennes des Etats membres. Parmi ces obligations fondamentales, l’accueil des réfugiés et son corolaire, le principe de non refoulement, mais également le droit de vivre en famille s’imposent à l’Union européenne.

Or, la politique des visas telle qu’elle est conduite par les Etats membres, couplée avec le renforcement des contrôles aux frontières extérieures, ont un impact certain sur l’accès au territoire européen de ressortissants de pays que nous avons le devoir d’accueillir. Ainsi, environ 90 % des demandeurs d’asile entrent irrégulièrement dans l’Union européenne, prenant des risques importants pour accéder à la protection chez nous. Au début des années 1980, la proportion était pratiquement inversée.

Le régime des visas ne prend donc pas en considération ces situations dans la mesure où il poursuit uniquement un objectif de gestion des flux migratoires. Cela concerne dans les mêmes termes les ressortissants de pays européens non membres de l’Union que les pays asiatiques et africains. Il convient de souligner cependant que l’Europe (Turquie comprise) constitue le premier continent d’origine des demandeurs d’asile en France représentant près de 40 % des demandes de protection internationale enregistrées en 2009.

Le Taurillon : L’Union européenne accompagne certains de ses voisins vers la libéralisation des visas. Pourquoi ce processus est-il si long, et comment l’améliorer ?

Pierre Henry : La crise économique qui frappe le continent tétanise tout processus de libéralisation des visas. L’heure est à la crispation. Les politiques migratoires en sont l’exemple en Europe. L’orientation prioritaire est d’abord au contrôle des frontières. Les flux financiers consacrés à cet aspect sont très significatifs et en augmentation chaque année.

Les Etats membres sont davantage concernés par le contrôle des flux migratoires que par le développement des relations avec les pays européens en dehors de l’Union européenne. Le lien qui a été établi au début de l’année par les autorités belges entre l’augmentation de la demande d’asile serbe et macédonienne et la levée de l’exigence de visa pour les ressortissants de ces pays illustre que ces pays sont encore perçus comme des risques migratoires plutôt que comme des partenaires. D’ailleurs, ce manque de confiance s’exprime également à l’égard des nouveaux entrants dont la liberté de circulation et d’installation est jusqu’à aujourd’hui fortement encadrée. Le traitement des populations roms originaires de Roumanie et de Bulgarie par les autorités françaises en est un triste exemple.

Le Taurillon : Sur la question des visas, l’Union est beaucoup plus volontariste vis à vis des pays européens qui ne sont pas membres de l’UE, que vis à vis des pays africains, ou latino-américains par exemple. Est-ce justifié ?

Pierre Henry : Nous comprenons que l’Union européenne souhaite renforcer sa politique de voisinage sociale et culturelle, en particulier en ce qui concerne la circulation des frontaliers. Cependant, les accords de facilitation de délivrance de visas avec les pays des Balkans et d’Europe orientale sont en principe couplés avec des accords de réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière sur le territoire de l’Union mais également, dans certains cas, d’étrangers ayant transité par les pays partenaires avant d’être entrés dans l’Union.

En d’autres termes, les accords de facilitation constituent une sorte de récompense pour la participation de ces pays à la politique d’immigration de l’Union européenne et la mise en place d’un cordon sécuritaire autour de nos frontières. France terre d’asile émet de nombreuses réserves à cette externalisation de la gestion des flux migratoires vers des Etats qui ont encore d’énormes progrès à faire dans le domaine des droits de l’homme et des droits de réfugiés.

Le Taurillon : La mobilité à l’intérieur du continent est un enjeu fondamental pour les jeunes d’Europe. Et pour les jeunes moldaves ou ukrainiens, cette mobilité est rendue extrêmement difficile du fait du système des visas. Mais avant d’en finir avec les visas, quelles solutions proposer à ces jeunes pour favoriser les échanges ?

Pierre Henry : Le développement des visas de circulation permettant des entrées multiples sur le territoire de l’Union européenne est une piste à étudier sérieusement. Nous considérons cependant que cette solution ne devrait pas être réservée qu’aux seuls ressortissants moldaves ou ukrainiens. Par ailleurs, il faudrait renforcer les programmes d’accueil dans le cadre universitaire.

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Vos commentaires
  • Le 17 octobre 2010 à 06:38, par Martina Latina En réponse à : « Mobilité européenne » et VIELSPRACHIGKEIT : « sur la route », entre « crispation » et « initiatives individuelles ».

    Merci au TAURILLON qui continue d’enlever les obstacles après les avoir repérés, comme son fameux prédécesseur enleva divinement la princesse proche-orientale EUROPE pour faire d’elle la mère de sa progéniture,

    c’est-à-dire de la royauté démocratique appelée L’EUROPE, certes née en Crète voilà trois mille ans des moyens de contact phéniciens que sont les techniques nautiques et l’art alphabétique, mais toujours en devenir entre nos mains, nos langues et nos pas !

    Merci donc au TAURILLON pour sa pluralité linguistique également, privilégiant les initiatives pour dissiper les crispations, avec entre autres ses frères EUROBULL, TREFFPUNKT EUROPA...

    ES LEBE DIE LEBHAFTE VIELSPRACHIGKEIT : vive la vivante ouverture polyglotte

    qui doit se développer, par des politiques d’intégration et d’éducation harmonisées, pour que l’EUROPE soit digne de son nom signifiant VASTE-VUE et qu’elle devienne ainsi, non pas une simple zone de libre échange, mais un vibrant espace d’échanges libres.

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