Il n’en demeure pas moins que ces derniers la considèrent comme étant tout simplement scandaleuse. L’objet de cette agitation : la décision de la Banque centrale européenne (BCE) de mettre en place un programme d’achat d’obligations souveraines. Ces dernières pourraient ainsi être utilisées afin d’acheter les bonds du trésor nationaux sur les marchés, pour ensuite les vendre sous forme d’obligations à court terme (1 à 3 ans). Les courtiers des marchés boursiers défendent ardemment ce programme, tout comme les investisseurs et en particulier les gouvernements espagnol, italien et le reste des « PIIGS » (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne). Mais ils ne sont pas les seuls, puisque l’on pourrait probablement ajouter la France à cette liste. A l’inverse, les Etats du Nord ainsi que l’Allemagne, à des degrés différents, sont quant à eux opposés à la décision de la BCE.
Pourquoi la BCE a-t-elle raison ?
Le Président de la BCE, Mario Draghi, a baptisé son nouveau programme « Outright Monetary Transactions » (OMT). Ces transactions monétaires seront utilisées afin d’acheter les bonds du trésor sur le marché secondaire. Le programme devrait ainsi permettre d’acquérir une quantité de bonds suffisante pour que les taux d’intérêt soient contenus dans des limites « raisonnables ».
Il y a dès lors deux conséquences possibles à cela. La première est qu’en définitive, la BCE remettra en marche la planche à billets et sera donc en mesure d’acheter un nombre illimité d’obligations, faisant d’elle un adversaire auquel aucun investisseur n’osera se frotter. En théorie, l’annonce seule devrait être suffisante pour calmer les marchés et empêcher les spéculateurs de faire augmenter les taux d’intérêt. Les pays de la zone pourraient ainsi emprunter à bas prix. Cette première solution est clairement l’issue idéale. Il existe cependant une seconde issue dans la mesure où une quantité de monnaie supplémentaire devra être mise en circulation pour financer de tels achats. Certains craignent que cela ne conduise à un potentiel début d’inflation, qui pourrait éventuellement paralyser l’économie, non seulement des pays du Sud mais également des pays du Nord, plus résistants. Néanmoins, derrière toutes ces craintes se cachent de bonnes nouvelles : l’achat illimité d’obligations se fera uniquement quand un pays acceptera de mettre en place les réformes nécessaires et se glissera sous la protection du MSE – ce qui suppose d’accepter une supervision étrangère par le FMI.
L’impact de l’OMT :
L’annonce de l’OMT a déjà eu un effet sur les marchés : pas seulement en ralliant les marchés boursiers, mais aussi en faisant chuter les primes de rendement. Les rendements espagnol et italien ont ainsi considérablement diminué depuis la promesse de Draghi en juillet de prendre toutes les mesures nécessaires afin que les taux d’emprunt soient revus à la baisse.
Parallèlement, le fait que la BCE ait apporté tout son soutien à l’OMT, en dépit des objections faites par le Président de la Bundesbank Jens Weidmann, ne va pas seulement réduire le coût des rendements à court terme. Il va également réduire celui des rendements de plus long terme, signe évident que les investisseurs reprennent confiance dans la capacité des Etats membres à surmonter rapidement leurs difficultés.
La baisse des taux d’intérêt est une bonne nouvelle pour Madrid et Rome. Pour autant, les préoccupations liées au « financement de l’État par de l’argent frais » (selon Weidmann) font naître une autre préoccupation : la crainte d’une dévaluation de la monnaie unique. Afin d’éviter tout risque d’inflation, la BCE va corréler simultanément ses achats d’obligations avec des ventes d’autres actifs de grande valeur– un processus dit de « stérilisation ».
Ceci, néanmoins, n’aura qu’un effet limité pour calmer les craintes liées à une dévaluation accélérée de la monnaie unique. Non pas parce que le processus de stérilisation ne fonctionnera pas, mais parce qu’il concentrera son action uniquement sur les achats d’obligations et non sur une divulgation de l’opération auprès du public. C’est ici que la BCE, et en particulier les gouvernements des Etats membres, devront s’impliquer davantage et expliquer aux citoyens les actions prises par les banquiers basés à Francfort. Si cette divulgation n’est pas faite, Mario Draghi devra s’attendre à ce que les mécontentements à son égard se fassent de plus en plus nombreux. La situation deviendra dès lors plus compliquée dans un contexte où Draghi doit déjà faire face à des sévères problèmes de confiance, surtout de la part des Allemands.
Ce que l’OMT ne permet pas :
Malgré l’impact psychologique que l’OMT pourrait avoir sur les marchés, l’Espagne et l’Italie sont loin d’être sauvées : leurs économies sont en difficulté, avec un taux de chômage des jeunes espagnols (et grecs) s’élevant à 50%. Peu importe la solution envisagée pour les secourir, le sauvetage de ces banques criblées de mauvais emprunts (bulle immobilière) coûtera entre 60 et 100 milliards d’Euros.
Par ailleurs, les régions espagnoles devraient bientôt recourir à de nouveaux emprunts pour équilibrer leurs budgets. En Italie, les réformes ont été interrompues – le marché du travail est toujours aussi rigide, quel que soit le secteur d’activité ; le système des retraites, toujours aussi généreux, et l’évasion fiscale constitue encore un obstacle majeur au recouvrement. La principale difficulté dépasse toutefois l’aide financière. Toutes ces réformes prendront effet seulement à long terme, soit d’ici 5 à 10 ans. Mais à plus court terme, certaines réformes devraient avoir l’effet inverse, en conduisant à un taux de chômage plus important ou à des manifestations populaires antigouvernementales. Ainsi, l’Agenda 2010 allemand est souvent cité comme le symbole de la politique d’Angela Merkel, fondée sur l’austérité et les efforts en matière d’efficacité, de productivité et de compétitivité. Il n’en demeure pas moins que par le passé, cette politique avait déjà conduit à la défaite du Chancelier Schröder, défaite qui hante encore son parti, le Parti social-démocrate (SPD). Cela a permis à Merkel de présenter fièrement les taux résistants du chômage.
Par conséquent, l’Europe doit absolument apporter son soutien aux pays entreprenant des réformes difficiles, en particulier lorsqu’il s’agit d’investissements et de levée de fonds importants visant à moderniser et à améliorer leurs industries. L’Union devrait par exemple encourager certains pays, à l’instar de l’Espagne, de l’Italie ou encore de la Grèce, à trouver des fonds pour investir davantage dans les industries vertes. Cela leur permettrait de tirer pleinement profit de leurs énergies renouvelables. Parallèlement, les partis politiques nationaux devront se rallier aux réformes et les soutenir, au lieu d’instrumentaliser le mécontentement populaire et les sentiments anti-européens pour leurs propres intérêts électoralistes. Si cela n’est pas fait, l’Espagne et l’Italie ne sortiront pas de la spirale infernale où elles se trouvent aujourd’hui et verront leur économie s’effondrer. Ce scénario catastrophe est-il probable ? Certes, l’issue décrite ici est celle à laquelle l’Europe devra s’attendre dans le pire des cas. Cependant, l’Union doit soutenir les pays investisseurs et porteurs de réformes, non pas pour créer une ou deux autres Allemagne, mais pour donner un futur aux citoyens des pays les moins développés.
Et après ?
Indépendamment des effets de l’OMT, le mode de financement qu’a choisi l’UE la mènera très probablement à une union bancaire plus rapprochée, voire à une union fiscale. Il faut s’attendre à ce que des oppositions naissent face à cette nouvelle orientation. C’est déjà le cas en Allemagne, principalement avec l’Union chrétienne-sociale (CSU) de Bavière, qui a essayé à plusieurs reprises de stopper la participation allemande aux divers sauvetages financiers et à la création du Mécanisme européen de stabilité (MES). Les États membres seront ainsi peu disposés à abandonner la supervision de leur système bancaire national. Cependant, en dépit de toute rhétorique populiste, il nous faut choisir entre plus d’intégration ou l’éclatement de l’Union, dans la mesure où son actuelle structure manque tout simplement de mécanismes de contrôle suffisants pour garantir son développement.
1. Le 24 novembre 2012 à 00:56, par Xavier C. En réponse à : Pourquoi la BCE a-t-elle raison de vouloir instaurer un programme d’achat d’obligations souveraines ?
Soigner la dette par de la dette. Des pays sont trop endettés ? Alors baissons les taux de manière artificielle pour qu’ils puissent continuer à s’endetter, à creuser leur propre tombe.
Pourquoi la BCE devrait-elle compenser le manque de rigueur de certains responsables politiques ?
Le surendettement de la Californie menace-t-elle le dollar ? Non. Le gouvernement fédéral américain demande-t-il aux américains de payer la dette californienne ? Non. Les USA vont-ils imploser à cause de cela ? Non.
L’État grec peut faire faillite (c’est chronique...). Ce n’est pas pour autant que l’économie grecque s’effondrera. Ah... si... Puisque toute son économie dépend de l’État, qui ne produit aucune richesse. Cela ne peut pas fonctionner. Alors pourquoi faire de l’acharnement thérapeutique ?
Les Suédois ont réformé avec succès leur État dans les années 90. Il y a d’autres exemples. Pourquoi les Grecs ne s’en inspirent-ils pas ?
Je mentionne les Grecs, mais c’est pareil pour tout le monde. Notamment les Français.
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