Prospective

Après la monnaie unique, l’impôt européen ?

Financer le budget communautaire, souligner l’intégration européenne...

, par Pierre-Marie Giard

Après la monnaie unique, l'impôt européen ?

L’idée d’un impôt européen - lequel se substituerait aux actuelles contributions nationales pour financer le budget communautaire - est toujours restée sans suite. Son objectif serait pourtant moins financier que politique : il s’agirait là de souligner l’accélération de l’intégration européenne, grâce à et depuis l’euro.

Néanmoins, en France, beaucoup redoutent l’émancipation du Parlement européen, la dépossession du pouvoir fiscal du Parlement français et l’éventuelle dérive budgétaire qui en découlerait...

L’article 49 du traité CECA habilitait la Haute Autorité à se procurer les fonds nécessaires à sa mission. En 1978, la Commission européenne proposait d’instituer une taxe sur les alcools et les tabacs affectée à la Communauté. Mais le système actuel des ressources propres communautaires est, aujourd’hui, loin d’être satisfaisant...

Un système en trompe-l’œil

En effet, à l’exception des droits de douane et de certaines taxes agricoles, les autres recettes qui alimentent le budget de l’Union européenne n’ont de « ressources propres » que le nom.

=> La ressource dite TVA n’est en rien une TVA sur le modèle national, mais une ressource calculée sur la base d’une assiette fictive reconstituée à partir du produit de la TVA perçue par les États membres, pondéré par un taux théorique censé représenter le taux moyen appliqué dans les États. L’évolution de cette ressource proche d’une vraie ressource fiscale n’a pas été favorable : instaurée en 1970 au taux de 1 %, elle a été portée en 1984 à 1,4 %, puis réduite en 1999 à 0,5 %. C’est surtout le Royaume-Uni qui en a contesté le bien-fondé.

=> La ressource dite PNB est calculée par différence entre les dépenses à financer et les autres recettes. Elle est donc seulement un produit à percevoir, réparti au prorata des PNB des États membres et prélevé sur leurs recettes budgétaires. Cette ressource, qui « boucle » le budget communautaire, a connu l’évolution la plus dynamique.

Ainsi, l’essentiel des « ressources propres » correspond en fait à de simples transferts financiers en provenance des États membres, puisque les ressources TVA et PNB représentent 88 % du total des recettes du budget communautaire.

Bref, contrairement aux ambitions des auteurs du traité de Rome, le financement du budget communautaire est aujourd’hui assuré par des contributions nationales déguisées.

Un système peu démocratique et déresponsabilisant

Les décisions de principe sur les « ressources propres » sont adoptées à l’unanimité par le Conseil, après une simple consultation du Parlement européen. Ces décisions sont toutefois soumises à la ratification des Parlements nationaux, mais ceux-ci ne peuvent que les approuver ou les refuser en bloc.

Les recettes annuelles, qui déterminent le montant des contributions des États membres, sont déterminées par ajustement automatique aux dépenses. Le Parlement européen peut influencer le niveau des dépenses non obligatoires, mais ne vote pas les recettes. Les Parlements nationaux autorisent le versement des contributions nationales, mais n’ont pas d’influence sur le niveau des dépenses.

Le reproche qui est communément fait à ce système, outre la prise qu’il offre aux égoïsmes nationaux, est d’être opaque pour les citoyens et déresponsabilisant pour les décideurs européens.

Les avantages attendus d’une telle réforme sont nombreux en dépit des difficultés de sa mise en place.

1. Le consentement à l’impôt : un principe nécessaire et bénéfique à l’Union européenne

L’instauration d’un impôt communautaire ouvrirait la voie d’une responsabilisation accrue du Parlement européen. Le vote de l’impôt demeure une prérogative symbolique mais aussi une compétence réelle des Parlements et du travail parlementaire. Dès lors qu’il sera maître de ses dépenses et de ses recettes, les pouvoirs budgétaires et fiscaux du Parlement européen seront enfin pleinement perçus par les citoyens.

Il n’y a aucune raison valable de considérer qu’un prélèvement européen direct enfreindrait l’article 14 de la DDHC, à condition que ses modalités de mise en œuvre respectent le principe du consentement à l’impôt. L’exercice d’une telle faculté ne devrait pas se trouver subordonné au respect d’une procédure d’approbation ou de ratification annuelle par les parlements nationaux. Cela complexifierait à l’excès un processus de décision auquel les citoyens ne comprend pas toujours grand chose et confèrerait aux parlements nationaux un pouvoir de blocage des finances communautaires.

Le paiement d’un impôt européen par des contribuables permettrait de rendre plus concrète l’idée de citoyenneté européenne et d’intéresser les électeurs aux débats du Parlement européen, ainsi qu’aux affaires budgétaires de l’Union.

2. La nécessité d’assurer de véritables ressources propres à l’Union

L’instauration d’un impôt européen serait porteuse de nombreux avantages :

=> Une autonomie accrue en matière de ressources

L’Union européenne, dans son cadre institutionnel, aura pleine compétence pour prélever ses recettes sans dépendre de telle ou telle procédure de ratification, ni être soumise au pouvoir de blocage de telle ou telle institution nationale.

=> Une cohérence budgétaire retrouvée

Celui qui décide des dépenses sera également responsable des recettes devant l’opinion. Le Parlement européen se trouvera restauré dans les compétences naturelles qui sont celles d’un parlement et responsabilisé aux niveaux des dépenses qu’il fixera, politique commune par politique commune.

=> Une sortie des logiques de ’’retour comptable’’ de la part de chaque Etat membre

Il s’agira de recettes prélevées directement sur les contribuables européens, évaluées à l’aune de critères uniformes établis par les parlementaires européens.

3. La mise en œuvre d’un impôt européen

Dans la cadre de la Convention sur l’avenir de l’Europe, des contributions ont été présentées pour le mettre en œuvre. Ainsi, on peut lire sous la plume du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin...

qu’ « Afin d’éviter toute charge supplémentaire pour les citoyens, il importe que la neutralité budgétaire et fiscale globale soit préservée par la création d’un impôt européen. Un tel impôt aurait en effet vocation à se substituer et non à s’additionner aux contributions des États membres. Dans ces conditions, l’introduction dans la Constitution d’une base juridique permettant la mise en place ultérieure d’un impôt européen est souhaitable. Le Conseil européen, sur proposition de la Commission, statuerait à l’unanimité après consultation du Parlement européen et arrêterait les dispositions relatives à la création de nouvelles ressources propres, y compris celle d’un éventuel impôt européen. Ces dispositions seraient ensuite soumises pour approbation par les Etats membres selon leurs règles constitutionnelles respectives ».

Olivier Duhamel et d’autres conventionnels ont écrit que « l’amélioration du système des ressources propres devrait s’inspirer des principes d’autonomie financière, de coût-efficacité et de transparence. Il faudrait envisager de combiner la simplification du système actuel et des dispositions constitutionnelles prévoyant l’introduction de nouvelles ressources, y compris un impôt européen, en remplacement du système de ressources propres actuel ».

Dès lors que l’on souhaite la mise en place d’un véritable impôt européen, il faut modifier l’article 269 du traité CE.

Cette modification consisterait à prévoir que le Conseil pourra créer une ou plusieurs ressources propres déterminées, sur proposition de la Commission et en codécision avec le Parlement européen.

Celle-ci serait directement applicable dans le droit des Etats membres. Des textes de droit dérivé prévoiraient les modalités de collecte, de règlement des litiges avec les contribuables, de vérification etc.…

Cette contribution serait substitutive des ressources propres actuelles. L’objectif n’est pas de créer une nouvelle recette s’ajoutant aux précédentes mais de remplacer un système contributif s’appuyant sur les Etats membres par un autre qui s’appuierait directement sur les contribuables. Ceci n’empêche en rien de maintenir les actuelles ressources propres que constituent les droits de douane et les prélèvements agricoles.

Cet impôt devrait être, dans un premier temps, aussi neutre que possible sur la répartition des contributions entre Etats membres dans le financement de l’Union en tenant compte d’un principe d’équité entre les Etats membres. L’objectif à terme doit être celui d’un système équitable afin que chacun soit taxé en fonction de sa capacité contributive réelle, du point de vue de critères communs retenus.

Il est important que les critères de détermination de la base imposable soient équitables dans tous les Etats membres.

Pour cela, deux options sont aujourd’hui à notre disposition :

=> La création d’un impôt nouveau à assiette commune : nombreux inconvénients politiques et nécessairement impopulaire en dépit de toutes les explications qui pourraient être apportées sur son critère plus ou moins substitutifs d’autres prélèvements ;

=> L’appui sur un impôt existant. (Nb : il s’agirait là de s’appuyer sur des impôts existants dans tous les Etats membres et dont il conviendrait alors d’harmoniser l’assiette...).

Cet impôt européen pourrait être créé sous la forme (1) de taxes sur divers produits (comme les carburants, alcools et tabac), (2) d’une harmonisation de l’assiette de la TVA au niveau européen ou (3) d’une harmonisation de l’impôt sur les sociétés.

=> Les assises sur les carburants, le tabac et les alcools :

L’impôt européen pourrait être créé sous la forme d’une fraction du produit des assises sur les carburants, ainsi que sur les alcools et le tabac. L’intérêt de cette solution est que l’assiette des accises est déjà harmonisée au sein de l’Union européenne, et que les flux physiques correspondants sont facilement identifiables.

Par ailleurs, cette solution serait en cohérence avec les politiques communautaires conduites dans les domaines de l’efficacité énergétique et de la santé publique.

Enfin, les assises frappent des produits « sensibles » pour le contribuable, qui se trouverait ainsi intéressé aux affaires communautaires. L’envers de cet argument est que les accises ne sont pas des impôts populaires : leur transfert risque de nuire à l’image de l’Europe.

=> La TVA :

L’assiette de la TVA est également harmonisée au niveau européen, même si les taux nationaux sont variables. Le rendement d’une TVA communautaire serait élevé. Cette solution présente toutefois l’inconvénient d’être dépendante de la conjoncture économique, ce qui pourrait compromettre la stabilité des recettes ainsi affectées.

Enfin, la TVA est relativement « indolore » pour le contribuable, ce qui devrait faciliter le transfert d’une fraction de son produit au budget européen. La répartition du poids de l’impôt entre les États membres serait équitable, liée à leurs niveaux de richesse relatifs.

=> L’impôt sur les sociétés :

A la différence des deux impôts précédemment évoqués, l’assiette de l’impôt sur les sociétés n’est pas harmonisée au niveau européen. Cette harmonisation est toutefois à l’étude. Le rendement d’un tel impôt serait également élevé, mais peut-être trop dépendant du rythme de croissance économique.

Cette solution présenterait l’avantage de la cohérence, puisque les entreprises sont les premières à tirer des bénéfices de l’intégration économique européenne. En outre, l’affectation au budget communautaire de l’impôt sur les sociétés aurait le mérite de neutraliser l’impact des délocalisations d’entreprises au sein de l’Union européenne, et de réduire la concurrence fiscale entre les États membres.

Toutefois, cet impôt ne préoccupe guère le contribuable individuel. Cette solution manquerait donc l’objectif d’une sensibilisation des citoyens aux affaires européennes.

Dans son document de travail, la Commission européenne a également mis à l’étude des impositions telles que des taxes sur les transactions financières, sur les communications ou sur les trajets en avion.

Mais, outre les problèmes techniques posés, ces taxes apparaissent d’un rendement trop faible pour faire de bons impôts « candidats ».

Aucun impôt « candidat » ne peut prétendre être une solution miracle. L’instauration d’un impôt européen n’ira pas sans inconvénients et ne sera sans doute pas une mesure populaire.

Le raisonnement en termes de retours sur les contributions nationales s’en trouvera estompé, mais ne disparaîtra pas pour autant. Il n’est d’ailleurs pas totalement illégitime.

- Illustrations :

Le visuel d’ouverture de cet article est une phographie de billets et pièces de monnaie de dénominations diverses. Cette photographie est tirée de l’Encyclopédie en ligne wikipédia.

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