William Horstley : « la liberté des médias est en retrait »

, par Fabien Cazenave

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William Horstley : « la liberté des médias est en retrait »

William Horsley, le représentant de l’AEJ Media freedom, répond aux questions du Taurillon concernant l’enquête sur la liberté de la presse du novembre 2007 et mise à jour au mois de février 2008.

Le Taurillon : Pourriez vous nous expliquer les raisons de cette enquête ?

William Hortsley : Les raisons pour lesquelles l’AJE a mené cette enquête à la fin de l’année 2007, et l’a mise à jour en Février 2008, étaient l’alerte et l’inquiétude qu’éprouvent les journalistes, membres de notre association, dans plus de 20 pays de l’Europe suite aux atteintes à la liberté de la presse, ressenties dans toute l’Europe. Nous avons commencé avec des protestations pour soutenir les journalistes qui subissent la violence ou les pressions injustes dans certains pays, comme la Russie et la Turquie. Nos membres se sont aussi aperçus que les Gouvernements en Europe de l’Ouest utilisent des lois anti-terroristes rudes et des tactiques agressives pour intimider les journalistes, et limiter leur pouvoir d’obliger les gouvernements élus à rendre des comptes. La demande de cette enquête et pour l’action collective est venue de la part de nos propres membres, parmi lesquels on retrouve des journalistes seniors et expérimentés.

Notre recherche a confirmé nos craintes que le XXIe siècle se transforme en cauchemar, au lieu d’être un âge de liberté pour les médias, et par conséquent, pour les peuples d’Europe. Violence, censure, entraves légales injustifiées et beaucoup de formes d’ingérence dans l’indépendance éditoriale des médias montrent que, de manière générale, la liberté des médias est en retrait. Nous sommes des journalistes indépendants, actifs et nous n’hésitons pas de parler à haute voix et avertir que la liberté de la parole et des médias, à laquelle la majorité d’Européens tiennent tant, se trouve en danger sur notre continent.

Le Taurillon : Quelles sont les grandes tendances dans la liberté de la parole en Europe actuellement ?

William Hortsley : Il y a deux grandes tendances dangereuses : l’abus du pouvoir politique pour contrôler et manipuler les médias, perçu dans plusieurs pays allant de l’Italie jusqu’à l’Arménie ; et les grands changements dans le modèle de propriété et les technologie nouvelles, qui menacent la survie de beaucoup de groupes des journaux traditionnels, comme c’est l’exemple en France et dans les pays de l’Europe centrale et orientale. L’incapacité de maintenir des standards corrects de l’indépendance éditoriale et de l’impartialité dans les médias publics, par exemple en Pologne ou en Croatie, mais aussi en Italie ou en Autriche, est particulièrement préoccupante. Parfois, comme dans le cas de la BBC en Grande Bretagne qui a dénoncé les manipulations de la part du Gouvernement sur la guerre en Iraq – il est clair que c’est seulement le grands groupes de télévision qui sont capables de défier les gouvernements quand ils essayent de tromper le public ou contraindre les médias de suivre la ligne officielle.

Regardons maintenant les problèmes dans les principales régions d’Europe. Dans l’Est, surtout en Russie et ailleurs dans l’espace post-soviétique, l’âge d’or de la presse libre et des politiques relativement ouvertes des années 1990 est fini. A la place, les journalistes vivent en peur craignant l’harcèlement ou la mort si ils posent des questions gênantes sur les abus du pouvoir ou sur la corruption officielle. Dans les « nouvelles démocraties » qui se sont libérées de la domination soviétique, nos membres ont rapporté d’une évidence inquiétante sur les efforts croissants des gouvernements d’influencer ou de prendre contrôle des médias dominants : il suffit de prendre l’exemple de la nouvelle loi sur la presse en Slovaquie ou les allégations sur les pressions incorrectes du gouvernement sur les principaux médias en Slovénie. Dans beaucoup de parties de l’Europe de l’Ouest, la capacité des journalistes d’obliger le pouvoir à rendre de comptes a été érodée par la « précarité » économique, alors que les médias dominants ont succombé partout à la tentation de « déconner » sur leur contenu dans la course aux ratings ou aux circulations. Le déclin du statut et du prestige des journalistes aux yeux du public en est les résultats. La morale des médias, leur viabilité économique et leur indépendance éditoriale sont au bas historique, malgré l’explosion de l’information libre grâce à l’Internet et malgré les énormes profits obtenus depuis la chute du communisme il y a 20 ans.

Finalement, il est alarmant qu’à long terme le cadre du travail pour la défense de la liberté des médias et de la liberté politique en Europe – il s’agit surtout le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’OSCE – peine à protéger, pour des raisons différentes, la liberté de la parole et des médias contre les assauts qui viennent de partout. Ce que l’AJE a découvert montre la nécessité d’un examen minutieux de la part de la presse de ces défaillances. Les gouvernements nationaux en Europe et les institutions de l’Union européenne devraient accorder plus d’attention aux dangers présentés dans nos études. Eux-mêmes devraient faire beaucoup plus pour correspondre à leur engagement public pour la franchise et la liberté des médias. Sinon, l’objectif si prisé de rapprocher l’Europe politique de ses citoyens ne sera pas atteint. Un journalisme vigoureux et sans entraves est nécessaire pour que l’Europe garde son corps politique en bonne santé.

Le Taurillon : Comment est-ce que ce travail complète celui des Reporters sans frontières ?

William Hortsley : Je crois que les objectifs et l’analyse générale de l’AJE et des Reporters sans frontières sont similaires. Nous sommes des professionnels et des partenaires, et non pas des rivaux. Il en est de même pour l’Institut International de la Presse, la Fédération européenne des journalistes et de nombreuses autres organisations qui veillent à ce que la liberté des médias soit respectée. Nous sommes heureux de coopérer avec de telles organisations. L’AJE se félicite aussi du fait que le Comité de Conduite des Medias du Conseil de l’Europe a octroyé à notre organisation le statut d’observateur, en plus d’autres organisations européennes, ce qui nous offre l’opportunité de participer aux délibérations du Conseil et de contribuer à son programme du travail pour la liberté internationale des médias.

Le Taurillon : Est-ce que l’Internet a un effet positif sur la liberté de la presse ?

William Hortsley : Définitivement, il a un énorme effet positif parce que il offre la possibilité à beaucoup de gens de publier des informations et des points de vues librement, mais aussi en donnant l’opportunité aux internautes d’accéder à l’information sans coûts et sans limites. Aujourd’hui, tout le monde peut effectivement lire des milliers de journaux et des reportages des agences de presse sans payer. L’Internet est également moins contrôlable et régulé que les journaux ou l’antenne traditionnelle. Mais il y a une contrepartie à tout ça. L’avalanche de la libre information a dilué la valeur des journalistes de première minute et des analyses des experts sur le marché. On a donc eu pour effet l’affaiblissement des médias principaux, et beaucoup de journalistes professionnels ont perdu leur travail. Internet change brusquement la pratique et le travail journalistique.

Lors d’un atelier de travail sur la liberté des médias de l’AJE, qui a eu lieu dans le cadre de notre Congrès annuel de Dublin en 2007, beaucoup craignaient le risque que les standards professionnels vont continuer de baisser, en partie sous la pression des "médias nouveaux". Les journalistes en Europe devraient montrer leur engagement envers l’ « étalon d’or » de l’indépendance et du professionnalisme. De bonnes campagnes journalistiques contre les injustices, sans pour autant juger. Le travail des médias au nom d’un gouvernement ou une organisation partisane n’est pas du journalisme, mais de la propagande. La santé de la démocratie de toute société dépend toujours de la santé et de la détermination des médias qui réfléchissent indépendamment et de leur diversité.

Illustration : logo de l’Association des Journalistes Européens.

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