Avenir de l’Europe

Sarkozy et l’Europe : trop peu, trop tard...

Des idées intéressantes mais également des manques.

, par Emmanuel Vallens

Sarkozy et l'Europe : trop peu, trop tard...

Ainsi donc, probablement grâce à Michel Barnier, son « coach » attitré pour les affaires européennes, Nicolas Sarkozy a enfin fait part de ses idées sur l’avenir de l’Europe, lors d’un discours donné à Bruxelles vendredi 8 septembre. Bilan : des idées intéressantes mais également des manques.

Ainsi donc, probablement grâce à Michel Barnier, son « coach » attitré pour les affaires européennes, Nicolas Sarkozy a enfin fait part de ses idées sur l’avenir de l’Europe, lors d’un discours donné à Bruxelles vendredi 8 septembre. Bilan : des idées intéressantes mais également des manques.

Ses propositions étaient attendues de longue date, tant son absence dans ce domaine lui avait été reprochée par le passé. Ses rares interventions sur ce terrain n’avaient eu pour effet que de donner le sentiment qu’il ne concevait l’Europe que comme une alliance intergouvernementale entre « grands » Etats, imposant un directoire de fait à l’Union européenne. Sans surprise, ces quelques idées avaient été accueillies fraîchement par les milieux européens ainsi que par les « petits » Etats.

L’intervention donnée à la bibliothèque Solvay devant l’association « Les Amis de l’Europe » a pu dissiper certaines craintes d’un gaullisme invétéré. En effet, Nicolas Sarkozy reprend de très nombreuses propositions fédéralistes.

Après avoir insisté sur le besoin d’un Europe politique, il a estimé que celle-ci avait besoin pour se construire d’un texte qui grave enfin la dimension politique de la construction européenne. S’il refuse de qualifier ce document de « Constitution », cela y ressemble fort. Qu’on en juge : le débat doit selon lui se dérouler de manière diplomatique, et non plus dans une enceinte intergouvernementale, à huis clos.

Il appelle de ses voeux la constitution d’une grande Convention, dont les membres seraient désignés par les Parlements nationaux après un débat public et approfondi sur l’avenir de l’Europe, ainsi que par le Parlement européen, dans la foulée des élections européennes de 2009, qui lui donneraient ainsi la légitimité nécessaire. Le mot n’est pas prononcé, mais qu’est-ce que cette grande Convention, sinon une Assemblée constituante ?

Sur le fond, M. Sarkozy demande une réforme profonde de la Commission européenne. Dans sa nomination, tout d’abord, afin que le Président soit élu par le Parlement européen, et qu’il soit le chef de la majorité élue lors des élections européennes.

La Commission, enfin un vrai gouvernement ?

Puis, pour résoudre le problème d’une Commission pléthorique composée d’un national de chaque Etat membre et qui, élargissement après élargissement, ressemble de plus en plus à un mini-Conseil et de moins en moins au garant de l’intérêt général européen, M. Sarkozy propose de donner au Président désigné carte blanche absolue dans la composition de sa Commission (nationalités, nombre de membres, etc.). La seule obligation étant, s’il veut recueillir l’investiture du Conseil, de prendre en compte les équilibres politiques et géographiques européens.

Bien entendu, le risque est grand de voir les grands Etats monopoliser les postes de cette Commission restreinte, et M. Sarkozy pourrait aisément être accusé de vouloir réinstaurer son directoire des grands à la Commission. En effet, on imagine mal dans le schéma proposé, qu’un Président désigné ose composer une Commission sans Français et sans Allemand.

Il n’en reste pas moins que la Commission imaginée par M. Sarkozy ressemble fort à un gouvernement, et cela ne peut qu’être salué par les fédéralistes.

Concernant le Parlement européen, le ministre de l’intérieur français suggère la mise en place de listes transnationales. Aujourd’hui, les partis d’une même famille politique vont à la bataille en ordre dispersé, contribuant à ne mener lors des élections européennes que des débats nationaux. Dans la proposition de M. Sarkozy, qui répond là aussi à une très ancienne demande des fédéralistes, ce seraient le Parti Populaire Européen, le Parti des Socialistes Européens, l’Alliance des Libéraux et des Démocrates, les Verts européens qui mèneraient campagne, en tant que tels, au niveau européen, avec des programmes européens, et des listes européennes, dont la tête serait le candidat de chaque parti pour la présidence de la Commission.

Aujourd’hui, c’est la droite qui fait des vraies propositions pour l’Europe.

M. Sarkozy se rend par ailleurs à la raison, en admettant que, pour que l’Europe avance, il faut en finir avec la règle de l’unanimité. On ne peut accepter qu’un seul pays bloque toute décision. Il demande ainsi la mise en place de majorités superqualifiées (de l’ordre de 80%) pour les questions ayant trait à la fiscalité ou à la justice et aux affaires intérieures.

Enfin, Nicolas Sarkozy, conformément à une opinion de plus en plus répandue en Europe, remet au goût du jour la notion de « préalable institutionnel » en refusant tout nouvel élagissement tant que l’Union ne sera pas réformée.

Ces diverses propositions doivent être accueillies positivement. Elles démontrent que les thèses fédéralistes progressent dans le débat public. Et l’on ne peut que regretter que le Parti Socialiste, en face, adopte une tactique d’évitement, de peur de diviser les Français, et prétende parler d’Europe sociale et de lutte contre le dumping fiscal sans évoquer les réformes institutionnelles qui en sont la condition. Aujourd’hui, c’est la droite qui fait des vraies propositions pour l’Europe.

Mais les propositions de M. Sarkozy ne doivent pas cacher ses faiblesses. Les grands discours sont aisés lorsqu’on se les réserve pour l’avenir. Mais le président de l’UMP se garde de défendre ses propositions pour l’immédiat.

Quand le naturel revient au galop ?

Au contraire, il adopte une attitude minimaliste revendiquée, en appellant de ses voeux l’entrée en vigueur par la voie parlementaire des dispositions consensuelles du traité constitutionnel rejeté par les Français.

Or, d’une part, il s’agirait là d’une ratification à la dérobée, dans la droite ligne de la ratification sans débat public de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie au début de l’été. Les Français auraient l’impression qu’on ignore leur vote, et les conséquences pourraient en être gravissimes.

D’autre part, la mise en oeuvre immédiate de certaines réformes (élection du Président de la Commission par le Parlement, double majorité, ministre des affaires étrangères européen...) pourrait réduire l’enthousiasme réformiste ultérieur.

Or, l’Union n’a pas besoin de réformettes. Elle a besoin de faire le saut conceptuel du diplomatique au démocratique. Mieux vaut une Constitution en 2009 qu’un mini-traité en 2007.

On ne peut par ailleurs qu’émettre des réserves vis-à-vis de « la notion d’avant-garde ouverte, de groupes ad hoc qui rassembleraient les Etats les plus concernés par un problème en particulier » .

Comme l’indique le communiqué des Jeunes Européens - France, « si cela signifie coopérer en dehors des traités ou mettre en place de nouvelles structures, nous ne pensons pas que cela apportera à l’UE la légitimité et la transparence dont elle a besoin. Cela ne ferait que rendre l’Europe encore plus compliquée et lui aliénera inutilement les petits Etats membres. »

Finalement, M. Sarkozy reste très en-deça de ce dont l’Europe a besoin quand il parle du budget. On pourrait résumer ainsi la pensée de l’ancien ministre des finances : « je veux une Europe forte, efficace et proche du citoyen, mais il ne faut surtout pas qu’elle dépense d’argent. »

En effet, si le budget européen reste plafonné à 1% de la richesse européenne (contre 30% à 40% pour les budgets nationaux), jamais l’Union européenne ne pourra fournir à ses citoyens les services qu’ils sont en droit d’attendre d’elle : aides à la mobilité, grands travaux, recherche, énergie, défense et politique étrangère...

De plus, jamais M. Sarkozy n’évoque les pouvoirs du Parlement européen. Peut-on réellement vouloir une Europe démocratique, si le Parlement n’a pas son mot à dire sur les ressources budgétaires de l’Europe, et s’il ne dispose du dernier mot que sur la moitié des dépenses ?

Trop tard

Pour bienvenue qu’elle soit dans le débat français, l’intervention de M. Sarkozy arrive bien tard. On l’a constaté depuis le retour au pouvoir de Romano Prodi en Italie, et avec la présidence allemande de l’Union européenne qui s’annonce, d’autres que la France prennent actuellement les choses en main.

Nos partenaires ont perdu tout espoir en la France. L’avenir de la Constitution européenne se jouera entre ceux qui s’en soucient réellement pendant que nous serons préoccupés par la campagne présidentielle.

Et si les candidats ne mettent pas l’avenir de l’Europe et la relance du processus constitutionnel au coeur du débat électoral, c’est avec une nouvelle gueule de bois que les Français se réveilleront. Il est vrai qu’ils y sont habitués.

- Illustrations :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie de Nicolas Sarkozy tirée de l’Encyclopédie en ligne wikipédia.

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Vos commentaires
  • Le 11 septembre 2006 à 23:09, par Ronan Blaise En réponse à : Sarkozy et l’Europe : trop peu, trop tard...

    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Voilà ce qui me vient à l’esprit quand je lis et relis les propositions du candidat Nicolas Sarkozy.

    Il y a pourtant moyen de faire beaucoup plus simple que tout cela : des élections européennes générales en 2009, une Assemblée constituante (avec droit de ’’sortie’’ pour tous ceux qui ne voudraient pas y participer...) et une Constitution européenne validée (ou pas) lors un référendum paneuropéen à la suite d’une campagne référendaire transnationale (avec négociation de partenariats privilégiés avec les Etats membres qui ne souhaiteraient finalement pas en être...).

  • Le 13 septembre 2006 à 08:10, par Valéry En réponse à : Sarkozy et l’Europe : trop peu, trop tard...

    Notons cependant que l’association n’est pas opposée à l’idée d’un mini-traité technique en attendant :

    Des réformes techniques sont donc indispensables sans attendre 2009 afin que l’Union puisse fonctionner au mieux, notamment si la perspective de nouveaux élargissements se confirme.

  • Le 13 septembre 2006 à 21:33, par Cédric En réponse à : Sarkozy et l’Europe : trop peu, trop tard...

    Je me demande ce qui est le pire entre faire ce mini-traité en catimini par voie parlementaire ou terminer les ratifications du TCE qui pourraient techniquement aboutir malgré les non franco-néerlandais ?

    Objectif 2009 : 1ère Constitution ! Croisons les doigts pour que l’un ou l’autre candidat nous entende et prenne acte.

  • Le 14 septembre 2006 à 00:37, par Valéry En réponse à : Sarkozy et l’Europe : trop peu, trop tard...

    Note pour plus tard : changer le style des blockquote sur les commentaires de forum... :-(

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