Comment garantir la sécurité énergétique de l’Europe, et réduire notre dépendance par rapport à la Russie (pour le gaz) et au Moyen-Orient (pour le pétrole) ? Un bon point de départ consiste à coordonner les efforts de l’Union européenne pour mettre en place des programmes de développement structurés et à grande échelle, forcément plus efficaces qu’une juxtaposition de petits projets nationaux. C’est ce que semblent avoir compris les États membres, qui multiplient désormais les initiatives pour renforcer l’intégration de la production énergétique européenne.
De « Desertec » à « Nordec »
Le projet « Desertec » vise l’installation d’un système de centrales solaires réparties du Maroc à l’Arabie Saoudite, et reliées au réseau électrique européen via des lignes à haute tension sous-marines [1]. Certains y voient un caractère « éco-colonialiste », argumentant que les structures mises en place en Afrique seront surtout favorables aux Européens, et que les populations autochtones risquent de se voir dépourvues de leurs meilleurs sites de production d’énergie solaire. Indépendamment de ce débat toutefois, le déploiement de Desertec représente un projet unique, par son envergure et ses enjeux, en matière de coordination européenne centrée sur les énergies renouvelables.
Par analogie, nous pourrions appeler « Nordec » le système d’éoliennes offshore dont l’installation a été prévue en Mer du Nord. Ce projet a été lancé le 7 décembre dernier par la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Allemagne, le Luxembourg, la France, le Royaume-Uni et l’Irlande, en marge d’une réunion des ministres de l’Énergie, et sous l’initiative de Paul Magnette, ministre belge de l’Énergie et du Climat [2]. Si un plan plus précis doit être présenté à l’automne prochain, relier les parcs d’éoliennes des différentes mers au nord de l’Europe représentera la première priorité. On pourrait espérer que des fonds soient également débloqués pour favoriser la recherche et le développement en matière d’éoliennes maritimes, et mettre en place les conditions d’une production industrielle massive.
Avantages des éoliennes offshore
Fondamentalement, les éoliennes installées en mer exploitent les avantages inhérents au vent marin, qui est plus fort et plus régulier que sur la terre ferme. Si l’installation de parcs d’éoliennes offshore doit être planifiée pour éviter des conflits avec le transport naval ou les activités de pêche, elle pose généralement beaucoup moins de problèmes que celle de parcs éoliens terrestres. Par ailleurs, le coût plus élevé de l’installation d’éoliennes offshore est compensé par la possibilité de mettre en place des unités au rendement très supérieur. À titre d’exemple, le cabinet d’architecte Grimshaw étudie actuellement la possibilité d’éoliennes géantes de 144 mètres, baptisées Aerogenerator, qui repousseraient encore les limites technologiques dans ce domaine [3].
Faisant le point sur cette source d’énergie relativement nouvelle, la Commission européenne a conclu que l’éolien maritime devrait figurer parmi les priorités dans la politique énergétique européenne [4]. Il ne manquait plus, pour donner une véritable impulsion à ce secteur, qu’un grand chantier industriel capable de développer l’expertise et de consolider les chaînes de production liées aux éoliennes offshore. C’est chose faite avec le projet Nordec, qui pourra, s’il est mené à bien, fédérer les compétences technologiques et industrielles nécessaires pour renforcer durablement cette énergie renouvelable en Europe.
Deux antennes énergétiques pour l’Europe
Par rapport à Desertec, Nordec a plusieurs avantages de taille. Premièrement, en se concentrant sur les eaux territoriales européennes, le réseau éolien évitera tous les conflits politiques qui se présenteront inévitablement devant le réseau solaire, puisque ce dernier doit être installé dans des régions à grande instabilité. Deuxièmement, Nordec sera mis en place relativement près des principales régions de consommation énergétique européenne, et le transport de l’énergie sera plus facile à mettre en œuvre que dans le cas de Desertec. Troisièmement, Nordec permettra à l’Europe de rester leader dans le domaine de l’éolien offshore, que beaucoup considèrent désormais comme une solution d’avenir pour l’approvisionnement énergétique.
D’ici quinze ans, l’Europe vue depuis l’espace ressemblera peut-être à un organisme vivant, déployant au nord et au sud de gigantesques antennes éoliennes et solaires, pour satisfaire ses besoins énergétiques croissants. Réunis et coordonnés, ces deux projets peuvent occuper une place centrale dans la nécessaire transition que devra accomplir l’Europe pour diminuer sa dépendance aux énergies fossiles, et en attendant qu’une source d’énergie propre et quasi-illimitée, comme la fusion nucléaire, soit opérationnelle [5].
Peu importe son nom définitif : le système d’éoliennes offshore que nous avons surnommé « Nordec » est un pas supplémentaire pour une politique énergétique intégrée. Il semble désormais évident que dans le domaine de l’énergie, seuls des projets européens ont la dimension nécessaire pour répondre efficacement aux défis du développement durable, et garantir à l’Europe une sécurité énergétique.
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