Quel ministre français pour les Affaires européennes ?

, par Charles Nonne

Quel ministre français pour les Affaires européennes ?
Bernard Cazeneuve, Ministre délégué aux Affaires européennes et Martin Schulz, Président du Parlement européen Services audiovisuels du Parlement européen

Le 15 mai 2012, le député socialiste Bernard Cazeneuve a été nommé au poste de ministre délégué aux Affaires européennes, succédant au radical Jean Leonetti. Ce ministère a parfois été qualifié de secrétariat d’État aux Affaires européennes au gré des alternances et des remaniements ministériels. La représentation de la France auprès de l’Union européenne est une question cruciale et suppose une organisation cohérente et lisible ; pourtant, le ministère français des Affaires européennes a souvent constitué une simple variable d’ajustement lors des remaniements, permettant au Président de la République et au Premier ministre de satisfaire des exigences d’équilibre politique plus qu’une nécessité de gestion ambitieuse des dossiers européens.

C’est pour la première fois dans le gouvernement de Raymond Barre, en 1978, qu’un membre du gouvernement s’est vu confier la tâche de traiter la plupart des questions relatives aux institutions européennes et à l’intégration européenne. La nouvelle fonction créée visait notamment à représenter la France au sein des institutions bruxelloises pour les questions de politique générale. Ce poste, existant depuis trente ans et presque sans interruption, a pu s’institutionnaliser au sein de l’organisation gouvernementale française. Le ministère délégué aux Affaires européennes fut très souvent rattaché à la tutelle du ministre des affaires étrangères. Il fut parfois confié à des personnalités politiques éminentes, comme Michel Barnier, Elisabeth Guigou ou Pierre Moscovici.

Une fonction dévalorisée et vidée de sa substance par la présidence de la République

Aussi importante qu’elle puisse être, la fonction de ministre délégué aux Affaires européennes n’a suscité que peu d’intérêt auprès des dirigeants politiques qui l’ont successivement exercée. Plusieurs problèmes structurels ont fortement préjudicié à son développement. Ses compétences sont fortement réduites en raison de la prééminence de l’Élysée pour la plupart des questions diplomatiques, étrangères et européennes. Par ailleurs, l’importance de ce ministère est grandement diminuée par le foisonnement de structures administratives ayant également des fonctions de représentation : le ministère est ainsi en concurrence avec le Secrétariat général des Affaires européennes, qui est chargé d’unifier les positions officielles de la France sous l’autorité du Premier ministre. Il doit également tenir compte du travail d’une autre administration à part entière, la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Il n’a donc qu’un faible pouvoir dans la conduite de la politique européenne de la France, et n’a d’importance que dans le cas où la France est valorisée au sein des institutions – notamment lorsqu’elle obtient la présidence tournante de l’Union.

La fonction de ministre délégué aux Affaires européennes est affaiblie par sa structure même, et force est de constater que la présidence de Nicolas Sarkozy n’a pas permis de la revaloriser. En cinq ans, cinq secrétaires d’État ou ministres délégués aux Affaires européennes se sont succédés – Jean-Pierre Jouyet, Bruno Le Maire, Pierre Lellouche, Laurent Wauquiez et Jean Leonetti. Leur nomination a souvent tenu davantage à des considérations politiciennes qu’aux appétences de chacun pour les questions européennes. Du quinquennat, on ne retiendra de leur action que quelques coups d’éclats, comme l’allégation de Pierre Lellouche qui affirmait que « le gardien des traités [européens], c’est le peuple français » en pleine polémique sur les Roms. Le dernier titulaire du poste, Jean Leonetti, était un spécialiste des soins palliatifs totalement étranger aux questions européennes, et sa nomination a notamment tenu à sa qualité de radical pro-Sarkozy. Très souvent, l’action de ce ministère fut « parasitée » par celle de son ministère de tutelle, le ministère des Affaires étrangères.

Vers un « super-ministre » des affaires européennes ?

Pour ces raisons, les ministres aux Affaires européennes successifs n’ont aucunement contribué à la lisibilité de l’action européenne du gouvernement français. Le rattachement de la fonction au ministère des Affaires étrangères témoigne du fait que la politique européenne n’est pas encore considérée comme un élément de politique intérieure, même si les mentalités et les pratiques changent.

Le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a pas non plus souhaité doter ce ministère de moyens ambitieux : son rattachement au Quai d’Orsay est inchangé, et les deux ministres qui en ont la charge – Bernard Cazeneuve et indirectement Laurent Fabius – ont tous deux manifesté un certain euroscepticisme, notamment lors de la campagne pour le référendum constitutionnel de 2005. Pourtant, il aurait été possible d’envisager un ministère de plein exercice ou désormais rattaché au Premier ministre, de manière à éviter une dispersion des administrations en charge des questions européennes. Ce « super-ministre » aurait autorité sur le secrétariat général des Affaires européennes et aurait la possibilité d’orienter les prises de position des autres membres du gouvernement dès lors que des questions européennes seraient en jeu. Un tel changement éviterait toutes les contradictions au sein d’un même gouvernement et participerait d’une meilleure lisibilité de l’action de la France auprès de ses partenaires les plus proches. Ce changement supposerait néanmoins une volonté politique que ni le Président de la République, ni le Premier ministre semblent avoir.

La plupart des gouvernements antérieurs, de gauche comme de droite, ont dédaigné le secrétariat d’État aux Affaires européennes, fonction trentenaire mais concurrencée, faible en moyens comme en ambition. La prise en main des dossiers européens par François Hollande laisse entendre que le renforcement du ministère des Affaires européennes ne fait pas partie des priorités actuelles du nouveau gouvernement.

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