Anne Sander : « Le Parlement a montré qu’il était totalement indépendant »

, par Lucas Nitzsche

Anne Sander : « Le Parlement a montré qu'il était totalement indépendant »

Le rejet par le Parlement européen de trois candidats au poste de commissaires européens a contraint la nouvelle Commission européenne à reporter d’un mois son entrée en fonction, prévue désormais pour le 1er décembre. Anne Sander (1), députée européenne du Parti populaire européen (LR/PPE), revient avec nous sur la composition et les objectifs de la nouvelle Commission.

Que pensez-vous globalement de la composition de la nouvelle Commission européenne annoncée par Ursula von der Leyen ?

Anne Sander : Pour l’instant, elle n’est pas tout à fait formée, c’est pourquoi je reste prudente et j’attends de voir quelles seront les dernières nominations. Ce qu’on peut déjà dire de cette nouvelle Commission, c’est que nous [les députés du PPE] sommes contents d’avoir une présidente issue du PPE, et nous avons dû nous battre là-dessus.

J’ai un gros regret : le principe du Spitzenkandidat (2) n’a pas été retenu, et donc je trouve que c’est un recul démocratique par rapport à 2014, dans le sens où le Parlement n’a pas été respecté et, derrière le Parlement, l’expression des citoyens européens ; les citoyens qui, par ailleurs, se sont mobilisés, et même plus que ce que l’on imaginait.

Nous avons reçu la feuille de route de la Commission européenne, et nous restons extrêmement attentifs à la suite. Aujourd’hui, je ne suis pas en mesure de vous dire si nous avons là une bonne Commission ou pas, nous allons voir comment les choses s’équilibrent. Nous avons évidemment voté la feuille de route d’Ursula von der Leyen, qui contient beaucoup de points sur lesquels on se retrouve, mais j’ai néanmoins un regret, à savoir la place de l’agriculture. Sur ce dossier, que je suis de près, je regrette qu’il n’y ait pas d’engagement fort : on parle d’alimentation et d’environnement, qui sont des sujets essentiels, mais on oublie l’agriculture, et donc je serai particulièrement attentive à ce point-là. En revanche, je me réjouis de la place laissée à la convergence sociale en Europe.

Sur sa feuille de route, une des priorités d’Ursula von der Leyen est de rendre l’Europe neutre en carbone d’ici 2050, soit d’ici 30 ans. Pensez-vous que cet objectif soit réaliste ?

Je ne peux pas vous dire oui ou non. Dans tous les cas, c’est un objectif relativement ambitieux, nous avons bien vu durant ces élections qu’il y avait une vraie volonté de la part de nos concitoyens d’une Europe plus engagée envers le climat et l’environnement. Je voudrais rappeler qu’à ce jour l’Europe est déjà le continent le plus vert, que d’énormes efforts avaient déjà été engagés par le passé, mais qu’il faut aller beaucoup plus loin, c’est certain. L’Europe a une responsabilité, elle doit être ambitieuse pour elle-même, mais aussi pour montrer l’exemple et entraîner avec elle le reste du monde. Tout cela doit se faire de manière équilibrée, que ce soit au sein de l’Union ou vis-à-vis du reste du monde. Cela veut dire que si nous sommes exigeants envers nos entreprises, en les obligeant à respecter certaines normes environnementales par exemple, nous devons astreindre le reste du monde à la même exigence et à la même ambition. Concrètement, ce qui rentre en Europe doit respecter nos normes et standards, et cela doit se faire à travers des accords commerciaux.

La nouvelle présidente de la Commission s’est également fixé comme priorité l’immigration, et elle veut notamment revoir le Traité de Dublin. Est-ce que vous approuvez la politique migratoire de Madame von der Leyen ?

J’ai un peu moins suivi la politique migratoire de Madame von der Leyen, mais je pense qu’aujourd’hui, la responsabilité est dans le camp des États membres de l’UE, qui doivent absolument s’entendre. Les questions migratoires doivent trouver une réponse au niveau européen, et cette crise migratoire est aussi une des raisons qui a conduit à un rejet de l’Union. Les citoyens ont l’impression que l’Europe a été défaillante sur les sujets migratoires, c’est pourquoi elle doit s’en saisir, mais elle n’a pas le droit d’imposer certaines choses, comme des quotas de migrants, aux États membres.

Il va falloir voir ce qu’Ursula von der Leyen entend par « révision » du Traité de Dublin : celui-ci impose aujourd’hui qu’un migrant soit enregistré dans le pays où il arrive. Décider d’une répartition des migrants au niveau européen, je ne crois pas que ce soit la solution, parce que cela va contribuer au rejet des migrants et de l’Europe dans la société. Il faut trouver une autre solution : nous pensons que toute la politique migratoire et d’asile devrait se faire aux frontières de l’Union européenne, et plus précisément à l’extérieur de l’UE. Nous défendons toujours les même sujets, à savoir la différence entre les migrants et les réfugiés politiques, les accords conclus avec les pays de provenance des migrants, une clause pour lier l’aide au développement à la coopération avec les pays d’origine, et je pense que c’est davantage ainsi qu’il faut raisonner plutôt que de réviser le Traité de Dublin ou d’imposer des quotas aux États.

Certains commentateurs politiques reprochent à la nouvelle présidente de la Commission de manquer de « leadership ». Qu’en pensez-vous ?

Non, je pense qu’il est trop tôt pour en juger. J’aimerais plutôt saluer les compétences d’Ursula von der Leyen, dire que je suis fière car c’est une femme et qu’elle a un beau parcours, un beau profil. Elle a une marge de manœuvre qui est limitée, elle est obligée de composer avec les chefs d’États et de gouvernements qui nomment les commissaires, et je trouve qu’elle s’en est plutôt bien sortie. Elle a à faire à des personnalités fortes, dont d’anciens vice-présidents de la Commission, et je trouve qu’elle s’en est très bien sortie. Il faudra voir sur la durée, mais je ne pense pas qu’aujourd’hui on puisse affirmer qu’elle manque de « leadership ».

Depuis l’annonce de la nouvelle Commission, le Parlement européen a refusé trois candidats, dont Sylvie Goulard, la candidate de la France. Emmanuel Macron a déclaré qu’il ne comprenait pas le rejet, et Nathalie Loiseau l’a qualifié de « vote des mauvais perdants ». Quel message a envoyé le Parlement à Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron n’a jusque-là pas respecté le Parlement européen, et ce qui s’est passé avec Sylvie Goulard n’est pas le vote des « perdants » : je ne vois pas qui seraient les perdants ? Je pense qu’Emmanuel Macron a beaucoup méprisé le Parlement, alors que ce dernier vient de montrer qu’il s’affirmait, qu’il était totalement indépendant, et qu’il n’avait pas de leçons à recevoir de la part du président de la République française. Nous sommes aujourd’hui organisés au niveau européen autour d’institutions qui jouent chacune leur rôle. C’était là l’occasion de montrer que le Parlement est pleinement indépendant, et je pense qu’il a fait preuve de beaucoup de maturité dans cette affaire. Sur le fond, Emmanuel Macron pensait pouvoir passer en force, sans respecter le Parlement, avec une candidate qui ne respectait pas les conditions pour être ministre en France, et qu’on aurait pu imposer au niveau européen, ce qui est totalement inacceptable. Nous considérons que si demain elle devait être mise en examen, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, elle mettrait en cause l’ensemble de la Commission européenne.

Ce n’est pas du tout une question de « perdants » ou de vengeance, c’est simplement qu’il n’y a pas de raison qu’au niveau européen le casting soit moins bon qu’au niveau national. Il n’y a aucune rancune des députés du PPE, qui de plus n’étaient pas les seuls à voter contre, puisque l’ensemble des députés, excepté ceux du groupe Renew, ont voté contre.

Selon vous, qui est-ce qu’il faudrait proposer à la succession de Sylvie Goulard ?

Il faudrait une personnalité politique, quelqu’un d’éminemment politique, qui a un charisme, qui soit connu dans toute l’Europe et qui connaisse bien l’Europe : tout sauf un technocrate. Il faut une grande figure, car elle sera l’image de la France, mais aussi l’image de l’Europe, et car c’est une sacrée responsabilité d’être commissaire européen. Il faut faire des propositions, être présent partout et discuter avec les chefs d’États et de gouvernements, avec les ministres. Il faut donc quelqu’un qui pèse face au Conseil : il faut une grande personnalité. Personnellement, j’aime beaucoup le parcours de Michel Barnier (3), c’est quelqu’un qui a un beau profil.

Propos recueillis par Lucas Nitzsche, en face à face, en français, au siège du Parlement européen à Strasbourg, lundi 21 octobre 2019.

(1) Anne Sander est députée européenne depuis 2014, tout d’abord sous la bannière de l’Union pour un Mouvement Populaire, puis depuis 2015 des Républicains, en tant que membre du groupe du Parti populaire européen (PPE). Elle est notamment membre de la Commission de l’agriculture et du développement rural.

(2) Le principe de Spitzenkandidat est un mode de désignation du (de la) président(e) de la Commission européenne. Le/La président(e) sera celui/celle qui a été désigné(e) tête de liste d’un parti européen lors des élections européennes et qui récolte le plus de suffrages à l’issue des élections.

(3) Michel Barnier est le négociateur en chef de la Commission européenne pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le 21 octobre 2019, l’Élysée a désigné Thierry Breton comme son nouveau candidat au poste de commissaire européen.

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