Au Portugal, une reprise vraiment durable ?

, par Théo Boucart

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Au Portugal, une reprise vraiment durable ?
Le ministre portugais des finances Mário Centeno (au centre) avant la réunion de l’Eurogroupe du 9 septembre 2016 CC - Wikimedia Commons

Lundi 9 octobre s’est tenue la réunion de l’Eurogroupe durant laquelle les ministres des finances de la Zone Euro ont été informés des résultats de la sixième mission de surveillance post-programme au Portugal, durement touché par la crise des dettes souveraines en 2011. L’occasion de revenir sur la situation économique du pays, louée par les autorités et les médias européens, mais inquiétante à long terme.

Tandis que le débat sur les réformes de la Zone Euro bat son plein, entre les propositions ambitieuses de la France et les réticences de l’Allemagne (surtout des libéraux allemands), l’agenda de la réunion de l’Eurogroupe coïncidait avec cette actualité : l’avenir du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et plus largement de l’Union Économique et Monétaire (UEM). Beaucoup de dirigeants en Europe prônent la création d’un Fonds Monétaire Européen en lieu et place du MES, assurant en quelque sorte le rôle de prêteur européen en dernier ressort.

Le « miracle portugais » et sa face cachée

L’autre point important abordé lors de cette réunion a été les résultats de la mission de surveillance post-programme menée au Portugal entre le 26 juin et le 4 juillet 2017. Cette procédure de contrôle est obligatoire pour tous les pays ayant demandé et obtenu un plan de sauvetage financier. Elle se compose de missions biannuelles jusqu’à ce que le pays ait remboursé 75% du programme. La condition principale à ce programme d’aide est bien sûr la mise en place d’un ensemble de réformes structurelles pour résorber les déséquilibres budgétaires. [1]

Au Portugal, ces réformes mises en place par le Premier Ministre conservateur Pedro Passos Coelho n’ont pas eu les effets escomptés, en plus de plonger le pays dans le marasme économique. En 2015, Passos Coelho a cédé son poste de Premier Ministre à António Costa, candidat socialiste soutenu par plusieurs partis de gauche, un an après la fin du programme d’aide financière. Depuis la prise de pouvoir de la gauche, la croissance est repartie à la hausse (1.5% en 2016), le déficit est à 2% du PIB et l’équilibre budgétaire est prévu pour 2020. Le chômage est redescendu à 10% et le salaire minimum a été substantiellement remonté à 557 euros par mois en début d’année. Le 15 septembre dernier, l’agence de notation Standard and Poor’s a relevé la note souveraine du Portugal à BBB-, permettant à la dette du pays de sortir de la catégorie des « investissements à risque ». [2]

Si toutes ces bonnes nouvelles ont de quoi faire pâlir de jalousie bien d’autres pays européens, il ne faut pas oublier que cette vigoureuse santé économique repose sur des bases fragiles. Tout d’abord, la dette publique portugaise reste élevée : 130% du PIB en 2016, stable depuis 5 ans. Cette dette est détenue à 65% par des agents non portugais, fragilisant davantage la structure de la dette. L’endettement privé est aussi très élevé (143% du PIB en 2015). La croissance est basée en grande partie sur l’embellie du secteur touristique et des exportations (tirées par la forte croissance espagnole), autrement dit sur des facteurs externes au pays.

Des progrès salués mais des réserves de la part des instances européennes

Lors de leur déclaration à l’issue de la mission de surveillance post-programme début juillet, la Commission et la Banque Centrale européenne ont salué les progrès effectués par le pays tout en soulignant le chemin qu’il restait encore à parcourir, notamment en matière de désendettement et d’assainissement du système bancaire. Un constat que partage également l’ancien Président de la BCE, Jean-Claude Trichet, dans une grande interview donnée conjointement au quotidien financier portugais Dinheiro Vivo et à la station de radio TSF. [3] Lors de son allocution suivant la réunion de l’Eurogroupe, le Président de l’institution Jeroen Dijsselbloem a de nouveau salué les progrès de Lisbonne en incitant à continuer sur le même rythme de réformes structurelles. [4]

La crainte que le Portugal soit mis de côté lors des réformes de la zone euro

Les relations entre le Portugal et l’Eurogroupe se sont tendues en mars dernier quand Jeroen Dijsselbloem a tenu des propos jugés racistes à l’encontre des pays du Sud de la Zone Euro. Matteo Renzi puis António Costa avaient exigé le départ du ministre des finances néerlandais. Aujourd’hui, la préoccupation est autre pour le petit pays ibérique. Alors que les propositions de réformes de la Zone Euro remplissent les titres de l’actualité européenne, le Portugal craint de ne pas se voir invité à participer aux débats dont les propositions retenues pourraient même être contre les intérêts de Lisbonne.

C’est en tout cas l’avis d’un journaliste d’un des plus importants journaux portugais, Público, dans une tribune précisant les différentes propositions déjà énoncées pour réformer l’union monétaire tout en dénonçant l’impact négatif qu’auraient la création d’un Fonds Monétaire Européen, l’absence de solidarité budgétaire et l’accélération de « l’Europe à plusieurs vitesses » dont le Portugal pourrait être à terme, une victime. [5]

Si le Portugal a fait d’énormes progrès ces dernières années pour retrouver le chemin de la croissance et de la stabilité budgétaire, – grâce ou en dépit de la cure d’austérité imposée ? – les préoccupations portent désormais sur les dettes publique et privée et la durabilité de la croissance. La situation macroéconomique du pays peut très bien se dégrader si une nouvelle crise financière devait se produire – ce qui est exactement le mauvais pressentiment de Wolfgang Schäuble, qui vient de participer à sa dernière réunion de l’Eurogroupe. [6]

Notes

[2rfi.fr : Standard and Poor’s relève la note du Portugal, Lisbonne retrouve le sourire http://www.rfi.fr/economie/20170916-standard-poor-s-releve-note-portugal-lisbonne-retrouve-sourire

[3Dinheiro Vivo : Jean-Claude Trichet : « Sozinhos, os bancos centrais não podem salvar o dia ! » (Seules, les banques centrales ne peuvent pas sauver le monde !) https://www.dinheirovivo.pt/economia/galeria/jean-claude-trichet-sozinhos-os-bancos-centrais-nao-podem-salvar-o-dia/

[4Consilium.europa.eu : Remarks by Jeroen Dijsselbloem following the Eurogroup meeting of 9 October 2017 http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/10/09-eg-remarks-dijsselbloem/

[5Público : Não sopram bons ventos de Nordeste (Les vents du Nord-Est ne sont pas bons) https://www.publico.pt/2017/10/05/economia/opiniao/nao-sopram-bons-ventos-de-nordeste-1787794

[6LesEchos.fr : Wolfgang Schäuble met en garde contre une nouvelle crise financière https://www.lesechos.fr/monde/europe/030681586105-wolfgang-schauble-met-en-garde-contre-une-nouvelle-crise-financiere-2120697.php

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