Amérique latine : fédéralisme et antifascisme européen et latino- américain - (Années 1930 et 1940)

Article paru à l’origine dans le numéro 189 de « Fédéchoses »

, par Fédéchoses, Jean-Francis Billion

Amérique latine : fédéralisme et antifascisme européen et latino- américain - (Années 1930 et 1940)

Extraits de « L’Europe et le fédéralisme vus du côté des antifascistes européens en Amérique latine (Années 1930 et 1940) », à paraître chez Peter Lang, Bruxelles, in Actes du Colloque « Visions of Europe in the Resistance », Université de Gênes, mars 2019.

L’émigration antifasciste ne date pas du début du conflit mais de 1922 (Italie), 1933 (Allemagne), 1939 (Espagne)... et s’accélère avec l’offensive nazie pour la France et les autres pays d’Europe continentale.

Des intellectuels prennent position sur l’Europe et le fédéralisme. Georges Bernanos ou l’allemand Paul Zech, nombre d’Espagnols et d’Italiens. Certains, Victor Serge ou Stefan Zweig, collaborent à la presse antifasciste locale. Bernanos, monarchiste un temps proche de Maurras, collabore avec la France libre (FL), publie une « Lettre aux Anglais » sur une Europe devant répudier le nationalisme et revenir à la tradition de l’unité tandis que le juriste André Gros exprime son scepticisme sur une unification prochaine de l’Europe. Paul Rivet, ethnologue, collabore avec la FL, fonde l’Institut français d’Amérique latine et est en contact avec les Républicains espagnols et le groupe Socialismo y Libertad. En Argentine, Roger Caillois crée Les Lettres françaises, publiant Jean Malaquais ou Victor Serge (de SyL) et des européistes, Julien Benda, Jacques Maritain, Jules Romains, Denis de Rougemont. Erich Koch-Weser (Brésil, 1933), président du Parti démocratique allemand de la République de Weimar écrit sur la réorganisation de l’Europe (1942-44) et publie au Chili dans le Deutsche Blätter fondé par Zech...

Des mouvements fédéralistes préexistent en Amérique latine sur lesquels j’ai déjà écrit divers textes. Il est impossible de revenir sur eux et leurs contacts avec les émigrés antifascistes faute de place. Je me contente donc de les mentionner et d’indiquer en notes quelques sources.

Unión federal (UF, Argentine)

En contact avec les Federal Union (anglaise et américaine), interdite après un coup d’État (06.43) et fondée par deux émigrés britanniques l’UF est relancée fin 1944 en particulier par Curio Chiaravidio président du mouvement Italia libera (IL) et participe à Montevideo à la création d’une Latin Republican Union for the Federation of the Democracies (04.45).

Asociación pacifista argentina (APA)

Deux objecteurs de conscience français, fondent l’APA et sa revue Pacifismo avec Juan Lazarte plus tard du Movimiento pro federación americana (MPFA, Bogota 1948). L’APA participe à Montreux à la fondation du World Movement for World Federal Government (08-47) et veut une « fédération latino-américaine (...) premier pas vers la fondation d’une fédération panaméricaine, et plus tard d’une fédération mondiale ».

Partido unionista centro-ameriocano (PUCA) et Unión democratica centro-americana (UDC)

Salvador Mendieta crée le PUCA (1902) pour reconstruire la Federación de Centro-América dissoute en 1848. Dans son sillage, L’UDC, nait à Mexico (1943) et publie Centro-América libre, ses membres affrontent les partisans de l’Axe et le PUCA organise une convention très antifasciste. Les unionistes écrivent à Roosevelt soutenant la lutte antifasciste mais dénonçant la duplicité des États-Unis soutenant les dictateurs refusant la Federación de Centro-América.

Les exilés européens en Amérique latine

Allemagne

C’est dans la gauche socialiste (Sozialistiche Arbeiterpartei, SAP ; Neue Beginnen ; Internationaler Sozialisticher Kanpfbund, ISK) ou parmi des libéraux et chrétiens que militent avant-guerre la plupart des gens intéressés par une Europe fédérale et démocratique ; la direction du Parti social-démocrate (SPD) ne s’y intéresse pas avant 1943 (ni les communistes ou nationaux-socialistes dissidents de Otto Strasser). August Siemsen, ancien député SPD rejoint le SAP avant de s’exiler en Argentine où il fonde Das Andere Deutschland (DAD, 1938) qui s’étend en Amérique latine, publie Das andere Deutschand-La Otra Alemania et prend position pour la Fédération européenne avant même le congrès de Montevideo (01.43) qui adopte le Politisches Manifest der Deutschen Antifascisten Sudamerikas. Siemsen, en contact avec Willy Eichler de l’ISK à Londres et sa sœur Anna en Suisse, proche de Hanna Bertholet (de l’ISK) qui participe aux réunions de Genève organisées par Spinelli / Rossi et la Délégation de la Résistance française en Suisse.

Espagne

Ancien président des Cortes, Diego Martinez Barrio lance de Mexico un appel aux démocraties occidentales à contribuer au départ de Franco car « sans une Espagne libre, une Europe libre ne sera pas possible » (1941). Les Républicains ne sont pas unis : Acción republicana española (ARE), Unión democrática española (UDE) et lorsqu’est fondée la Junta española de liberación (JEL) les communistes et d’autres la boudent.

José A. Aguirre, du Parti nacional vasco (PNV, démocrate-chrétien), exige l’autodétermination et soutient l’unité européenne ; Josep Irla, ancien vice-président du parlement catalan revendique de Londres l’indépendance dans une confédération ibérique. À Mexico España (JEL), Adelante ! et El Socialista (Partico socialista obrero español, PSOE) publient sur l’Europe, le fédéralisme, l’unité latine et les séparatismes. De multiples Centro republicano español (CRE) existent et fin 1943 celui de Montevideo contacte IL (BA), d’autres « Republicanos » puis, à New York, le Comte Carlo Sforza, futur ministre italien des affaires étrangères, aboutissant début 1945 à la Conférence de Montevideo pour l’Union républicaine latine. Carlos Zubillaga cite la Déclaration de la commission organisatrice du CRE tandis que Federal News, de Londres, résume les objectifs de l’organisation : « en Amérique, un panaméricanisme démocratique, en Europe, une fédération des peuples libres ; dans le monde, la paix dans l’égalité, la liberté et l’indépendance de toutes les nations ».

France

Les exilés français s’affilient souvent aux réseaux gaullistes qui « montraient une réserve considérable, si ce n’est de l’hostilité, envers l’idée d’unifier l’Europe en limitant la souveraineté nationale » ; il n’existe pas de presse française locale développant des vues fédéralistes et l’hebdomadaire La France nouvelle fondé à Buenos Aires par le responsable France libre (FL) local, Albert Guérin, ne publie de positions fédéralistes de la Résistance qu’après son arrivée à l’Assemblée consultative provisoire d’Alger. Pas trace, non plus, de prises de positions européistes lors des réunions des comités FL d’Amérique latine à Montevideo puis Santiago fin 1943 et 1944.

Sans oublier Rivet, il faut mentionner Marceau Pivert et Julien Coffinet, liés à SyL dont Pivert est l’un des fondateurs (03.43). Ancien leader de l’aile gauche de la SFIO, il arrive au Mexique (été 1940) et reste en contact à Lyon avec le groupe de L’Insurgé. Coffinet, ancien du Cercle communiste démocratique puis de la SFIO émigre en Uruguay, contacte SyL et écrit dans sa revue Análisis de Mexico. Avec l’anarchiste italienne Luce Fabbri et les Républicains Fernando et Pilar de Cárdenas animateurs du CRE, il s’occupe de la revue Socialismo y Libertad de Montevideo.

Le témoignage de Fabbri est intéressant : « Vers 1943 naquit une expérience très intéressante, celle de travailler avec des personnes appartenant à diverses tendances : socialistes, anarchistes et républicains. L’idée était que dans chaque pays les réfugiés européens devaient se réunir en ayant comme objectif une Europe unie. (...) Nous avons publié une revue (...) dans laquelle chacun de nous écrivait en partant de sa propre position ».

Italie

En grande majorité les antifascistes italiens abordent l’Europe d’après-guerre du point de vue de l’intégration européenne, dénonçant le plan nazi d’unification continentale par la conquête et lui opposant la volonté de bâtir une Europe libre, démocratique et fédérale. Le prêtre Don Luigi Sturzo, fonde le Partito popolare italiano, émigre à Londres et crée l’internationale catholique antifasciste People and Freedom Group (1936-44) puis de New York co-rédige le manifeste Devant la crise mondiale (1942). Il veut pour l’Europe des fédérations régionales puis une fédération incluant la Grande-Bretagne et l’URSS. Ses partisans argentins publient Tiempos nuevos et se dissolvent après, semble-t-il, une rencontre démocrate-chrétienne internationale à Montevideo (1943).

Au-delà, l’émigration se partage entre La Mazzini Society (MS) et l’Allianza internazionale Giuseppe Garibaldi (AIGG). La MS fondée aux États-Unis (1939-43) par des proches de Giustizia e libertà (GL) dont Gaetano Salvemini, qui la quitte en désaccord sur les communistes ainsi que l’écrivain Antonio Borgese (1942). La MS veut conscientiser les Italo-américains et influencer la politique anglosaxonne, Carlo Sforza s’efforce d’en faire l’équivalent de la FL et de prendre la tête d’un gouvernement en exil.

Les résultats décevants le poussent à s’appuyer sur IL et à organiser le Congrès de Montevideo. IL, fondée en Argentine (1940) essaime dans tout le sous-continent et se lie à la MS ; ses groupes prennent des positions fédéralistes. L’AIGG est créée à Mexico (1942) par Francesco Frola, ancien député socialiste émigré au Brésil où il dirige le journal antifasciste La Difesa avant de créer à BA La Giustizia et Il Risorgimento puis se fixe au Mexique (1938) ; ses co-fondateurs sont communistes, Mario Montagnana et Vittorio Vidali, et l’AIGG appelle à l’unité antifasciste suite à l’invasion de l’URSS par les nazis. Elle s’internationalise et lance un appel aux « hommes libres de France, d’Espagne et d’Italie, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de leurs frontières nationales, à former une Association de peuples européens (...) ceci, toutefois, n’est pas notre but ultime en ce qui concerne l’organisation future du monde ».

Le Congrès de Montevideo se déroule en présence de l’ambassadeur américain, de représentants britanniques, de la FL, de gouvernements européens en exil, de politiques latino-américains et d’une centaine de délégués IL. Il est la principale manifestation de l’exil italien aux Amériques. Il faut souligner que les trois réunions de Montevideo organisées par la MS et IL (08.42), DAD (01.43) et la JEL (début 1945) prennent des positions en faveur d’institutions fédérales internationales (américaines, atlantiques ou européennes) dans une perspective mondialiste.

Le groupe international Socialismo y Libertad (1940-45)

Le groupe international Socialismo y Libertad (1940-45) est créé à Mexico par des réfugiés socialistes et libertaires dont certains se connaissent avant de fonder le Centro marxista revolucionario internacional (1940, Partido obrero de unificación marxista [POUM] espagnol, Independant Labour Party britannique, Parti socialiste ouvrier et paysan de Pivert, SAP, Parti socialiste maximaliste italien...). Antistaliniens, mais critiques de Trotsky malgré leur respect et le choc de son assassinat, ils ne conçoivent pas le socialisme sans la liberté et refusent la voie nationale au socialisme. SyL comprend des Latino-américains et s’étend en Amérique latine et dans les îles du golfe du Mexique, correspond avec l’ILP, le SAP, l’ISK, le Parti socialiste italien, GyL, IL/MS, l’IAGG, l’Insurgé, le Bund (organisation socialiste juive) ou Polonia popular...

Deux revues Análisis – Revista de hechos y ideas puis Mundo – Socialismo y Libertad sont créées et une Déclaration de principes publiée. Parmi les initiateurs : Julián Gorkin et Enrique Gironnella (POUM), Pivert, Victor Serge libertaire et ex dirigeant de l’opposition trotskiste en URSS, l’ancien communiste allemand Gustav Regler, Leo Valiani (Pierre Chevalier), ancien communiste compagnon de prison de Spinelli à Rome, plus tard à l’origine de sa rencontre avec André Ferrat (1945), communiste puis responsable de la revue marxiste antistalinienne Que faire ? (1934), fondateur du Comité français pour la Fédération européenne (CFFE, 1944).

Serge, Gorkin, Pivert et ‘Chevalier’ publient Los problemas del socialismo en nuestro tiempo, considéré comme le Manifeste du groupe et de nombreux articles dans Análisis ou Mundo sur l’Europe et le fédéralisme. Mundo informe sur les activités et écrits de groupes de résistance clandestins proches : Libérer et fédérer, GyL, Franc-Tireur et L’Insurgé et, dans ses derniers numéros, publie des informations sur deux importantes réunions fédéralistes en Europe.

« ¡ Hacia una Federación europea ! » signale, sans la nommer, la Déclaration fédéraliste des Résistances européennes rédigée à Genève de mars à juillet 1944 sur l’initiative de Spinelli, Rossi et de la délégation en Suisse de la Résistance française ; Mundo publie aussi les commentaires laudatifs du Mouvement de libération nationale de Lyon, mais réserve sa position et questionne ses lecteurs sur l’aspect « confus et insuffisant en ce qui concerne la transformation de l’ordre économique et social de l’actuel régime capitaliste ».

« Por una federación europea », dans le dernier numéro de Mundo, sans aucunes réserves cette fois publie un compte-rendu de la Conférence fédéraliste de Paris du printemps 1945 organisée par Spinelli et Ursula Hirschmann, avec l’aide d’Albert Camus et du MLN, à laquelle s’exprime un adjoint de Pivert, Michel Collinet. Le CFFE est mentionné de même que les personnalités présentes ou invitées en plus d’extraits des rapports de Ferrat et d’Antonelli (Spinelli). En dernière page du même numéro l’article non signé « Socialismo y Libertad debe ser organizado en Europa », laisse entrevoir la décision de Gironella, Gorkin et Pivert de regagner l’Europe et d’y poursuivre leurs combats ; ils auront un rôle important dans la création, en particulier, du Mouvement socialiste pour les États-Unis d’Europe, aux côtés... d’Henri Frenay fondateur du mouvement Combat et l’un des principaux responsables de l’UEF.

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