La présentation du programme d’activité de la présidence hongroise est accueillie par les députés du bloc de gauche tonnant le chant révolutionnaire italien “Bella Ciao”. Roberta Metsola les rappelle à l’ordre : “ce n’est pas l’Eurovision ici, ni la Casa de Papel.” Ce mercredi 9 octobre, l’hémicycle strasbourgeois est plein. Les députés de tous les groupes politiques s’entassent dans leur rang afin d’écouter l’invité du Parlement. La présidente Roberta Metsola annonce : “nous discutons aujourd’hui des priorités de la présidence hongroise.” Devant les représentants des États membres, se tient Viktor Orban, le regard assuré, prêt à défendre son programme.
Une promesse : “changer l’Europe”
“Il faut que l’Europe change et j’essaierai de vous en convaincre”, commence le Premier ministre hongrois. L’Europe fait face à de nombreuses crises qu’il prend le temps d’énumérer : la guerre en Ukraine, la crise migratoire en cours depuis 2015, le risque d’effondrement de l’espace Schengen ou encore la perte de compétitivité du marché européen. “Le président français Emmanuel Macron dit même que l’Union pourrait mourir”, ajoute-t-il. Optimiste sur le fait que la présidence hongroise parviendra à “sauver l’Europe”, il se targue d’une cinquantaine de dossiers législatifs à son actif, dont deux qui sont en cours de trilogue.
Viktor Orban annonce ensuite ses solutions pour faire face aux différentes crises. Le marché européen a perdu en compétitivité ces vingt dernières années, notamment en comparaison avec les autres grandes puissances comme les États-Unis ou la Chine. Le Premier ministre hongrois pense que ce n’est pas la transition écologique qui règlera les problèmes de compétitivité : “Cela ne se produira pas”. Il critique ouvertement le pacte vert pour l’Europe, présenté par la Commission en 2019, qui selon lui manque d’une politique industrielle commune. Il propose enfin d’adopter un nouveau pacte de compétitivité européen lors d’une réunion informelle du Conseil en novembre.
Concernant la crise migratoire, Viktor Orban accuse le système d’asile européen de favoriser la migration irrégulière, qui entraîne elle-même “la montée de l’antisémitisme, des violences faites aux femmes et de l’homophobie”. Pour remédier à cela, la présidence hongroise suggère de convoquer régulièrement des sommets Schengen, afin de faire participer les chefs d’État et de gouvernement aux débats sur le sujet. Elle est également en faveur de l’intégration à l’espace Schengen de la Bulgarie et de la Roumanie de manière complète d’ici la fin de l’année.
Sur le plan de la défense, il entend mettre en place une stratégie commune entre États membres. Il se prononce également en faveur de l’intégration des pays des Balkans occidentaux à l’UE, notamment celle de la Serbie : “ Tant que la Serbie ne sera pas membre de l’UE, les Balkans ne seront pas un territoire stable.”
Une Commission hostile à la politique de Viktor Orban…
C’est dans un climat déjà tendu que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen prend la parole. Après avoir rappelé le soutien de l’UE à la Hongrie suite aux inondations liées à la tempête Boris, elle revient sur la guerre en Ukraine, sujet soigneusement évité par Viktor Orban. Elle rappelle le bilan dramatique : en juin, on recensait 11 284 civils morts et 22 594 blessés depuis l’offensive russe du 24 février 2022. Ursula von der Leyen affirme le soutien militaire et financier de l’UE à l’Ukraine.
Elle rebondit sur le point soulevé par Viktor Orban sur la compétitivité du marché européen, et rappelle que la politique nationale menée par le gouvernement hongrois s’écarte des valeurs du marché unique avec différentes mesures comme des impôts plus élevés pour les entreprises étrangères ou des inspections arbitraires. Elle revient également sur l’importance durapport Draghi présenté le 9 septembre, qui prévoit un plan commun pour la décarbonation et la croissance. “Les 27 ont accepté de diversifier leurs sources d’énergie pour s’éloigner des combustibles russes. La sécurité énergétique de l’UE doit se fonder sur une énergie renouvelable et européenne.”
… Tout comme une large partie des eurodéputés
Les députés européens prennent tour à tour la parole au pupitre, qui se transforme en véritable barre de tribunal. Ils accusent notamment le premier ministre hongrois de collaborer avec la Russie de Vladimir Poutine. Le président du groupe PPE, Manfred Weber, reproche à Viktor Orban de n’avoir fait aucune mention de la guerre en Ukraine dans son discours. Puis en faisant référence au groupe qui le soutient au Parlement (les Patriotes pour l’Europe) : “ Ce n’est pas ça être patriotes pour l’Europe, c’est plutôt du nationalisme contre l’Europe.” Même chef d’accusation pour la présidente du groupe S&D Iratxe Garcia Perez, qui inculpe la politique hongroise de non-respect des droits des femmes et des personnes LGBTQI+.
Toujours du côté de l’opposition, la présidente du groupe Renew Valérie Hayer attaque la politique de Viktor Orban, notamment un décret qui oblige les femmes qui veulent avorter à écouter le cœur du fœtus avant de prendre une décision. Elle accuse le système politique hongrois d’être corrompu et souhaite la suspension du droit de vote de la Hongrie au Conseil de l’UE. Des propos partagés par le député des Verts Terry Reintke : “vous n’êtes pas le bienvenu ici, c’est la maison de la démocratie européenne pas de la propagande.” Au Parlement la réponse est claire : les députés ne veulent pas de Viktor Orban.
Enfin pas tous les députés. Le premier ministre hongrois obtient tout de même des soutiens venant des groupes d’extrême droite. C’est notamment le cas du groupe des Patriotes pour l’Europe (PfE) dont la création a été initiée par Orban lui-même, suite aux élections européennes en juin dernier. La députée hongroise PfE Kinga Gál affirme le soutien du groupe à son premier ministre et dément les accusations contre lui qu’elle juge “infondées”. Elle rappelle que les PfE demandent un cessez-le-feu en Ukraine. Viktor Orban reçoit également le soutien du groupe d’extrême droite ESN.
Orban, avocat de sa propre défense
Après une première partie de séance où les eurodéputés ont passé plus de temps à critiquer le premier ministre hongrois plutôt que de parler de la présidence du Conseil de l’Union européenne, l’accusé a de nouveau le droit à la parole. Viktor Orban déplore la tournure des événements : “Vous voudriez organiser ici une intifada de partis politiques, en réfutant toutes les fausses accusations de la gauche à l’encontre de la Hongrie. Ce que j’ai entendu de votre part est de la pure propagande politique.” Il se dit également surpris de la prise de parole d’Ursula Von der Leyen : “Il ne fait aucun doute qu’il existe des divergences d’opinion entre le président de la Commission et la Hongrie [...]. Je pense qu’il est regrettable que la présidente fasse ce qu’elle fait [...] . je vois la présidente transformer la gardienne du traité (la Commission) en une arme politique, un organe politique qui s’attaque à nous, les gens de droite”.
Le Premier ministre revient ensuite sur le point de l’Ukraine qu’il n’avait pas évoqué : “La réalité est que, grâce en partie à la présidente de la Commission, l’Union européenne est entrée dans cette guerre de manière imprudente, [...] Si nous voulons gagner, il faut changer la stratégie perdante actuelle. Il s’agit d’une stratégie mal planifiée et mal exécutée.”
Pour clôturer sa prise de parole, Viktor Orban décide de jouer le jeu de l’opposition et d’endosser le rôle d’avocat en assurant sa propre défense. Il revient sur chaque accusation : “Le président Weber a déclaré que personne ne nous parlait. C’est une grave insulte à ceux qui nous ont parlé. Sont-ils des inconnus ?”, “Vous accusez la Hongrie d’avoir des impôts élevés, alors que notre taux d’imposition sur le revenu est de 15 % et qu’il s’agit d’un impôt à taux unique.”.
Le retour de l’accusation
Après sa prise de parole et avoir été applaudi de multiples fois par la côté droit de l’hémicycle, Viktor Orban se rassoit et voit les eurodéputés se relayer au pupitre, ou plutôt à la barre, placée à seulement quelques mètres de son propre siège.
D’un côté les eurodéputés allant de GUE/NGL à PPE ont repris l’offensive. Notamment Péter Magyar (PPE), eurodéputé hongrois, qui critique la politique intérieure de t son Premier ministre : “Comment, en l’espace de vingt ans, la Hongrie est devenue le pays le plus pauvre et le plus corrompu de l’Union.”. Il l’attaque ensuite sur de multiples sujets : la politique familiale, la gestion de la ruralité, la santé, les salaires, le fait de s’être attribué les médias publics.
De l’autre, les eurodéputés PfE, CRE, et ENS ont continué à défendre leur allié. L’eurodéputée hongroise Zsuzsanna Borvendég (ENS),, critique l’Union européenne : “ nous nous défendons contre les attaques politiques biaisées des dirigeants de l’Union. Vous nous punissez, vous ne nous payez pas l’argent qui nous est dû et vous ne contribuez pas aux coûts de la protection des frontières”.Elle conclut avec un message pour son Premier ministre : “J’appelle donc le Premier ministre hongrois à résister à la pression et à assurer au peuple hongrois que notre pays ne deviendra pas un camp de migrants.”
Après le passage de tous les eurodéputés, et du vice-président de la Commission Maroš Šefčovič, M. Orban prend une dernière fois la parole pour déplorer la situation : “J’aurais aimé avoir un débat sensé et impartial sur d’autres questions en dehors du programme de la présidence hongroise, comme l’État de droit ou la corruption, mais malheureusement votre propagande ne le permet pas”.
Finalement, Viktor Orban quitte le Parlement européen dans la même atmosphère que lorsqu’il est arrivé : sous les applaudissements des groupes d’extrême droite et les huées des eurodéputés de gauche. Si son programme a subi de violentes critiques, il ne semble pas se dégonfler et défie ses détracteurs. “Si vous voulez voir la Hongrie, venez en Hongrie. The Left devrait venir en Hongrie, même si nous ne sommes pas d’accord avec vous, vous êtes les bienvenus.”
Suivre les commentaires : |