ALDE-LaREM : une alliance, mais pour combien de temps ?

, par Basile Desvignes

 ALDE-LaREM : une alliance, mais pour combien de temps ?

Du 8 et au 10 novembre se tenait à Madrid le Congrès de l’ALDE (Alliance et Libéraux et Démocrates Européens) qui rassemblait 1300 libéraux venus de toute l’Europe. A six mois des élections européennes, ce congrès avait pour ambition de constituer une position commune aux centristes européens. Il a débouché sur l’adoption d’un manifeste constituant un « front commun libéral […] large pour lutter contre le nationalisme et le populisme » en Europe. Un autre évènement a marqué le week-end : une alliance a été conclue entre La République en Marche (LaREM), qui avait envoyé trois délégués au congrès, et l’ALDE. Cette « nouvelle coalition pour une nouvelle Europe » doit déboucher sur une campagne commune en 2019 et à terme sur un nouveau groupe au Parlement européen.

LaREM et l’ALDE souhaitent ainsi présenter un centre uni, progressiste face aux nationalistes, souverainistes et populistes européens. Plusieurs questions se posent néanmoins à propos de cette nouvelle alliance. Derrière une volonté d’apparaître homogène, l’alliance est en fait un consortium de libéraux, chrétiens-démocrates, socialistes voire écologistes : qui aura le plus d’influence dans cette nouvelle formation ? Peut-elle rester unie jusqu’aux élections puis au sein d’un groupe unique au Parlement ?

Les luttes d’influence dans la nouvelle coalition

Avec cette alliance, le groupe LaREM-ALDE réaffirme son objectif de rassembler toutes les forces proeuropéennes dans une coalition unique. Il défend la création d’une alliance homogène des « progressistes » opposées aux « populistes » et illustre alors très bien le discours binaire du Président français qui vise à opposer les pro-européens aux eurosceptiques. Derrière une volonté d’homogénéité se cache en fait une véritable lutte au sein de la coalition entre LaREM, certains libéraux et les chrétiens démocrates.

Deux principales visions s’opposent. D’abord, celle du camp d’Emmanuel Macron qui noue des liens à la fois avec des libéraux de toute l’Europe (Ciudadanos en Espagne, le parti des Démocrates 66 aux Pays-Bas et Radikale Venstre au Danemark), et des groupes socio-démocrates (Plateforme civique de centre-droit en Pologne et les partis de centre-gauche d’Italie et du Danemark). Ainsi, Garance Pineau, déléguée LaREM, défend que les partis de gauche sont des alliés naturels du président français pour l’Europe car ils partagent une vision ambitieuse pour la poursuite de l’intégration européenne.

A l’opposé, certains libéraux craignent une trop grande coalition qui risque d’aliéner certains membres de l’ALDE. Pour eux, le Parti populaire européen (PPE) et la gauche sont des ennemis idéologiques. Certains partis libéraux comme NEOS en Autriche, déplorent un trop grand élargissement en défaveur d’une cohérence idéologique. La lutte d’influence entre libéraux et socio-démocrates voire socialistes est également très présente dans la coalition. Plusieurs accords entre LaREM et des partis libéraux, comme le Volkspartij voor Vrijheid en Democratie de Mark Rutte, ont été adoptés pour marginaliser les chrétiens démocrates de Guy Verhofstadt dans le groupe ALDE. Enfin, LaREM et l’ALDE veulent garder leur identité distincte. Les deux partis ne fusionneront pas pour que chacun puisse conserver une position propre, même dans un unique groupe parlementaire.

Deux scénarios sont donc envisageables après les élections européennes. Si le projet d’Emmanuel Macron se concrétise, il répliquera son succès de 2017 de construction d’une nouvelle force capable de rivaliser avec les partis traditionnels. Il pourra défendre sa vision d’une plus grande intégration européenne. De plus, alors qu’Angela Merkel a annoncé quitter la vie politique en 2021, on peut imaginer qu’Emmanuel Macron projette de reprendre son rôle de leader au sein de l’Union européenne. En revanche, s’il échoue, Emmanuel Macron pourrait se retrouver totalement isolé sur la scène européenne, sans allié important et coincé entre la droite et la gauche.

Le combat contre les Spitzenkandidaten

L’alliance centriste, si elle demeure unie, ne se limitera pas à la campagne pour le Parlement. La coalition a plusieurs fois réaffirmé sa volonté de lutter contre le PPE dans les institutions qu’il contrôle : au Parlement jusqu’aux élections européennes et après les élections à la Commission. Dans cette logique, les libéraux se sont prononcés lors du Congrès de Madrid contre la nomination d’un Spitzenkandidat, alors que les Sociaux-Démocrates (S&D) et le PPE ont chacun désigné leur candidat tête de liste. Les libéraux ont préféré contourner la logique des Spitzenkandidaten pour présenter une liste de neuf candidats possibles dans laquelle le Conseil européen pourra choisir un candidat. Certains noms de potentiels candidats circulent déjà. On peut citer Margrethe Vestager, commissaire européenne en charge de la concurrence, le chef du groupe ALDE au Parlement et ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt ou bien encore la commissaire européenne à la justice, Věra Jourová. La liste complète sera présentée en février lors d’un congrès à Berlin.

Le principe du Spitzenkandidat organise le mode de désignation du président de la Commission européenne depuis 2014. Ce principe veut que chaque parti politique européen présente un candidat tête de liste pour les élections européennes, et que le candidat dont le parti remporta la majorité des voix des citoyens européens, soit proposé par les Etats membres pour présider la Commission européenne.

Le principal argument de ce système est qu’il favorise l’émergence d’une conscience politique européenne : les Etats membres ont moins d’influence sur les propositions de candidats et sont appelés à écouter le choix des électeurs. Les logiques nationales sont atténuées.

L’ALDE se présentait jusqu’à présent comme très favorable au système de Spitzenkandidaten, mais a finalement changé de position au Congrès de Madrid. Le groupe justifie ce volte-face en rappelant que le PPE avait promis d’établir des listes transnationales, proposition qui a été rejetée au début de l’année. Ce changement d’opinion de l’ALDE peut en réalité être associé avec la récente alliance avec LaREM. En effet, la lutte contre le système de Spitzenkandidaten est une des mesures de campagne phare que défendait Emmanuel Macron en 2017 sans la mise en place de liste transnationale. Il était en faveur l’établissement de listes transnationales qui auraient permis selon lui de dépasser les frontières géographiques et le développement d’un projet plus cohérent et démocratique à l’échelle européenne. Aujourd’hui, il veut relancer ce débat à l’échelle européenne et affirme que le système de Spitzenkandidaten ne peut être valable que si des listes transnationales sont établies. Pour lui, il s’agit d’un système de confiscation de la démocratie où les dirigeants sont élus en interne qui ne serait viable que si des listes transnationales sont établies. « Notre Spitzenteam est notre liste transnationale libérale », a déclaré Bram Delen, porte-parole des Chrétiens Démocrates de l’ALDE. Une concession de la part de l’ALDE pour s’assurer d’une alliance avec LaREM ?

Il n’y a évidemment pas que l’argument de l’alliance derrière cette concession : cette opposition commune de l’ALDE et de LaREM au système des Spitzenkandidaten s’explique aussi par leur volonté de s’opposer au PPE. Ce système de candidats tête de liste reviendrait de fait à réserver le poste de président de la Commission européenne au candidat du PPE, qui repose sur une majorité relative au Parlement européen depuis 2004. Les libéraux et centristes considèrent-ils qu’il leur est impossible de rassembler une majorité au Parlement européen en mai prochain ?

« Pendant des décennies, le PPE a assumé toutes les présidences. La situation de l’Europe aujourd’hui en est clairement le résultat, et nous allons proposer une alternative. » a affirmé Pieyre-Alexandre Anglade, député LaREM des Français du Benelux.

En revenant à l’ancien système de désignation, Emmanuel Macron veut proposer plusieurs candidats trans-partisans qui pourront être élus plus facilement par le Parlement après les élections. Par exemple avec l’aide de la S&D, comme un nouveau Jacques Delors, élu grâce à un accord entre la droite et la gauche européenne. Néanmoins, sa position est très critiquée, notamment par les acteurs pro-européens. En effet, il permettrait aux chefs d’État et de gouvernements de proposer des candidats nationaux au sein du Parlement, organe supranational et qui ne devrait pas permettre aux Etats d’exprimer leur position. Le système des Spitzenkandidaten est donc mis à mal, bien qu’il demeure soutenu par les deux plus grands groupes du Parlement.

Le processus de rapprochement entre LaREM et l’ALDE a donc grandement avancé lors du Congrès de Madrid. Les libéraux européens ont décidé de faire front commun pour la campagne de 2019. Néanmoins, les élargissements à d’autres courants politiques à gauche comme à droite pourront mener à des tensions et des luttes d’influence au sein de la nouvelle coalition. Le projet de la coalition est de devenir la seconde force politique du Parlement européen mais les projections les plus récentes du Parlement européen sont mitigées. Elles montrent que la coalition est en passe de remporter 92 sièges, loin derrière les deux partis traditionnels (137 pour les S&D et 180 pour le PPE) : l’objectif de la coalition sera difficile à atteindre. « L’objectif doit être, surtout, de renverser les rapports de force et la logique des conservateurs », affirme Pieyre-Alexandre Anglade, délégué LaREM à Madrid. La coalition devra pour cela composer avec les dissensions idéologiques en son sein, dues à un fort élargissement. Reste à voir lequel des neufs candidats saura rassembler les membres de la coalition si celle-ci bat de l’aile avant le scrutin européen…

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