Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

, par Charles Nonne

Une Europe forte … sans le Royaume-Uni
Drapeau de l’Union européenne et drapeaux britanniques Auteur : _Colaco_ - Certains droits réservés

Après quarante années d’appartenance à l’Union européenne, le Royaume-Uni demeure la seule nation dont l’identité européenne est régulièrement remise en cause. Le 23 janvier 2013, le Prime minister a annoncé l’organisation d’un référendum sur cette appartenance. Il semble dès lors que les discours prophétiques de Winston Churchill sur le choix de l’Angleterre entre l’Europe et le « grand large » trouveront prochainement une pleine concrétisation.

Un désaccord initial fondamental entre deux visions de la supranationalité

Le Royaume-Uni n’a jamais été véritablement intégré à l’Europe. Contrairement à l’écrasante majorité des autres Etats membres de l’Union, ni les hommes politiques, ni la population britannique ne sont pleinement convaincus que leur destin est fondamentalement lié à celui du Vieux Continent.

Dès les années 1950, les Britanniques ont assisté avec inquiétude à la montée en puissance d’une organisation supranationale déterminée à réaliser un projet économique, mais également politique, que l’Association européenne de libre-échange n’est jamais parvenue à concurrencer. Face à cet échec, la classe politique britannique fut résolue à suivre l’aventure européenne pour mieux l’orienter, bercée par l’illusion que l’Angleterre pourrait dicter, à elle seule, les règles de l’intégration. L’ « Europe de demain » était alors considérée par les dirigeants britanniques – est l’est encore – comme un vaste marché, accomplissement ultime du principe de libre-échange, qui laisserait les Etats libres d’édicter leurs propres règles dans tous les domaines autres que le commerce. Sans doute était-elle considérée comme un projet ambitieux qu’il était nécessaire de pouvoir contrôler.

Dès son intégration dans la Communauté européenne, le Royaume-Uni a toujours refusé de se considérer comme un Etat membre parmi d’autres. Le souvenir d’un Empire colonial inégalé et d’une domination maritime totale semble encore hanter une Angleterre qui ne se conçoit pas comme la simple périphérie d’un Etat fédéral. De ce point de vue, la France a bien mieux su faire le deuil de sa puissance passée et prendre conscience du caractère viscéralement européen de son avenir.

Par conséquent, le Royaume-Uni n’a jamais véritablement su s’émanciper d’une vision arriérée de la supranationalité. Les hommes politiques britanniques conçoivent majoritairement l’Union européenne (UE) comme une masse de réglementations doublée d’un forum de discussion entre intérêts nationaux, sans parvenir à y déceler le moindre embryon de projet politique commun.

Quarante ans de rejet de l’intégration et de chantages perpétuels

Quelle est l’Europe de David Cameron ? Un simple marché aux compétences où chaque Etat choisirait les domaines qu’il accepterait de voir délégués à Bruxelles, et serait en mesure de s’en ressaisir dès lors que la législation commune ne lui conviendrait guère.

L’Europe s’expose-t-elle à des risques plus grands en acceptant un départ du Royaume-Uni ou en plaidant pour son maintien ? Ce départ nous priverait certes de certains atouts. Cependant, au regard de la configuration économique et politique actuelle, maintenir le Royaume-Uni reviendrait à s’exposer à des demandes permanentes de diminution du budget et de rapatriement des compétences de Bruxelles vers Londres. Si de telles questions doivent parfois être posées, elles deviennent, avec le Royaume-Uni, une véritable obsession.

Depuis quarante ans, un nombre grandissant de règlementations, de projets, de politiques communes, ont connu un échec en raison d’un veto du Royaume-Uni. La formule de l’opt-out – l’autorisation de ne pas se voir appliquer une règlementation en échange d’une acceptation tacite de son application aux autres Etats membres – fut précisément trouvée pour que la position intraitable du Royaume-Uni n’anéantisse pas tous les espoirs de construire une véritable Europe politique. Règlementation du travail, politique sociale, politique monétaire, coopération judiciaire, libre circulation : les domaines dans lesquels le Royaume-Uni a refusé de suivre ses partenaires pourraient aisément faire l’objet d’une longue liste.

C’est en pleine connaissance de cause de ce « traitement de faveur » que David Cameron, le 23 janvier 2013, s’est érigé en donneur de leçons en déclarant à la chambre des représentants que l’Europe avait été trop loin dans un certain nombre de domaines.

Face aux difficultés institutionnelles et politiques colossales que le Royaume-Uni a causées depuis son adhésion en 1973, ne serait-il donc pas préférable de permettre au peuple britannique de se prononcer sur son avenir en lui offrant une alternative précise et crédible ?

Assainir nos relations avec le Royaume-Uni pour créer des conditions favorables à l’émergence d’une Europe-puissance

Quelles seraient les conséquences directes d’un départ du Royaume Uni ? Outre un rapatriement total des compétences déléguées à l’UE, le Royaume-Uni perdra un certain nombre d’avantages commerciaux et devra renégocier des accords de libre-échange avec chacun des partenaires de l’Union européenne. Il perdra également le bénéfice d’une position diplomatique privilégiée – en n’ayant, par exemple, plus aucune influence sur le quartette qui réunit autour de la question du Moyen-Orient les Etats-Unis, la Russie, les Nations unies et l’Union européenne.

Le Royaume-Uni étant redevenu pleinement « souverain », les rapports entre l’Europe et lui seront probablement clarifiés. En lieu et place de la relation institutionnelle ambigüe, voire malsaine, qui les relie aujourd’hui, naîtra un véritable partenariat privilégié entre intérêts bien compris. Le départ du Royaume-Uni ne remettra en cause l’amitié et la fraternité qui ont toujours, et malgré les difficultés politiques, lié la Grande-Bretagne et le Continent. Le partenariat pourrait être semblable à celui qui pourrait unir, dans un proche avenir, l’Union européenne et la Turquie, si l’adhésion de cette dernière est exclue. Cette nouvelle relation se nouera par ailleurs sans préjudice d’une éventuelle adhésion d’une Ecosse devenue indépendante.

Un domaine particulièrement sensible devrait connaître des évolutions majeures si le Royaume-Uni venait à quitter l’Union : la France deviendrait alors le seul Etat membre ayant une ambition en matière de défense. La menace du veto britannique ayant disparu, l’Union européenne pourrait cependant se doter d’une véritable politique en la matière si une convergence de vues parvenait à être trouvée. Il serait dès lors possible de tirer profit d’une mutualisation des équipements et des structures militaires.

L’Europe pourra enfin devenir une puissance militaire en exerçant les fonctions qu’exerce actuellement l’OTAN, et s’émanciper de l’actuelle rivalité entre Europe de la défense et Alliance atlantique, évidemment favorable à la seconde. Il sera encore possible pour l’Angleterre de coopérer en la matière, non plus avec un Etat leader – la France – mais avec l’Europe entière.

Une nouvelle prise de distance de l’Europe à l’égard du monde anglo-saxon ?

Particulièrement intéressante est la prise de position publique des Etats-Unis sur cette question : pourquoi l’administration américaine insiste-t-elle pour que le Royaume-Uni demeure au sein de l’Europe ?

Il semblerait que, de la même manière qu’il y a cinq décennies, le monde anglo-saxon souhaite garder le contrôle de l’Union européenne. Le Royaume-Uni avait été, à cet égard, un excellent moyen pour les Etats-Unis de contenir les velléités d’indépendance de certains Etats à leur égard, comme la France. On pourrait également supposer que les Etats-Unis craignent que l’Europe puisse un jour leur disputer le leadership du monde occidental en devenant une puissance non plus seulement commerciale, mais également politique, économique, voire militaire.

Une rupture est désormais inévitable

Un travail d’honnêteté est nécessaire : maintenir le Royaume-Uni au cœur de la construction européenne, c’est abandonner tout espoir de construire de véritables politiques à l’échelle européenne. Le saut fédéral que certains appellent de leurs vœux ne sera probablement jamais accepté par le Royaume-Uni, tant que celui-ci restera membre de l’Union européenne. A cet égard, David Cameron aura au moins eu le mérite d’avoir levé l’hypocrisie caractéristique des politiques britanniques sur la question européenne, en décrivant clairement l’alternative face à laquelle le Royaume-Uni est aujourd’hui confronté.

Les convenances diplomatiques empêcheront que la moindre personnalité publique exprime son acceptation d’un « Brixit ». La société civile pro-européenne, qui n’est pas soumise à ces contraintes, devrait au contraire prendre position sur cette question, probablement aussi cruciale pour la survie de l’Europe que le rétablissement de la stabilité économique de la zone euro. Il est encore temps de réparer l’erreur qu’a commis Georges Pompidou en ouvrant la voie à l’entrée du Royaume-Uni.

Il est temps de croire à la fois en la grandeur de l’Angleterre et en la grandeur de l’Europe … alliées et solidaires, mais clairement et définitivement séparées l’une de l’autre. Aucune de ces deux entités ne pourra (re)devenir une véritable puissance sur le plan géopolitique, tant que des liens institutionnels relieront la première à la seconde.

Face aux récents évènements, force est de constater que les idées du Général de Gaulle, exprimées sur ce sujet en 1964, conservent une indéniable actualité :

« […] l’Angleterre n’acceptera jamais une Europe fédérale et refusera d’abandonner la moindre parcelle de souveraineté. Les Anglais ne savent plus où ils en sont […]. Ils sont malheureux pour l’Europe, où ils voudraient entrer tout en n’y entrant pas, de manière à empêcher les autres de travailler ensemble. Mais ils n’ont même pas l’esprit de décision qui leur permettrait de nous gêner. Ils mènent mélancoliquement une petite politique au jour le jour […]. Nous ne voulons rien déchirer, mais nous ne pouvons pas non plus nous suspendre à toutes les incertitudes des autres » [1].

Pour aller plus loin :

 Texte du discours de David Cameron du 23 janvier 2013, sur la Grande-Bretagne et l’Europe.

 Britain’s drift from Europe – The Stone Raft ? (sur le blog “Blighty Britain” hébergé par The Economist)

 Britain and the EU – A Brixit looms (sur le blog “Bagehot” hébergé par The Economist)

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Notes

[1Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Tome II, Fayard, 2000

Vos commentaires
  • Le 24 janvier 2013 à 17:20, par Stephanell En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    Très bon article. Toute à fait d’accord !

  • Le 24 janvier 2013 à 19:55, par Valéry En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    « l’Angleterre n’acceptera jamais une Europe fédérale et refusera d’abandonner la moindre parcelle de souveraineté » : oui enfin De Gaulle non plus.

  • Le 25 janvier 2013 à 14:49, par un eurofédéraliste En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    << la France a bien mieux su faire le deuil de sa puissance passée et prendre conscience du caractère viscéralement européen de son avenir. >> Oui, enfin y’a encore du boulot. Beaucoup de boulot.

  • Le 25 janvier 2013 à 18:05, par Tomy En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    La question est aussi de savoir si le Royaume-Uni ne va pas ouvrir la boîte de Pandore...

  • Le 26 janvier 2013 à 19:20, par Stephanell En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    @Tomy

    La boîte de qui ? C’est-à-dire ? Croyez-vous en l’adhésion à l’UE ? Si oui, pourquoi avoir peur du débat ?

  • Le 27 janvier 2013 à 19:31, par Civis Europaeum sum En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    Je crois que ce que Tomy voulais dire c’est simplement que si le Royaume-Uni quitte l’Union, alors nous risquons de voire les eurosceptiques s’en servir comme argument potentiel contre l’UE. Personnellement moi ça m’attristerait dans un sens de voire le R-U quitter l’UE, mais si celà permet de renforcer l’intégration ou établir une Europe fédérale alors c’est peut-être pas plus mal.

  • Le 18 février 2014 à 17:34, par JP En réponse à : Une Europe forte … sans le Royaume-Uni

    Tôt ou tard il faudra que l’Angleterre fasse un choix et arrête de s’assoir constamment sur la chaise européenne et américaine. L’histoire démontre que nous avons toujours été en conflit avec elle hormis les deux grandes guerres mondial. Leurs libéralisme nous empêches de généralisé au d’aligner vers le haut, la sécurité social et un certain confort de vie que tous les pays devraient bénéficier

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