Assez de morts aux frontières européennes

, par Fédéchoses, Marie-Christine Vergiat

Assez de morts aux frontières européennes
(Source : EC)

OPINION. Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme, députée européenne de 2009 à 2019, publiait cette tribune dans le numéro 191 de notre partenaire Fédéchoses.

Depuis la mi- novembre, une nouvelle « crise migratoire » aurait éclaté aux frontières de l’Union européenne (UE). Cette fois, c’est entre la Biélorussie et la Pologne mais aussi dans une moindre mesure en Lettonie et en Lituanie. La dernière fois, c’était en 2015/2016 : 1,5 million de personnes avaient traversé la Méditerranée et surtout la mer Egée ; l’Allemagne en a accueilli un million. Et heureusement car, si quelques pays européens ont refusé tout accueil, l’effort de tous les autres a été très en deçà de ce qu’il aurait dû être dans le cadre de la solidarité européenne ne serait-ce qu’au prorata de leur population et de leur richesse économique ainsi que la Commission européenne a alors tenté de le faire adopter. Et c’est ce refus de solidarité qui a conduit à la signature de l’accord avec la Turquie qui, quoi que l’on pense de son dirigeant, est le pays du monde qui accueille le plus de réfugiés [1]. Déjà à l’époque, ce n’était pas une « crise des migrants » mais un refus d’accueillir des réfugiés dont le nombre résultait avant tout de la situation au Moyen-Orient et particulièrement en Syrie.

Qu’en est-il aujourd’hui de cette nouvelle « crise » ? D’abord ce n’est que quelques milliers de personnes qui ont tenté de rejoindre l’UE par la Pologne et elles ont été bloquées à la frontière dans des conditions inhumaines [2] par des moyens ressemblant à s’y méprendre à ceux pouvant être déployés en cas de conflit militaire.

La première question que l’on peut se poser : c’est pourquoi ces exilés [3] (ici surtout des Kurdes d’Irak) tentent de rejoindre l’UE en passant par la Biélorussie. Même si la Biélorussie les a semble-t-il un peu appâté, cela n’aurait pas eu d’effets si les frontières européennes n’étaient pas de plus en plus fermées pour celles et ceux qui viennent de l’Afrique et du Moyen-Orient. Il leur est, en effet, quasiment impossible d’obtenir un visa, fusse-t-il humanitaire, et de plus en plus de murs sont dressés aux frontières de l’UE : des murs de barbelés comme en Pologne mais aussi en Espagne, en Grèce, en Bulgarie, en Hongrie, en Slovénie, en Autriche... Mais aussi des murs numériques avec ce qui est appelé les « frontières intelligentes » et qui, entre autres, permettront de ficher tous les étrangers arrivant dans l’UE, qu’ils aient ou non besoin de visas ainsi que la durée et le motif de leur séjour sans parler de nombreuses données biométriques.

Les exilés n’ont donc guère d’autres choix que de prendre des routes de plus en plus longues et dangereuses comme dans l’Océan atlantique, sur la route des Canaries, en Méditerranée, dans la Manche mais aussi aux frontières terrestres comme à Vintimille, dans le Briançonnais ou encore aux frontières avec l’Espagne. Le récent drame qui a fait 27 morts au large de Calais n’en ai que le dernier exemple à nos frontières directes. Plutôt de chercher à éviter ces drames, les Etats européens pointent la soi-disant responsabilité des ONG, voire des migrants eux-mêmes et accusent les passeurs. Ces derniers ne font en réalité que tirer profit et ô combien de cette fermeture des frontières mais si les frontières n’étaient pas fermées, il n’y aurait pas de passeurs.

A la frontière avec la Biélorussie, on parle beaucoup d’instrumentalisation comme on l’a fait auparavant avec la Turquie ou le Maroc. Pas question d’exonérer la Biélorussie de ses responsabilités, ni de blanchir Alexandre Loukachenko qui dirige la Biélorussie d’une main de fer depuis 1994 grâce à des élections présidentielles dépourvues de toute légitimité. C’est un despote et les sanctions européennes prises en mai dernier après le détournement d’un vol Ryanair par un avion militaire biélorusse sont totalement justifiées.

Mais que dire de la Pologne qui s’éloigne de plus en plus des normes de l’état de droit et qui est aussi l’un des pays de l’UE qui accepte le moins de demandes d’asile : moins de 2 000 en 2020, essentiellement Russes (Tchétchènes) et Biélorusses alors que c’est celui qui délivrent le plus de titres de séjour pour motifs économiques (plus de 500 000 en 2020, soit environ 20% des titres pour motifs économiques délivrés dans la totalité des pays de l’UE). Drôle de chiffres pour un pays qui refuse les « migrants ».

Le bilan de ces politiques est effroyable : plus de 40 000 morts depuis le début des années 2000 aux frontières européennes, ce qui fait de notre continent le plus mortifère du monde en ce qui concerne les migrations. Pas de quoi être fière pour la région qui a inventé la démocratie moderne et les droits de l’Homme.

Et si au lieu de surenchérir et de chercher à lutter contre l’extrême droite en reprenant ses propositions, on construisait une nouvelle narration sur les questions migratoires, moins ethnocentrée, basée sur la réalité des faits et non sur les fantasmes, et appuyée sur le respect du droit international et des conventions internationales en commençant par celle de Genève sur les réfugiés ? A l’aube de la nouvelle année, on a le droit de faire des vœux !

Notes

[13.7 millions selon les derniers chiffres du HCR (Haut-commissariat aux réfugiés)

[2La Pologne a même interdit aux ONG d’accéder à la zone concernée

[3Les associations qui travaillent sur la question des migrations préfèrent de plus en plus ce terme d’exilé car il est moins « chargé » que celui de migrant dont on oublie qu’au sens premier du terme, il définit simplement quelqu’un qui part s’installer dans un autre pays pour une durée supérieure à un an. Avec le terme exilé, on désigne toutes celles et tous ceux qui fuient leur pays de manière contrainte quels qu’en soient les motifs (guerres, conflits, internes, persécutions, événements climatiques ou misère économique).

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