Une critique de la critique de Gauck

Pourquoi Joachim Gauck, le Président fédéral allemand, a trouvé les bons mots dans son discours sur l’Europe

, par Stefan Kunath, traduit par Jean-Mathieu Duchêne

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Une critique de la critique de Gauck
Joachim Gauck, Président de la République fédérale d’Allemagne © Services audiovisuels de la Commission européenne

Je soutiens le parti Die Linke (La Gauche). C’est pourquoi j’aurais plutôt souhaité voir Beate Klarsfeld occuper le poste de Présidente fédérale. Mais Joachim Gauck l’a obtenu. Je n’aurais jamais cru que je me retrouverais un jour à le défendre sous quelque forme que ce soit devant ses critiques. Mais je voudrais maintenant le faire parce que son discours sur l’Europe contenait plus que ce que la plupart des gens ne le pensent.

Il est toujours facile de critiquer quelqu’un pour quelque chose qu’il n’a pas dit, par exemple pour un manque de projets politiques ou de déclarations claires sur le chemin que doit emprunter l’Europe. Il est également un peu facile de mettre en avant des passages d’un discours sans reconnaître la ligne directrice de celui-ci. Cela devient plus compliqué lorsque l’on se penche sur le discours dans son ensemble tout en réfléchissant à l’expérience de Gauck. En le faisant, on reconnaît un élément important dans son discours.

Trouver le point de départ adéquat dans l’évaluation

Le Président s’adresse moins au monde politique, mais se tourne plutôt vers la société. Ce qui est formidable, c’est que Gauck ne se considère pas comme un responsable politique, mais bien comme un citoyen : il fait confiance à la force de renouvellement qui provient de l’intérieur de la société.

Cela s’explique par son engagement durant l’époque de bouleversements (die Wendezeit), lorsque les protestations des citoyens ont mené à la fin de la RDA, la République démocratique allemande. On le reconnaît à sa mise en scène, par exemple lorsqu’il s’est assis un moment parmi le public durant les applaudissements suivant son discours. On le voit également à sa nouvelle présentation : le Président ne fait plus de « discours berlinois », mais essaie plutôt de se faire proche des citoyens dans le « Forum de Bellevue » nouvellement aménagé (N.d.T. Bellevue est le palais du Président). Celui qui attendait donc de grandes idées accompagnées de déclarations claires de la part de Gauck avait jusqu’ici mal jugé le Président. Celui-ci ne veut en fait rien être de plus qu’un animateur proche des citoyens.

Pas de grand bond en avant

Bien sûr, le discours de Gauck est la confirmation qu’il ne faut pas s’attendre à ce que la politique fasse de grands bonds en avant dans les affaires européennes. Le Président en a d’ailleurs donné la raison dès le début de son discours : les citoyens doutent de l’Europe, ils en sont fatigués. Pourtant, le grand bond en avant, que doivent réussir les responsables politiques pour atteindre « plus d’Europe », n’est pas possible sans l’approbation des citoyens. On peut dire que le monde politique a peur des citoyens et n’ose donc pas poursuivre la construction de la maison européenne.

Alexis de Tocqueville décrivait déjà dans le deuxième volume de son œuvre « De la Démocratie en Amérique », dans le chapitre « Pourquoi les grandes révolutions deviendront rares », pourquoi les citoyens dans les démocraties craignent les évolutions. Ils sont trop occupés par les choses courantes pour remettre en question ce qui ne fonctionne pas. On a en effet besoin de beaucoup de temps pour y réfléchir, temps qui fait défaut dans l’agitation du quotidien.

Ils n’osent pas se lancer dans un bond en avant parce qu’ils préfèrent se contenter de ce qu’ils ont plutôt que de se risquer dans l’inconnu en créant quelque chose de nouveau. Tocqueville prévient que, « tout en remuant sans cesse, l’humanité n’avance plus ».

On ne capte l’attention des citoyens que si on leur parle d’eux, que si l’on thématise ce qui les touche immédiatement. Et c’est là que se trouve la force du discours sur l’Europe de Gauck. En effet, il a décrit l’omniprésence de l’européisation comme chacun la ressent : droits civiques, en pariculier la libre circulation des personnes et la mobilité sociale, apprentissage européen, monnaie commune. L’Europe n’est pas quelque chose d’inconnu dont il faudrait avoir peur.

Ce n’est que par les bulletins de vote que les projets deviennent réalité

Élaborer de grands projets, comme les États-Unis d’Europe, n’incombe pas à un Président de 73 ans. C’est la tâche de notre génération qui a assimilé la possibilité d’une Europe unie comme aucune autre génération. Par contre, soutenir de grands projets incombe au monde politique. Gauck y a habilement fait référence en évoquant l’apparition des États nations en Europe et s’est étonnement présenté comme un élève de l’historien marxiste Eric Hobsbawn : les nations sont des constructions qui doivent encore créer leurs citoyens.

Mais l’apparition des États-nations en Europe s’est accompagnée de guerres et de révolutions. Dans ce sens, la dernière chance de construire les États-Unis d’Europe fut gâchée en 1945. Que l’on puisse tôt ou tard la saisir de nouveau, ce sont les citoyens qui en décideront au final, heureusement pas par les armes, mais par leur bulletin de vote. Si la majorité refuse, alors il ne faudra pas demander pourquoi personne ne l’a amenée vers l’Europe. Gauck aura au moins essayé de le faire.

Note de l’éditeur : Communiqué de presse des Jeunes Européens Fédéralistes : « Le Président a abordé de nombreux points importants, mais n’a apporté aucune réponse aux questions qu’il a lui-même posées », a commenté le Président fédéral des Jeunes Européens Fédéralistes, Daniel Matteo, en évoquant le discours du Président Gauck.

Le discours du Président Gauck

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