Alors que la crise de la social-démocratie nourrit abondamment les blogs et les sites dans toute l’Europe, il est tentant d’attribuer la montée progressive du Libdem dans les sondages à une tendance structurelle de la vie politique en Europe occidentale : la constitution d’un centre qui, sans pouvoir l’emporter, rompt avec le bipartisme ambiant.
Une situation inédite
Comment échapper à la comparaison entre le Libdem anglais et le MoDem , ou Europe Écologie en France. Dans les deux cas, l’une des principales causes de la montée en puissance de ces forces au sein de la vie politique provient en partie de la crise de celle-ci. Un relatif désenchantement vis-à-vis de la politique, et les scandales des notes de frais des députés qui ont éclaboussé les Tories comme le Labour expliquent en partie cette montée en puissance. Ainsi, les femmes, mais surtout les moins de 35 ans et les premiers votants, semblent particulièrement séduits par le Labour.
La tactique de Nick Clegg rappelle aussi celle de François Bayrou en son temps. Nick Clegg semble avoir repéré que le maillon faible de la campagne était très clairement le Labour, et mise aussi une partie de sa victoire sur un effondrement de celui-ci. Dans un entretien au Times, le 28 avril, il affirme qu’il n’y a plus que deux discours face au changement : le sien et le discours conservateur, les libéraux étant devenus selon lui la force motrice du centre-gauche.
Il serait faire injure que d’attribuer les bonnes performances de Nick Clegg à un simple vote de protestation. Les valeurs qu’il défend, sans doute davantage celles en faveur de l’environnement qu’en faveur de l’Europe, sont sans doute plus populaires. Si Clegg est de toute évidence le plus européen des trois candidats, n’excluant pas par exemple le rattachement à la zone euro, il reste néanmoins prudent, excluant tout rattachement à cette zone à court terme, et devant être soumis par référendum.
Vers un réel tripartisme en Grande-Bretagne ?
Il ne faudrait certainement pas confondre la sensibilité des populations, et la réalité de la vie politique, sensiblement différente, suivant le mode de scrutin (uninominal à un ou deux tours, ou proportionnel).
Le regretté Jacques Marseille, dans le cas de la France, avait affirmé que depuis 1974, à chaque élection, s’exprimait une France découpée en trois : l’une à gauche, l’autre au centre, une troisième à droite. L’aile centriste du PS, l’aile centriste de la droite, et les partis centristes exprimaient toujours à peu près un tiers des voix.
Dans le cas de la Grande-Bretagne, il ne faut pas oublier, que cette fibre centriste existe certainement, et s’exprime à travers la candidature du Libdem. Pourtant, malgré de bons sondages, il reste assez peu probable que la victoire échappe à David Cameron. Dans le meilleur des cas, le Libdem devrait simplement jouer le rôle d’arbitre, dans un parlement sans majorité, qui risque de lasser assez rapidement les britanniques, peu habitués à ce genre de situation (la dernière coalition remonte à plus de trente ans), contrairement à nos voisins allemands où droite et gauche gouvernent dans la Grosse Koalition. Ce rôle d’arbitre fait peur aussi bien aux conservateurs, qu’aux travaillistes. Les conservateurs axent désormais leur stratégie anti-Clegg en agitant le chiffon rouge sur un éventuel parlement hybride, paralysé, et un Nick Clegg prenant ainsi « le pays en otage ».
L’issue envisageable pour le Libdem, malgré les assertions de Nick Clegg qui a confié au Times, le 28 avril, qu’il se « verrait bien premier ministre », reste bien l’alliance avec les travaillistes, écartée tout d’abord par Nick Clegg le week-end dernier, après un échange de mot aigre-doux avec le Labour. Le Labour, malgré des sondages défavorables risque d’avoir le nombre de sièges le plus important, mais certainement pas de majorité absolue. Nick Clegg tente de souffler le chaud et le froid, n’excluant ni accord avec les Tories, ni accord avec le Labour, à condition toutefois dans ce dernier cas, que Gordon Brown aille retrouver les vertes prairies de son Écosse natale, loin du 10 Downing Street. L’alliance avec les conservateurs se ferait en échange d’une réforme du mode de scrutin, hypothèse qui divise les Tories, et que David Cameron a tenté d’écarter d’un revers de la main.
Le rôle des médias
« Lorsque vous montez dans les sondages, mille et une manœuvres voient le jour, destinées à vous faire redescendre au plus vite ». Cette phrase de François Bayrou durant les élections de 2007 trotte peut-être dans la tête de Nick Clegg, qui doit essuyer à la fois les tracts travaillistes sur le thème « votez Clegg, vous aurez Cameron », et les manœuvres de David Cameron, qui rappelle ses deux engagements en faveur de l’environnement, et de la défense des libertés individuelles, chères aux Tories. Le rôle des médias, dans cette tentative de déstabilisation, est évidemment éminent.
Les médias, Nick Clegg, les maitrise parfaitement. Ses prestations télévisuelles l’ont fait sortir de l’anonymat, et ses partisans déchainent leurs passions sur internet. Le site internet du Libdem a vu sa fréquentation multipliée par huit après le premier débat télévisé.
Pourtant, c’est bien un univers médiatique majoritairement hostile aux libéraux, qui reste le plus grand danger du leader d’un parti absent du pouvoir depuis Llyod George en 1922. L’influence de Robert Murdoch, le propriétaire de la 88e fortune mondiale, du News of the World et du Times reste très patente dans le paysage médiatico-politique britannique. Cet eurosceptique convaincu (les journaux qu’il possède en Irlande ont milité pour le non au traité de Lisbonne) ne cache pas ses affinités avec les néoconservateurs américains : son plus grand fait d’arme reste peut être le soutien de la plupart de ses journaux à l’invasion américaine en Irak en 2003. Le parallèle français se poursuit, quand on connaît le passif de la relation entre François Bayrou et la chaine de télévision TF1, et lorsqu’on se rappelle que les différentes protestations du leader du MoDem français quant à son traitement minoritaire dans certains médias ont été fréquentes au cours des dernières élections.
Il reste que si Murdoch, et une bonne partie de la presse, sont incontestablement éloignés des convictions démocrates, la presse britannique n’est cependant pas détenue exclusivement par le lobby conservateur. Le Guardian reste plutôt proche du parti travailliste, et The Independent soutient des idées très proches du LibDem, notamment sur le développement durable. La campagne électorale britannique, intéressante à plus d’un titre pose toutefois la question de l’indépendance médiatique, question qui se pose bien entendu à l’échelle européenne. L’intervention d’internet et des blogs dans les campagnes politiques a-t-elle permis de relativiser le poids des quotidiens, et donc favorisé une montée en puissance de Nick Clegg ? Il faudrait être prudent avec cette séduisante hypothèse.
L’aspect positif de cette élection, est qu’elle risque de permettre à un parti qui place l’Europe au sein de ses priorités de posséder d’un nombre important de siège au parlement, et donc d’aider à instaurer un véritable débat sur les questions européennes en Grande-Bretagne. Mais la vraie question, vu de France, demeure celle-ci : en cas de victoire des conservateurs (la montée du Libdem favorise plutôt la chute du Labour), quelle sera la stratégie de Nicolas Sarkozy, et comment compte-t-il gérer l’alliance franco-britannique, face à un premier ministre tout juste euro-compatible, soutenu par un parti majoritairement eurosceptique ?
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