Nucléaire iranien : l’Europe impuissante ?

, par Quentin Weber-Seban

Nucléaire iranien : l'Europe impuissante ?

L’Iran vient de raccorder pour la première fois une centrale nucléaire à son réseau électrique. « L’Ouest », qui y voit un premier pas vers la bombe nucléaire, avait pourtant tout fait pour empêcher cette construction. Catherine Ashton vient de répondre officiellement à la demande iranienne de reprise des négociations. Si elle se dit prête à cette reprise, elle insiste toutefois sur la nécessité de rétablir d’abord la confiance.

Depuis, le régime iranien s’est à plusieurs reprises dit prêt à des concessions pour reprendre des discussions diplomatiques au point mort, concessions jugées encore insuffisantes par la diplomatie européenne pour restaurer la confiance. Accaparée par ses enjeux intérieurs, qui concernent directement sa survie, l’Union européenne vient de gâcher une opportunité de définir un pan de sa politique extérieure.

En Iran, tout a changé et rien n’a changé. D’un côté, le pouvoir est divisé comme jamais. Il ne s’agit plus de la contestation du mouvement vert, laminé par une répression méthodique, mais d’une féroce lutte de pouvoir entre plusieurs factions à l’intérieur du régime.

Pour simplifier, le camp du président Ahmadinejad, qui a théoriquement une légitimité populaire, est opposé d’un côté au clergé autour du guide suprême Khamenei, qui dispose d’une légitimité religieuse, et d’un autre au Parlement, qui l’accuse de systématiquement prendre des décisions sans le consulter – ou sans tenir compte de son avis.

Cette lutte de pouvoir a été révélée au grand jour depuis une dispute entre Khamenei et Ahmadinejad autour de l’éviction du ministre de l’information, et chaque camp se rend coup sur coup – tout en veillant à préserver le régime. De ce point de vue là, rien ne change sur le plan du programme nucléaire : même l’opposition y est favorable, et ce pour une série de raisons. Les principales sont la fierté et l’indépendance nationale – officiellement, il ne s’agit que de nucléaire civil – ainsi que la volonté d’être reconnu comme une puissance régionale. Des raisons qui rappellent sensiblement le consensus nucléaire en France.

Il y a par ailleurs une incompréhension – feinte ou non – de l’attitude de la communauté internationale : signataire du Traité de Non-Prolifération (TNP), l’Iran a droit au nucléaire civil. La République islamique a même souscrit à des conditions plus dures en signant un protocole additionnel. Mais c’est justement là que le bât blesse : selon l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA, chargée de faire respecter le TNP, il n’y a certes pas de preuves d’un programme militaire iranien, mais un manque de coopération flagrant. Les derniers évènements n’ont en rien fait évoluer la position de la communauté internationale et notamment de l’Europe.

Dans les années 1990, l’Union avait inauguré une politique de dialogue avec le régime des mollahs. Depuis la révélation d’un site secret d’enrichissement d’uranium, la confiance a été rompue. Ces dernières années, la politique iranienne de l’UE s’est réduite à l’alignement sur la position des États-Unis par le vote de sanctions de plus en plus sévères. En 2009, le semblant de négociation qui subsistait a été rompu suite au trucage de l’élection présidentielle et à la répression des manifestations qui a suivi.

En septembre, cependant, la situation a de nouveau évolué : l’Iran a achevé et raccordé sa première centrale nucléaire, à Bouchehr. Commencée sous le Shah, la construction a subi les aléas de la situation géopolitique pour être finalement achevée avec l’aide de scientifiques russes, qui ont toutefois failli interrompre leur collaboration en raison des conditions de sécurité de la centrale, mais aussi à cause d’un manque de confiance quant aux réelles motivations des Iraniens. Un incident nucléaire a ainsi retardé d’au moins un mois la mise en service de la centrale.

Cette incontestable réussite est une défaite sur tous les plans pour l’UE : tout d’abord, elle aura été impuissante à empêcher cette construction. De manière opposée, cela illustre à quel point elle a perdu son influence en Iran, surtout sur un marché pour lequel elle a pourtant de réelles compétences, notamment en matière de sécurité des sites. Enfin, le manque de commentaires sur sa mise en service illustre la difficulté à mettre en place une politique étrangère commune.

Profitant de son avantage, l’Iran s’est dit prêt à reprendre les négociations sur l’enrichissement de l’uranium. Elle y a tout intérêt, maintenant que sa capacité nucléaire, au moins civile, est un fait accompli, et qu’un nouveau rapport de l’AIEA déclare une nouvelle fois qu’il n’y a pas de preuve d’un programme militaire. Cependant, il y a du côté des Occidentaux peu de chances de déblocage.

Tout d’abord, l’Iran se refuse toujours à un geste qui pourrait rétablir la confiance. Les négociateurs ont certes mis sur la table de faciliter le travail des enquêteurs de l’AIEA, mais Catherine Ashton a fait remarquer que c’était un préalable. Par ailleurs, aussi bien Cameron que Sarkozy ont fait de l’intransigeance envers l’Iran un de leurs chevaux de bataille.

Mais ce qui empêche surtout une reprise des négociations est le contexte politique des pays concernés. Obama avait certes tenté de donner une inflexion à la politique iranienne des États-Unis, mais il est maintenant trop affaibli pour continuer. Surtout, du côté européen, la crise de l’euro empêche toute nouveauté dans d’autres domaines. Cela montre un nouvel aspect de la gravité de la crise politique que traverse l’Europe : l’incapacité à être présent sur plusieurs sujets.

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