Une main visible ou invisible ?
L’économiste allemand Ulrich van Suntum est friand de mythologie grecque. Il considère Hercule comme le premier à avoir fait appel aux forces de la nature, au lieu de s’acquitter vainement de sa tâche à la sueur de son propre front comme Sisyphe. Transposé à l’économie, cela signifie que le marché devrait être régulé de manière à ce qu’il serve l’intérêt général, mais tout en évitant de dépenser trop de ressources à le dompter.
C’est une bien belle idée, mais souvent le cadre d’action des marchés n’est pas aussi efficace que l’on le souhaiterait. L’exemple-type est le marché européen des émissions, souvent érigé en symbole d’un modèle fructueux de type « laissons le marché agir dans notre intérêt », et qui s’est finalement effondré car le niveau d’émission était trop faible — plutôt paradoxal. La politique mise en œuvre n’a pas eu d’effet déterminant et le marché a à nouveau fini par travailler pour son propre compte. Il a même fallu contrôler constamment les mesures destinées à le stimuler — on commence à distinguer la main d’ordinaire invisible d’Adam Smith.
L’Europe Sociale – Qu’est-ce donc ?
Peut-on voir cette main semi-transparente à l’œuvre dans la politique sociale européenne ? Pas du tout. Le député européen Jo Leinen va même jusqu’à critiquer son absence totale dans le domaine de la politique sociale européenne : « Nous nous sommes dotés d’un pacte budgétaire, d’un pacte de croissance, mais pas d’un pacte social. » Nous nous sommes trop concentrés sur la concurrence et nous en avons oublié ce que devait être une Europe sociale. Nos systèmes de santé sont souvent à deux vitesses et l’on repousse à plus tard la recherche d’une solution à l’énigme du maintien d’un système de retraites qui puisse satisfaire toutes les générations.
Qu’est-ce qui importe le plus dans l’Europe sociale ? Selon Fintan Farrell, président du Réseau européen anti-pauvreté (EAPN), la richesse ne doit pas être redistribuée verticalement. Il faut atteindre un équilibre entre tous les secteurs de l’économie (y compris ceux où le travail n’est pas rémunéré) et les marchés doivent être régulés de manière efficace. Selon Elsa Fornero, ancienne ministre du Travail du gouvernement Monti, il faut que la règlementation aille davantage dans le bon sens : « Une bonne réglementation est une règlementation qui établit des règles claires, qui améliore la transparence et qui combat la corruption. Elle aura pour conséquence d’améliorer le fonctionnement des marchés, par de l’entraver. »
Il s’agissait moins des transferts financiers — même si la pension de retraite et le revenu minimum ont également été mentionnés — que de l’établissement d’un cadre juste pour la politique sociale. Ce dernier doit permettre que les États cessent de se concurrencer entre eux et ne génèrent pas ainsi un nivellement social par le bas.
L’Europe sociale – Comment ?
Mais comment y parvenir ? L’Union européenne n’a pas de compétence sur les questions sociales et ne peut que venir compléter les politiques nationales des États membres. Elle ne peut donc pas définir un cap. Faudrait-il alors agir au niveau institutionnel ? C’est ce que pense Ulrich van Suntum. La réussite économique — qui permet selon lui l’avènement d’une bonne politique sociale — résulte en premier lieu d’institutions fonctionnelles. Farrell ajoute à ce propos qu’une règlementation efficace au sein d’un monde globalisé ne peut être que le résultat d’une coopération transnationale. Tout cela semble pointer vers une claire redéfinition des responsabilités en Europe, et c’est là l’objectif même du débat sur le fédéralisme. Une fédération européenne pourrait rendre les institutions européennes plus stables, plus transparentes et plus responsables. La politique sociale ne serait plus un instrument de concurrence mais un bien européen. Une politique sociale durable n’est possible que si la concurrence entre États cesse. Un fédéralisme clairement défini pourrait garantir cette situation.
Résumé du Forum Spinelli
Le forum Spinelli n’a pas réinventé la roue. Ce n’est de toute façon plus nécessaire, puisque c’est de la vendre dont il s’agit depuis des décennies. Le forum avait surtout pour but un échange de vues général, comme Daniel Cohn-Bendit l’a bien résumé et a ainsi rarement été l’objet d’un réel débat controverse. On pouvait cependant ressentir qu’il régnait déjà dans l’air une certaine tension à l’approche des élections européennes de 2014. Dans environ deux mois, le député européen Andrew Duff présentera son projet pour une nouvelle constitution européenne. Les fédéralistes devront alors quitter le confortable cocon du forum Spinelli pour diffuser leur projet dans les rues européennes.
1. Le 12 mai 2013 à 17:35, par RODARY Emmanuel En réponse à : Une Europe sociale grâce au fédéralisme ?
Il est écrit dans cet article : « L’Union européenne n’a pas de compétence sur les questions sociales et ne peut que venir compléter les politiques nationales des États membres. Elle ne peut donc pas définir un cap ».
C’est à mon sens une erreur d’analyse.
En effet le fait d’avoir un marché unique, une monnaie unique mais d’avoir enregistré que l’Europe n’a pas de compétence sur les questions sociales, ça définit déjà un cap : celui de la concurrence sociale, ça pousse les états membres à minimiser leurs politiques sociales afin d’être fiscalement attractifs.
Tout le reste est parfaitement clair et juste...
Suivre les commentaires : |