Précurseurs

Albert Einstein, fédéraliste

Combattant infatigable de la paix

, par Ronan Blaise

Albert Einstein, fédéraliste

Parmi les plus éminents supporters du fédéralisme, on compte un certain Albert Einstein, ce génie scientifique du XXe siècle, physicien émérite, prix nobel de physique 1921 et pionnier du nucléaire.

En effet, Albert Einstein - "moi qui suis un être affranchi de préjugés nationaux" [1] - était un internationaliste convaincu qui détestait, à l’extrême, le nationalisme et le chauvinisme [2].

Déjà, il l’avait plus d’une fois prouvé en déplorant ouvertement l’explosion du premier conflit mondial et en accueillant - publiquement et avec plaisir non feint - la création (en 1919) de la « Société des nations » (SdN) puis celle (en 1945) de l’ « Organisation des Nations unies » (ONU), espérant voir là l’avènement d’une organisation internationale enfin capable de maintenir la paix dans le monde.

Et Albert Einstein ne cessera, tout au long de sa vie, de militer - en temps que membre actif - dans les mouvements fédéralistes prônant l’instauration d’un gouvernement mondial.

La Souveraineté, cause des guerres

Tout particulièrement inquiet du développement du nucléaire (militaire) dans le contexte extrêmement délicat des débuts de la guerre froide, Albert Einstein souhaitait alors qu’il soit trouvé un moyen de remédier à "l’anarchie internationale" et à "l’insécurité terrible qui règne dans notre monde aujourd’hui".

Or, Albert Einstein avait pleinement compris que la paix et la souveraineté nationale sont deux notions antinomiques. Et que la paix mondiale ne serait vraiment assurée tant qu’il n’y aurait pas de modification culturelle substantielle du concept traditionnel de la souveraineté nationale.

Ainsi, Albert Einstein constatait que l’homme n’avait jusque là "pas réussit à créer des formes d’organisation politique et économique pouvant garantir la coexistence pratique des nations", qu’il n’avait "pas réussi à créer un système qui éliminerait la possibilité de la guerre et bannirait pour toujours les instruments meurtriers de la destruction massive" [3].

C’est pourquoi, d’après lui, le maintien de la paix internationale exigeait l’abandon partiel de la souveraineté nationale en faveur d’une organisation internationale dotée d’institutions administratives et judiciaires nécessaires au règlement pacifique des conflits internationaux ; et seule habilitée à maintenir une force militaire : "la voie qui mène à la sécurité internationale impose aux Etats l’abandon d’une partie de leur liberté d’action, en d’autres termes, de leur souveraineté" [4].

Prévenir la guerre, garantir la paix mondiale

Ainsi, "les Nations unies maintenant, et le gouvernement mondial par la suite doivent servir à un but unique : la garantie de la sécurité internationale, de la tranquillité et du bien-être de l’humanité toute entière" [5]...

D’où la nécessité pour Albert Einstein, dès le début des années 1930, que l’existence de la Cour suprême de Justice internationale soit enfin complétée par la création d’une autorité pouvant lui "conférer une autorité inattaquable" et pouvant "garantir la soumission absolue à l’exécution de ses sentences" [6].

Par la suite, Albert Einstein allait donc saluer la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU), tout en déplorant que la Charte fondatrice ne garantisse néanmoins pas la paix : "Chacun sait que la Charte n’est qu’on commencement. Elle ne garantit pas la paix. (...) La Charte est une illusion tragique, à moins que nous ne soyons prêts à prendre des décisions ultérieures pour organiser la paix".

En effet, "La Charte de San Francisco en maintenant les souverainetés absolues d’Etats-nations rivaux, en empêchant ainsi la création d’une loi supérieure dans les relations mondiales, ressemble aux « Articles de la Confédération » des treize républiques américaines du début. (Or) Nous savons que cette confédération ne marchait pas. (Car) Aucun système de ligue essayé au cours de l’histoire humaine n’a pu empêcher les coflits entre ses membres".

Vers un gouvernement mondial

Or "nous devons viser à une constitution fédérale du monde, un ordre légal du monde efficace, si nous espérons empêcher une guerre atomique" [7]. D’où la nécessité de réformer l’ONU par une modification de la « Charte des Nations unies » de telle manière qu’une organisation internationale - enfin capable de maintenir la paix dans le monde - voit le jour.

Un projet de réforme des Nations unies qui, en octobre 1947, avait alors fait l’objet d’une « Lettre ouverte » adressée par le brillant scientifique à l’Assemblée générale des Nations unies... dans le but de pousser les Etats membres à oeuvrer dans la direction de la transformation de l’ONU en une autorité supra-nationale, jetant ainsi les bases d’un véritable gouvernement mondial.

Analysant les difficultés de l’ONU naissante (les inconvénients du droit de veto, la rivalité existant entre Assemblée générale et Conseil de sécurité, etc.) Albert Einstein y proposait des pistes de réformes : proposant notamment que l’Assemblée générale des Nations unies soit accrue dans cette perspective (au détriment du Conseil de sécurité) et que les délégués des nations à l’ONU soient désormais directement élus par leurs peuples respectifs… [8].

Cela dit, Albert Einstein ne concevait pas le gouvernement mondial comme une institution devant supplanter en tout les gouvernements nationaux déjà existants. Il pensait plutôt à une organisation ayant une autorité incontestée mais limitée aux seules questions directement liées au maintien de la paix.

Albert Einstein n’obtiendra certes pas immédiatement gain de cause. Néanmoins, il continuera de lutter pour la mise en place d’un Gouvernement mondial et contre la course aux armements, notamment nucléaires : appelant les scientifiques à plus de responsabilités, les gouvernements à un renoncement commun à toute prolifération et à leur utilisation, et les peuples à chercher d’autres moyens pour faire valoir leurs droits et pour - enfin - obtenir la paix...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une photographie d’Albert Einstein : document disponible sur le site www.pressefederaliste.eu.

- Sources :

Dossier extrait de la revue « le Fédéraliste » (Pavie, XXVIe année, 1984 ; n°1, pp. 74-90), publié sur le site www.pressefederaliste.eu.

Dossier reprenant les recherches d’O. Nathan et H. Norden dans leur ouvrage « Einstein on Peace », document publié en 1981 par les éditions « Avenue Books » (New York).

Notes

[1Citation tirée de sa correspondance avec Sigmund Freud (lettre du 30 juillet 1932) : correspondance publiée par l’ « Institut international de coopération intellectuelle » de Paris, en 1933 (pp. 11 à 31).

[2« Le nationalisme est une maladie infantile. C’est la rougeole de l’humanité » (Albert Einstein).

[3Extraits d’un message adressé au « Congrès des intellectuels pour la paix » qui se tenait alors à Wroclaw, en 1948.

[4Citation tirée de sa correspondance avec Sigmund Freud (lettre du 30 juillet 1932) : correspondance publiée par l’ « Institut international de coopération intellectuelle » de Paris, en 1933 (pp. 11 à 31).

[5Propos tirés d’une « Lettre ouverte » d’Albert Einstein à l’Assemblée générale des Nations unies (octobre 1947).

[6Citation tirée de sa correspondance avec Sigmund Freud (lettre du 30 juillet 1932) : correspondance publiée par l’ « Institut international de coopération intellectuelle » de Paris, en 1933 (pp. 11 à 31).

[7Citations tirées d’une « Lettre ouverte » d’Albert Einstein au rédacteur du « New York Times » (document daté du 10 octobre 1945).

[8Propos tirés d’une « Lettre ouverte » d’Albert Einstein à l’Assemblée générale des Nations unies (octobre 1947).

Vos commentaires
  • Le 14 décembre 2008 à 17:56, par Ronan En réponse à : Albert Einstein, fédéraliste

    Je me permets de rajouter un petit commentaire :

    La publication de cet article, en ce jour (décision du nouveau rédacteur en chef du webzine...) est d’autant plus opportune qu’elle se produit quelques jours à peine après la sortie cinéma du nouveau film de SF « Le jour où la Terre s’arrêta » de Scott Derrickson (avec l’acteur Keenu Reeves, en tête d’affiche) :

    Remake du classique et depuis lors cultissime « The Day the Earth Stood Still » de Robert Wise (1951), avec l’acteur-titre Michael Rennie (références bien connues pour tous les amateurs du fameux titre d’ouverture du "Rocky Horror Picture Show" : "Science Fiction / Double Feature"...).

    La parenthèse cinématographique (et musicale...) paraîtra ici sans doute osée, voire complètement incongrue (dans un magazine essentiellement tourné vers les problématiques "européennes"...) mais il s’agit là de rappeler que les fédéralistes "mondialistes" - tels Einstein - ont toujours eu pour soucis essentiel d’essayer de trouver et formuler des réponses globales à des problèmes dramatiques touchant là l’Humanité en son entier (puisque la menaçant jusque dans sa survie...).

    En 1951, comme alors Einstein, il s’agissait là - en pleine guerre froide et en plein mcCarthysme - de pointer du doigt la menace nucléaire. Aujourd’hui, il s’agit là de sensibiliser sur la désormais incontournable question environnementale. Dans un cas comme dans l’autre, c’est ni plus ni moins que la survie de l’espèce humaine qui est en jeu. Et dans un cas comme dans l’autre, c’est une réponse collective (une remise en question "civilisationnelle" ?) qui est attendue.

    Quant aux "Entités extra-terrestres" du film, qu’elles soient compatissantes ou menaçantes, en fait peu importe : instruments de la providence (si seulement elle existe...), ils ne sont en fait là qu’un miroir tendu par le destin qui nous permet ainsi de mieux y voir le fruit de nos erreurs (et la nécessité d’une prochaine mais radicale remise en question...).

    Une thématique déjà longuement abordée par le « 7e Art », en son "rayon" films-catastrophe (i. e : "Quelle réponse collective apporter aux grandes menaces globales du futur : changement climatique, astéroïde, holocauste nucléaire, pandémie virale", etc), ainsi que dans l’article cité en référence ci-dessous...

    Menaces face auxquelles l’idée même de "souveraineté nationale" paraît enfin pour ce qu’elle est quand la survie même de l’Humanité en son entier est mise en danger par l’égoïsme national : une illusion dérisoire et une sinistre blague...

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