Le Taurillon : A la lecture de votre étude, on est frappé par la schizophrénie des réponses. Comment expliquez-vous des résultats aussi contradictoires ?
Guénaëlle Gault : En réalité, il ne s’agit pas tant de schizophrénie de la part des Français vis-à-vis de l’Union européenne que d’une immense attente pour l’instant déçue. Même si elle a toujours eu des détracteurs virulents, l’Europe a longtemps représenté pour une majorité de Français un avenir pour la France. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. D’ailleurs et de façon générale, ils ne voient plus très bien quel pourrait être cet avenir, d’où le très fort pessimisme qu’ils manifestent sur notre situation collective.
Donc contradiction oui, mais entre ce que l’Union européenne devrait être, ce qu’elle pourrait, ce qu’il faudrait qu’elle soit pour les Français… et ce qu’ils perçoivent de ce qu’elle est. Et au fond, même si les pour et les contre s’expriment fortement, pour la majorité silencieuse c’est aujourd’hui surtout la perplexité qui domine.
Le Taurillon : Cette contradiction est-elle nouvelle ou s’est-elle accentuée avec la crise ?
Guénaëlle Gault : Toutes les institutions ont pâti de la crise, les gouvernements nationaux les premiers. Et en effet, l’Union européenne n’a pas été épargnée, cette tension entre le souhaité et le réel allant s’exacerbant. De fait, il est apparu moins évident aux yeux des Français que, depuis le début de cette période difficile, l’Europe pouvait apporter des solutions efficaces à cette crise. Et plus globalement – ce qui est un fort sujet de préoccupation pour eux - constituer un rempart aux effets négatifs de la mondialisation.
Pour autant, les Français restent dans leur très large majorité convaincus que la France ne ferait pas mieux si elle était hors de l’Union, ils estiment que l’Europe est le bon échelon pour lutter contre cette crise et attendent davantage d’intégration. Mais sans percevoir d’horizon clair et de preuves manifestes, dès lors qu’il s’agit d’agir, tout se passe comme s’ils étaient en situation de lâcher la proie nationale pour l’ombre européenne et tout se complique.
J’ajouterais que les discours des gouvernants nationaux – de gauche comme de droite – qui pendant des décennies n’ont eu de cesse d’imputer à « Bruxelles » les limites de leurs propres responsabilités à agir, n’ont pas préparé le terrain de l’opinion en ce sens.
Le Taurillon : Retrouve-t-on cette contradiction sur d’autres sujets de société ou est-ce propre au sujet européen ?
Guénaëlle Gault : Un autre décalage souvent saute aux yeux et ne me paraît pas totalement sans rapport avec la question européenne. Celui que l’on observe entre le pessimisme collectif et l’optimisme individuel. Nos Eurobaromètres le montrent : les Français sont champions dans ces deux catégories. Ce qui pourrait, là encore, apparaître comme une contradiction. Mais là aussi, c’est plus compliqué et cela manifeste surtout la difficulté qu’ont les institutions à désormais convertir l’énergie, la résilience et l’optimisme des individus en un projet collectif. La panne du récit européen a à voir avec la panne du roman national. Au passage je note d’ailleurs qu’aujourd’hui la défiance est plus forte à l’égard du Gouvernement français que de l’Union.
Le Taurillon : Vous affirmez que la pédagogie vis à vis de l’Union européenne est indispensable. En quoi cette étude vous a-t-elle permis de corroborer cette affirmation ?
Guénaëlle Gault : Dans quelques mois à peine auront lieu les élections européennes et, par exemple, seuls 41% des Français que nous interrogeons dans l’Eurobaromètre nous disent que « les membres du Parlement européen sont élus directement par les citoyens de chaque Etat membre », 35% soutiennent que cette proposition est fausse, 34% ne savent pas nous répondre. Et c’est un exemple parmi d’autres car l’Europe est devenue quelque chose de beaucoup trop conceptuel pour les Français qui ne se sentent pas vraiment concernés ni impliqués. La pédagogie est donc nécessaire mais elle n’est pas suffisante et elle doit participer à créer les conditions d’une meilleure appropriation.
1. Le 21 octobre 2013 à 23:39, par Alessandro Bernini. En réponse à : « Seuls 41% des Français savent que les eurodéputés sont élus directement par les citoyens »
Merci pour cet article riche d’enseignements.
Pour faire un peu d’ironie, je dirais que ce chiffre nous évitera une victoire du Front National aux élections européennes.
Alexandre Marin.
2. Le 22 octobre 2013 à 22:58, par Nicolas G En réponse à : « Seuls 41% des Français savent que les eurodéputés sont élus directement par les citoyens »
Enquête très intéressante ! Merci de la relayer. Mais, bien que je ne sois pas un génie en mathématiques, je sais additionner les chiffres donnés : 34% + 35% + 41% = 110% ! Qu’en conclure ? Erreur de frappe, maladresse méthodologique ou manipulation grossière de statistiques ? Par avance merci de vérifier et me répondre. J’ai beau croire en l’européisme, je ne crois pas que diffuser des statistiques fausses ou truffées d’erreurs serve la cause. A bon entendeur...
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