Antonio Guterres aux Nations Unies, une nomination qui désunit l’Europe

, par Geoffrey Lopes

Antonio Guterres aux Nations Unies, une nomination qui désunit l'Europe
Le drapeau onusien. CC Flickr

Antonio Guterres est devenu jeudi le neuvième secrétaire général des Nations unies. Contre toute attente, le Portugais n’a pas profité d’un soutien unanime des Européens. L’Union s’est déchirée et donnée en spectacle.

Les Européens viennent d’écrire un nouveau chapitre du livre de l’intranquillité cher au poète portugais Fernando Pessoa. Après un Péruvien, un Égyptien, un Ghanéen et un Sud-coréen, l’organisation devait introniser un Européen. Une règle tacite onusienne prévoit que le poste de secrétaire général des Nations unies alterne entre les continents. La Russie a longtemps rêvé d’un secrétaire général issu de l’ex bloc soviétique, implanté dans sa sphère d’influence. Une floraison de personnalités d’Europe de l’Est, du Serbe Vuk Jeremić au Slovaque Miroslav Lajčak, en passant par l’ancien président slovène Danilo Türk, ont tenté leur chance. L’Union européenne, indécise, ne les a jamais soutenus.

Invraisemblable cacophonie

L’Union n’a pas pour autant considérer la campagne d’Antonio Guterres. Le Portugais a pourtant fait grosse impression dans les 15 capitales du Conseil de sécurité avant de crever l’écran lors de son oral de passage devant l’Assemblée générale en avril. Qu’importe le triple handicap que lui ont attribué les observateurs. L’homme socialiste originaire d’Europe de l’Ouest a avancé ses pions, jusqu’à obtenir le précieux appui de Moscou. « Nous préférons une candidature d’Europe de l’Est. Mais Antonio Guterres fera un bon secrétaire général des Nations Unies », a confié le ministre des Affaires étrangères russes Serguei Lavrov en juillet à son homologue portugais. Ardemment soutenu par la France et le Royaume-Uni, Antonio Guterres a aisément remporté tous les votes indicatifs du Conseil de sécurité. Sans suscité le moindre intérêt de l’Union, toujours flegmatique et pusillanime.

Coup de théâtre le 28 septembre. Le premier ministre bulgare Boïko Borissov a décidé d’abandonner sa candidate Irina Bokova. L’a-t-il écarté sous la pression ? Toujours est-il que la Bulgare, directrice générale de l’UNESCO, ne faisait pas le poids dans la course. Seul Moscou l’encourageait. « Le gouvernement bulgare a décidé de donner sa chance à une candidate mieux placée », s’est justifié le ministre des Affaires étrangères bulgare Daniel Mitov. Celle-ci n’est autre que Kristalina Georgieva, vice-présidente de la Commission chargée du budget et des ressources humaines. La Commission, l’Allemagne et un contingent de pays d’Europe centrale et orientale ont applaudi ce revirement de dernière minute.

Douloureuse fracture

Angela Merkel, ravie, s’est attachée à défendre Kristalina Georgieva coûte que coûte. Elle a manœuvré en coulisse pour permettre à cette femme, originaire d’Europe de l’Est et issue du même parti de centre droit qu’elle, de refaire son retard. Elle s’est employée à barrer la route du favori des Français et des Britanniques, membres permanents du Conseil de sécurité. Une initiative unilatérale qui n’est pas du goût de la diplomatie portugaise, profondément vexée. « Si Angela Merkel avait vraiment voulu une femme de l’Est pour diriger l’ONU, elle aurait du en soutenir une figurant déjà dans la course », déplore Monica Ferro, docteur en relations internationales à l’université de Lisbonne. De son côté, la Commission a discrètement assisté la Commissaire bulgare. L’eurodéputé conservateur britannique David Campbell Bannerman soupçonne même Kristalina Georgieva d’avoir utilisé des fonds européens pour sa campagne à l’ONU.

L’élection d’Antonio Guterres, meilleur candidat en lisse, s’est votée sans heurt. Le Conseil de sécurité a même présenté son choix mercredi 5 octobre dans une rare unité des 15 ambassadeurs complices. « Vous êtes les témoins, je pense, d’une scène historique », en a présenté le représentant russe à l’ONU Vitali Tchourkine. « Nous avons un candidat dont l’expérience, la vision, la capacité d’adaptation sur un grand nombre de sujets ont fini par convaincre. C’est remarquable qu’il n’y ait eu ni contentieux ni controverse », s’est félicité la représentante américaine Samantha Power à ses côtés. Les grandes puissances n’ont pas retenu de candidature saugrenue.

Les doux rêveurs qui se berçaient d’un siège unique pour l’Union européenne aux Conseil de sécurité des Nations unies peuvent se rhabiller. Les 28 États membres viennent de fouler au pied leurs valeurs et volontés communes. Ils en ont piétiné la politique étrangère de sécurité a priori commune, elle aussi. Le Conseil de sécurité, habituellement si morcelé, peut se moquer d’une Union où les rivalités diplomatiques ont repris le dessus. « Prends garde à l’ami que tu as offensé », raconte un proverbe portugais. Il devient désormais délicat de nier les prémisses à une dangereuse méfiance entre les 28 États membres de l’Union.

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