Président des Etats-Unis vs président de l’Union européenne

Que changerait le traité de Lisbonne ?

, par Fabien Cazenave

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Président des Etats-Unis vs président de l'Union européenne

Le traité de Lisbonne crée la fonction de président de l’Union européenne. Sera-t-il réellement l’équivalent du président des Etats-Unis d’Amérique ? Seront-ils d’égal à égal si une divergence apparaissait ?

L’une des grandes innovations du traité de Lisbonne est la création d’un « président de l’Union européenne » dans son article 15 du TUE [1]. Cela permettrait d’éviter d’avoir une présidence tournante du Conseil de l’Union européenne tous les six mois. [2]

C’est d’ailleurs un des arguments relevés par l’ensemble des partis européens lors de la dernière intervention de Nicolas Sarkozy devant le Parlement européen. Ils critiquent ainsi le manque de constance à la tête de l’Union européenne alors que celle-ci est face à la plus grande crise financière depuis celle de 1929.

Henry Kissinger : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? »

La fameuse interrogation d’Henry Kissinger est toujours d’actualité : pour réagir avec « l’Europe », les Etats-Unis doivent rassembler autour d’eux tous les pays européens : France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne, Portugal, Pologne, République Tchèque etc. Autant dire qu’ils ont tout intérêt à avancer sans attendre l’accord de ces interlocuteurs qui sont tous dans des situations nationales différentes.

Souvenons-nous de la guerre en Irak de 2003 où Georges W. Bush a su jouer habilement des divisions entre Européens pour pouvoir lancer finalement l’attaque contre Saddam Hussein, même sans mandat de l’ONU et donc dans le non-respect du droit international. Avec une seule personnalité s’exprimant au nom de tous les chefs d’États et de gouvernements, nous n’aurions plus a priori ce genre de problème puisque ce serait le représentant des pays de l’Union européenne, donc de 495 millions d’habitants, qui ferait face au président des USA.

De plus, tout comme pour les citoyens européens, les Américains pourraient matérialiser « qui est l’Europe ». L’Union européenne deviendrait ainsi un bloc plus unifié et donc pourrait apparaître comme un des interlocuteurs mondiaux incontournables, à l’instar des présidents chinois, russe et... américain.

Un futur président paralysé pour l’Union européenne ?

Les Jeunes Européens - France dans une de leur dernière résolution privilégient le président de la Commission dans le futur triumvirat [3] promis par le traité de Lisbonne.

Mais pourquoi les Fédéralistes semblent-il privilégier le président de la Commission européenne ? [4] Parce qu’il aura la légitimité démocratique, puisqu’élu par le Parlement européen. En effet, si certains veulent ajouter au traité de Lisbonne l’élection du président de l’UE à l’élection au suffrage universel, c’est parce que celui-ci est confronté à un problème de légitimité vis-à-vis du corps qui l’aura élu : le Conseil européen. En effet, ce dernier est composé de chefs d’États et de gouvernements qui ont été élus démocratiquement et qui ont ainsi reçu mandat de leurs citoyens pour les représenter au niveau international (et donc européen).

Le président de l’Union européenne peut-il prendre une décision qui aille à l’encontre de la volonté de plusieurs dirigeants européens ? L’exemple irakien est le plus explicite pour montrer que les divergences sont souvent présentes, alors même que la majorité des Européens semblaient opposés (à différents degrés) à cette guerre. Le président de l’Union européenne devra selon l’article 15 (6 ;c) oeuvrer pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen. Il ne pourra donc pas prendre une position qui casse cette cohésion et sera donc lié à la décision du Conseil...s’il y en a une.

Un président américain plus libre et donc plus fort

C’est là que réside la différence majeure entre les futurs présidents américains et européens :
 le président américain a été élu par les citoyens (même si c’est de manière indirecte) et peut donc se prévaloir de cette légitimité pour s’exprimer directement au nom des Etats-Unis dans le monde entier.
 le président européen ne pourra jamais être libre de ses propos car sa légitimité vient du Conseil européen qui peut lui retirer à tout moment son mandat s’il va trop loin sur un sujet. Il devra donc être très (trop ?) prudent.

Nous n’aurons donc pas un équilibre entre les deux présidences, même si le concept pouvait paraître séduisant. Bien sûr, il faut prendre aussi en compte les personnalités des deux présidents. Le comportement de Nicolas Sarkozy a été salué par toutes les classes politiques durant cette crise financière en raison de son dynamisme. Un futur président américain isolationniste (il ne serait pas le premier) donnerait une vraie fenêtre de tir (diplomatique) pour le président de l’Union européenne. Cependant, les divergences des systèmes ne peuvent nous faire espérer un réel changement dans le rapport de forces qui existent entre les deux rives de l’Atlantique.

On voit ici la différence entre le système fédéral américain qui permet une représentation claire à l’extérieur et le système politique « à mi-chemin » de l’Union européenne. L’intergouvernementalisme trouve ici une nouvelle limite.

Illustration : création par Fabien Cazenave.

Notes

[1Point 5 et 6.

[2Pour être exact, cette dernière continuera au niveau des différents conseils des Ministres. Mais l’impulsion politique actuelle est donnée par le Conseil européen qui dresse ainsi la feuille de route du Conseil de l’Union européenne.

[3Composé par le président de l’Union européenne, le président de la Commission européenne et le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

[4On peut également citer l’initiative de certains Jeffers de réunir en un seul poste les postes de président de la Commission et celui du Conseil européen. Cf : Who do I call.eu.

Vos commentaires
  • Le 1er novembre 2008 à 06:33, par Valéry En réponse à : Le présidence de l’Union européenne n’existe pas

    « Le traité de Lisbonne crée la fonction de président de l’Union européenne. »

    En fait non.

  • Le 1er novembre 2008 à 11:07, par Fabien Cazenave En réponse à : Le présidence de l’Union européenne n’existe pas

    Effectivement, il ne sera que président du Conseil européen. Mais il aurait cependant la charge de représenter le Conseil qui aura toujours une bonne part de l’impulsion politique.

  • Le 2 novembre 2008 à 00:42, par annie En réponse à : Le présidence de l’Union européenne n’existe pas

    Bon, premièrement, le traité dit de Lisbonne, est (pour le moment en tout cas) juridiquement mort. Donc, des plans sur la comète...En plus, deux rapports (un britannique, un suédois) montrent que visiblement le rôle des Parlements nationaux sera en réalité marginalisé : si c’est pour avoir une Europe impériale...Merci bien !

    Concernant la fonction elle même. Le traité ne crée rien...Puisqu’elle existe déjà ! Elle ne fait que rallonger le mandat de « l’élu » ! (Deux ans au lieu de six mois)

    Cette fonction s’apparente, par ailleurs, à une fonction de super Président du Sénat.

    En théorie, je veux bien admettre que le président du conseil de l’Europe (pour deux ans) pourrait (éventuellement) être pour une bonne part dans l’impulsion politique (mais cela dépend plus de sa volonté à le faire, à sa personnalité (il y a des présidents « discrets » et d’autres plus « expensifs ») et au pays (sur le plan national) qu’il représente ou incarne...Qu’à la mise en oeuvre d’un traité, quel qu’il soit. (Il est évident que si Monsieur Sarkozy, par ex, a pu se faire entendre, c’est parce que la France est présente dans beaucoup « d’Institutions » ou « d’organismes » européens ou/et internationaux (FMI, ONU, G8, etc.) et que sa voix porte...Même avec son « volontarisme » si Monsieur Sarkozy avait été président d’un « petit pays » comme par ex la Lettonie, il n’aurait pas pu être médiateur entre la Russie et la Georgie (Poutine s’est adressée à la France (appréciée par la Russie (et Poutine) depuis le coup de gueule de Monsieur Chirac sur l’Irak et autres thématiques mettant en porte à faux les USA)...Pas à l’Union Européenne (réputée atlantiste)), il n’aurait pas réussi à « européaniser » la crise financière, il n’aurait pas pu mettre en route un projet de « refondation » du capitalisme financier, etc.)

    En pratique, je doute que les relations soient si bonnes entre Président de la Commission, Président du Parlement européen, et Président du Conseil de l’Europe. Car tous estimeront être plus légitime que les autres...Et donc, plus à même de prendre les décisions !

    J’ajoute, enfin, que si le traité met fin (et encore) à la présidence tournante du Conseil...Pour le reste, les présidences des autres Institutions restent tournantes. Vive la clarté !

  • Le 2 novembre 2008 à 10:10, par Fabien Cazenave En réponse à : Le présidence de l’Union européenne n’existe pas

    Annie,

    Oui le traité de Lisbonne n’est pas entré en vigueur. Cependant, vous souvenez-vous des polémiques sur le « futur » président de l’UE dans les médias à propos de Tony Blair ? C’est une marotte qui revient de temps en temps comme lorsque Sarkozy s’est exprimé devant le Parlement européen récemment...

    Pour votre analyse de l’ « Europe impériale », euh... vous vous trompez de schéma politique : il y a des compétences pour chacune des institutions et des compétences qui resteront nationales. Et puis, le Parlement européen est le représentant des citoyens et aura plus de pouvoirs... donc les citoyens auraient plus de pouvoirs au sein de l’UE.

    Je pense par ailleurs que vous vous trompez sur le fait de dire qu’il n’y a pas de changement avec le traité de Lisbonne : s’il est vrai de dire que la fonction de président du Conseil européen existe déjà, là, ce ne sera pas un représentant d’un pays mais un membre « à part » qui sera élu par ses pairs. Il tiendra sa légitimité non d’un mandat national accompagné d’une rotation, mais d’un mandat du Conseil lui-même.

    Il aura cependant des pouvoirs limités et je vous renvoie donc à la lecture de la fin de l’article où il est expliqué que ce n’est pas le Pérou. Il ne s’agit pas de défendre le traité de Lisbonne dans cet article mais de démontrer que l’UE pour peser aura besoin de plus de légitimité démocratique : d’où l’importance du fait que le Président de la Commission tire sa légitimité du Parlement européen.

  • Le 5 décembre 2008 à 08:43, par toufik En réponse à : Le présidence de l’Union européenne n’existe pas

    a la final le poste de president de l’ue existe ou pas et sarkozy est president de koi en europe

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