Constitution européenne

Plaidoyer pour un rebond citoyen après l’échec du 29 mai

, par Ian De Bondt

Plaidoyer pour un rebond citoyen après l'échec du 29 mai

Le 29 mai dernier, les Français se sont prononcés contre le « Traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Après plusieurs mois de rudes débats et de polémiques, la France a donc refusé un texte qui permettait enfin à l’Europe d’être vue non plus seulement comme une communauté économique mais également comme une Union mobilisée par de grands objectifs démocratiques et sociaux ainsi qu’une véritable force politique internationale grâce à la mise en place d’un service diplomatique européen avec à sa tête un Ministre européen des Affaires étrangères.

1- L’échec du 29 mai

Quelques jours avant le référendum, Josep Borell, Président du Parlement européen, mettait en garde la France contre la tentation de donner « un coup de pied au cul du Gouvernement sur les fesses de l’Europe ». Pourtant quand on interroge les partisans du Non, on s’aperçoit que leur principale motivation est la mauvaise situation économique et sociale de la France.

En effet pourquoi avoir refusé une construction dont la France a été à l’origine ? Pourquoi avoir rejeté un texte marqué par l’influence française ? Pourquoi abandonner une entreprise qui sert de référence démocratique à de nombreuses régions du monde ? Pourquoi ne pas accepter un Traité constitutionnel qui est l’œuvre, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe, d’une assemblée représentant tous les Gouvernements et Parlements nationaux, et les institutions communautaires ?

Une Constitution n’est qu’un cadre juridique permettant aux institutions de fonctionner de manière transparente et démocratique et de mettre en place les politiques pour lesquelles les dirigeants ont été élus. A ceux qui critiquaient la présence de la partie III sur les politiques de l’Union, il ne faut pas seulement répondre que ces dispositions existaient déjà, mais qu’elles conservent, Constitution votée ou non, tout leur poids juridique ! Elles ont la même valeur dans les Traités précédents que celles qu’elles auraient eu avec la Constitution.

La diabolisation du « plombier polonais » qui viendrait « manger le pain des français » est choquante et économiquement simpliste et réductrice.

L’erreur a été de donner à cette Constitution un rôle que jamais elle n’a revendiqué. Ce n’est pas elle qui va nous permettre de diviser notre taux de chômage par deux . Et inversement, la construction européenne n’a pas créé 10% de chômeurs en France ! L’Europe, il est vrai, pose des règles, mais a-t-elle empêché la politique de nationalisation de François Mitterrand en 1982-83 ? Elle n’est pas là pour défendre telle ou telle politique. C’est aux gouvernements de gauche ou de droite de les définir.

Avec ce Traité nous était proposé le passage d’un simple espace juridique et économique sans frontière à une Union liée par des objectifs sociaux équilibrant la logique du marché.

La diabolisation du « plombier polonais » qui viendrait « manger le pain des français » est choquante et économiquement simpliste et réductrice. Non seulement cet argument a des relents xénophobes mais il accrédite l’illusion d’une France capable de vivre en marge de la mondialisation. Une certaine France est sans doute irrécupérable pour construire enfin cette Europe ouverte, tolérante et fédérale. Toutefois pour emporter l’adhésion du Non « anti-technocratie bruxelloise » qui lui représente sans doute un profond malaise, nous nous devons de rendre à l’Europe son utopie, celle d’une Union des peuples, d’une communauté d’échanges et de diversités envers laquelle les citoyens auraient un profond sentiment d’appartenance.

Une partie du Non de gauche, pas la totalité bien sûr, l’objectif n’étant pas de le diaboliser, a légitimé un vote populiste en se ralliant à l’idée « droitière et xénophobe »(expression du philosophe allemand Jürgen Habermas), selon laquelle « l’abolition des frontières entraînerait des conséquences sociales indésirables. Alors comment faire croire que l’Etat-nation serait un rempart adéquat et suffisant pour faire face aux conséquences de la mondialisation ? Celle-ci est un fait. Arrêtons de croire que l’on pourra y échapper, ni d’ailleurs qu’il faille y échapper. Essayons plutôt de nous adapter en construisant une Europe forte afin d’en tirer le meilleur pour la croissance et l’emploi.

Comme l’a rappelé Jean-Marie Colombani, directeur du « Monde », il était illusoire de croire que le Non était de gauche alors que toute l’Europe progressiste et syndicale avait appelé à voter Oui.

Des inquiétudes légitimes sont toutefois à retenir parmi celles entendues dans le camp des opposants à la Constitution. Parmi elles, le manque de participation citoyenne à la construction communautaire. On ne peut pas continuer à l’ignorer. Nous qui voulons une Europe politique, nous devons travailler à voir émerger une identité européenne.

2- L’Europe, quelles perspectives ? La France, quel avenir ?

Quel modèle veut-on donner au monde, alors même que le continent est considéré comme une alternative à l’unilatéralisme américain ? En Amérique du Sud, en Afrique, l’Europe est admirée pour ce qu’elle a construit en un demi-siècle après des siècles de guerres. En construisant un espace de paix, de démocratie et de liberté pour plusieurs centaines de millions de personnes, l’Europe représente une des plus belles aventures humaines contrastant avec les atrocités dont notre siècle fût le théâtre. L’abandon du Traité sera perçu à l’échelle mondiale comme l’échec d’un modèle qui tentait d’équilibrer les logiques libérales et sociales.

Refuser la Constitution, c’est revenir au Traité de Nice si bancal que tous les chefs d’Etat et de gouvernements qui l’ont négocié ont décidé de la réunion d’une Convention afin de réussir là où ils avaient échoué, c’est-à-dire donner un cadre à l’Europe lui permettant de fonctionner efficacement à 25, de s’affirmer internationalement, et de proposer enfin un projet politique au côté des objectifs économiques de 1957. A ceux qui croient à une renégociation, je leur réponds que sans doute des accords seront trouvés sur certains points faisant l’unanimité, mais les choix se feront sans eux car aucune reconsultation populaire ne se fera. Quant à ceux dont l’argument était de mettre en avant un « abaissement de la France », nous leur répondrons qu’avec Nice notre poids au Conseil des ministres est de 50% inférieur à ce qu’il aurait été avec la Constitution.

Il est réaliste de rejeter le modèle anglo-saxon qui nous est sans doute culturellement inadapté, mais penser que le protectionnisme serait la réponse aux délocalisations ou à toute autre conséquence de la mondialisation, serait purement utopique. Une alternative européenne est possible, ne l’abandonnons pas pour une pseudo-solution sociale qui reprend à son compte les arguments d’une frange politique située à l’autre extrême de l’échiquier politique. A la lutte pour l’égalité et pour la solidarité dont se réclame une partie du Non de gauche, vient se greffer une volonté farouche de défendre ses propres acquis sociaux, avec pour conséquence une négation totale de l’idée de développement mondial.

La Chine et l’Inde intègrent l’économie mondiale. Refuser de s’adapter à cette réalité et vouloir fermer nos frontières à ces pays, c’est refuser leur développement et c’est surtout avoir une vision économique à court terme niant les effets positifs de la croissance de deux pays représentant un marché de plus de deux milliards de personnes. Bien sûr des dangers apparaissent, bien sûr on ne peut accepter certaines pratiques illégales au niveau du commerce international et il est nécessaire que l’Europe soit assez puissante pour pouvoir négocier correctement avec les autorités chinoises, mais le protectionnisme ne protègera pas les perdants, il ne fera que paralyser les gagnants.

L’échec du 29 mai doit aussi créer un électrochoc dans notre pays. La France a des difficultés à se détacher de son passé de grande nation à visée universalisante. Acceptons la réalité, apprenons à répondre aux défis présents et sachons construire notre avenir. Il est indispensable de faire évoluer notre vision du monde et la place que nous y tenons. La France doit accepter l’idée qu’elle fait partie d’un tout qui s’appelle le monde et que ce monde évoluera avec ou sans nous. L’Europe nous donne l’occasion d’y faire notre place et au-delà même de le faire évoluer selon nos valeurs. Pour cela il nous faut dépasser notre nostalgie, pour élaborer un vrai projet européen porteur d’une culture et d’idéaux que 500 millions de personnes partagent.

Ces valeurs sont le fruit d’une Histoire et même si dans leur mise en œuvre les pratiques peuvent différer, la Constitution était semble-t-il parvenu à un compromis intéressant. Or en France ce compromis n’a pas été apprécié à sa juste valeur, puisqu’il a été compris comme un renoncement vis-à-vis de l’idée que l’on se faisait de « notre Europe ».

Le malaise mis en lumière le 29 mai reflète une difficulté d’appréciation par les Français d’une réalité européenne. Cette réalité nous oblige à abandonner l’idée que l’Europe doit être une « Grande France ». Non cette Constitution n’était pas fille de 1789 comme l’ont déclaré avec leur arrogance habituelle certaines autorités françaises. Elle était plurale et faisait de l’Union une « communauté d’autres ». Le but de l’Union est bien cela : organiser un espace de démocratie, de liberté et de paix, une communauté politique organisant la coexistence de 25 pays dont les diversités culturelles, socio-économiques et politiques existent, mais qui cherchent à définir un modèle cohérent face aux autres grands blocs internationaux.

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