Schengen : les États-membres dos au mur

, par Michel Gelly

Schengen : les États-membres dos au mur
Bansky, sans titre, 2005 ; mur israélo-palestinien.

Lorsqu’en mai 2011, le président de la Commission, José Manuel Barroso avait dans une lettre accepté de réfléchir à une réforme des accords de Schengen, on pensait notre espace sans frontières promis aux caprices des grands États-membres. Il n’en sera peut-être rien !

Mardi, Cecilia Malmström, commissaire aux Affaires intérieures, présentera un projet de refonte qui promet de faire des remous : « Si nous voulons un meilleur Schengen, il nous faut mettre plus d’Europe dans Schengen ! ». Un acte courageux, au moment où rien ne la portait à faire le choix de l’audace.

Que va devenir Schengen, notre espace sans frontières ? Jusqu’à peu, c’est avec inquiétude que les associations européennes avaient réagi. La JEF-Europe avait ainsi coordonné l’action Europe without borders en partenariat avec European Alternatives (voir le récapitulatif complet des événements.

Après la courageuse déclaration de Viviane Reding sur l’affaire des Roms, on avait senti la Commission plus prompte à coopérer avec les exigences trompeuses de Paris et Rome en mai 2011. À l’heure où la Commission doit rendre son projet de réforme, c’est avec un sens de la responsabilité que la commissaire aux Affaires intérieures, Mme. Malmström, a proposé une réforme ambitieuse, qui laisse la part belle à l’intérêt européen face aux guerres de clochers et aux intérêts nationaux.

Une réforme aux origines strictement nationales

C’est lorsqu’a éclaté une guerre de clochers entre la France et l’Italie que la nécessité de réformer Schengen a été proposée par la Commission européenne. Même si des dysfonctionnements du système sont avérés, le fond et la forme étaient totalement discutables.

L’Italie, victime de ce qu’elle a appelé un tsunami migratoire, aurait été forcée de délivrer des visas Schengen aux migrants afin de les lancer courir l’Europe au lieu d’assumer cette marée humaine. Malheureusement pour l’Europe et nos amis italiens, l’invasion en question fut si relative que l’on peine à pouvoir la dénommer autrement que par les simples mots de « flux migratoires ». 28 000 personnes en tout et pour tout en un mois, alors que l’Afrique du Nord était au zénith du Printemps Arabe, cela force à relativiser.

À titre de comparaison, selon les chiffres du Conseil de l’Union européenne, près de 2 millions d’individus rentreraient dans le territoire Schengen… chaque semaine. Pourtant, en jetant de l’huile sur le feu, en ouvrant grand les bras au populisme, le gouvernement italien n’a pas hésité, notamment à des fins électorales, à enfreindre le Code Frontières Schengen (CFS) en délivrant de manière systématique (et non au cas par cas) des papiers à l’ensemble des immigrants nord-africains en situation irrégulière arrivés entre le 1er janvier et le 5 avril 2011. Il leur a également fourni des documents de voyage. Ces deux décisions, en désaccord avec le CFS et prises unilatéralement, ont eu des conséquences sur l’ensemble de la zone.

Les partenaires de l’Italie dans l’espace Schengen n’ont pas tardé à réagir, et la France n’a pas été la seule à s’offusquer. La ministre de l’Intérieur autrichienne Maria Fetker a qualifié le 11 avril 2011 les actions italiennes d’une « violation de l’esprit de Schengen », risquant de mener à « l’effondrement du système Schengen ». L’Allemagne, la Belgique et l’Autriche, avaient, en plus de la France, menacé de réinstaurer les contrôles aux frontières. La France fut finalement la seule à agir lorsqu’elle décida d’empêcher l’entrée d’un train en provenance d’Italie, considérant qu’il s’agissait d’une menace à l’ordre public puisqu’il était censé transporter un grand nombre de ces migrants fraichement régularisés.

Cette réaction, au regard du droit européen, semble tout aussi discutable. Fermer temporairement ses frontières, pour des raisons d’ordre public – comme le CFS le permet – parait disproportionné pour un train transportant plus de 200 activistes français et italiens contre moins d’une centaine de migrants. La France a également omis de prévenir aussi vite que possible la Commission européenne et le Parlement européen, ce qu’elle était censée faire.

Le temps du doute

Un sommet franco-italien plus tard, José Manuel Barroso, président de la Commission, avait fini par lancer le chantier de la réforme de Schengen en l’annonçant par courrier à Paris et à Rome le 1er mai. Il y avait toutes les raisons de craindre pour l’acquis que constituait notre espace sans frontières. Tout d’abord, les propos triomphalistes de certains politiciens apparemment hostiles à Schengen laissaient penser que l’affaire était pliée.

Puis le 11 mai, c’était au tour du Danemark d’enterrer un peu plus notre rêve d’un espace sans contrôles intérieurs. Les anciens chantres de nouvelles règles plus favorables aux intérêts nationaux se firent alors avocats du respect des règles et de la sauvegarde de « l’avancée » qu’avait constitué Schengen. On a ainsi pu voir le ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant, changer radicalement sa position face à la « menace danoise ».

La réaction au milieu de l’été des services de Mme. Malmstöm ne permirent pas aux partisans de Schengen de se rassurer. Tout d’abord, elle déclara que rien ne permettait d’établir le non-respect de la législation européenne par la France et l’Italie. Cela pouvait choquer et surtout passer pour un manque d’ambition face aux États-membres, au moment où des rapports indépendants, notamment le très bon A Race against Solidarity : The Schengen Regime and the Franco-Italian Affair du Centre for European Policy Studies, avaient pointé les inconsistances dans l’attitude des États-membres face au droit européen.

Une Commission à la hauteur des enjeux

C’est donc à la surprise générale et pour notre plus grand bonheur que la Commission a finalement choisi de prendre de la hauteur et de proposer un projet conforme à son devoir : la défense de l’intérêt européen.

Avec une logique imparable, elle a su pointer les insuffisances du système Schengen jusqu’ici : Bien qu’il ait aboli les frontières entre les États participants, les contrôles à l’entrée de l’espace Schengen ne sont pas effectués par des autorités européennes mais par les États membres. Les permis de séjour dans la zone sont également délivrés par les autorités nationales compétentes. Chaque décision prise par les administrations nationales a alors une potentielle incidence sur l’ensemble de la zone. « La situation à l’heure actuelle est qu’un domaine qui relève de l’intérêt commun dépend au final de décision individuelles. Il faut naturellement que cela change » a déclaré, lors d’un point presse, le porte-parole de la Commissaire.

Ce n’est pas tout ! Alors que l’objectif affiché aux débuts de la réforme était de laisser une plus grande latitude aux États-membres pour fermer ou non leurs frontières, la Commission choisit de se mettre au centre du dispositif. Si le projet est adopté, afin de fermer temporairement leurs frontières, les États-membres devront formuler une demande à la Commission et la motiver. Cette demande serait ensuite soumise au vote à la majorité qualifiée du Conseil, relativement difficile à obtenir en cas de litiges.

Pour rappel, à l’heure actuelle, il est possible pour un État-membre de fermer ses frontières sans autorisation. Le projet est cependant conciliant, en offrant toujours ce droit aux États-membres, en cas de circonstances exceptionnelles, mais en le limitant à cinq jours seulement. Au-delà, il faudra demander une autorisation.

D’un point de vue politique, on peut applaudir la Commission ; même si de sources diplomatiques « il va y avoir un gros bras de fer », l’offre de la Commission est plutôt fine. Elle est la seule à pouvoir proposer un plan de réformes selon les Traités. L’offre est donc à prendre ou à laisser. Ensuite, elle offre aux États-membres ce qu’ils demandaient. Le projet reconnait les événements migratoires comme une raison pour réintroduire temporairement les contrôles, ce qui n’était pas le cas dans les textes jusqu’ici. En revanche, et c’est là que le projet devient véritablement courageux et ambitieux, la Commission corrige en partie les dysfonctionnements du système et choisit de se mettre au-dessus des États-membres.

C’est véritablement cette décision qu’il convient de saluer. Tout d’abord, même si cela revient à céder sur un domaine populiste qu’est l’immigration, cette situation conduirait la Commission à se politiser. Plus cette institution se politisera et plus nos appels à en faire une sorte de gouvernement européen responsable devant le Parlement européen seront entendus. En cas d’adoption du projet, elle sera en effet contrainte de donner un avis tranché au Conseil avant le vote, car elle sera appelée à le faire par au moins une partie des États-membres.

En parallèle, l’espace Schengen sera protégé des contingences nationales. Il est en effet regrettable que notre confort en tant que citoyen de l’Union ainsi qu’un symbole européen si porteur puissent encore être mis à mal par des enjeux nationaux et électoraux. L’adoption de ce projet ambitieux de la Commission ne sera pas simple. Jusqu’ici, seul le gouvernement allemand a réagi favorablement à ces propositions par la voix de Werner Hoyer, Ministre des affaires européénnes qui déclaré mardi dernier que « les réflexions de la Commission allaient dans le bon sens ». Difficiles d’établir un pronostic concernant les positions des autres États-membres, au premier rang duquel la France et l’Italie qui avaient demandé l’ouverture du projet de réforme.

Nous avons pu, dans cette publication, émettre nos craintes, nos doutes et nos critiques concernant les actions de la Commission lorsque l’actualité le nécessitait. Il convient aujourd’hui de louer l’audace et la pertinence des services de Mme. Malmström et du collège des Commissaires dans son ensemble. La bataille pour l’adoption de ce projet ne fait que commencer.

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