Avec le départ de Boris Johnson, le corridor vers l’indépendance de l’Ecosse s’élargit

, par Henri Clavier

Avec le départ de Boris Johnson, le corridor vers l'indépendance de l'Ecosse s'élargit
Nicola Sturgeon accueillant, avec le souci des gestes barrières, Boris Johnson à la COP de Glasgow en Ecosse crédit : Flickr

Après une gestion critiquée de la crise du Covid-19 et une année 2022 émaillée par les scandales, Boris Johnson a finalement été contraint de démissionner du poste de Premier Ministre. « BoJo » quittera donc ce qu’il qualifiait de « meilleur job du monde » au plus grand bonheur de ses opposants écossais pour lesquels Boris Johnson symbolisait le mépris anglais à l’égard des autres nations constitutives du Royaume-Uni et en particulier à l’égard de l’Ecosse.

Un changement de circonstances majeur depuis le référendum de 2014

Si les membres du parti conservateur vont devoir s’entendre afin de propulser un nouveau visage à Downing Street, les conséquences politiques de la démission du Premier ministre dépassent largement les murs du palais de Westminster. En juin dernier, lors des élections législatives, les Ecossais avaient pu renouvelé leur confiance envers Nicola Sturgeon et son parti, le Scottish National Party (SNP), laissant présager un retour du débat sur l’indépendance de l’Écosse. Car oui, l’organisation d’un nouveau vote sur l’autodétermination de l’Écosse constitue la priorité politique de la First Minister of Scotland (Premier ministre écossais).

Arrivée au pouvoir en 2014 après l’échec de la première consultation, Nicola Sturgeon, militante depuis ses 15 ans, a brillamment assuré la survie du SNP et maintenu la question de l’indépendance tout en haut des priorités des Écossais. Malgré l’échec amer du référendum de 2014 (55 % de « non »), qui avait conduit le First Minister de l’époque, Alex Salmonds, à la démission, le SNP demeure dominant à Holyrood - le Parlement écossais. De fait, la question de l’indépendance connaît un retour important après le vote sur le Brexit. Profondément européens, les Écossais avaient voté massivement pour le « remain » (62%) et se retrouvaient, dès lors, isolés au sein du Royaume-Uni dont le reste avait voté à majorité pour le Brexit.

Le SNP en position de force

Les élections de 2021 - où le SNP a obtenu 64 sièges sur 129 - ont été interprétées par la cheffe du SNP comme un véritable plébiscite pour un nouveau référendum. Forte de cette victoire, la First Minister en a directement profité pour réaffirmer sa volonté d’organiser un nouveau scrutin sur l’émancipation de la nation écossaise. La démission de Boris Johnson marque donc un véritable tournant tant le Premier ministre britannique affichait une opposition pugnace à l’idée de l’organisation d’un nouvel appel au peuple Ecossais. L’opposition entre Boris Johnson et Nicola Sturgeon a confirmé le fossé creusé entre l’Ecosse et le reste du Royaume-Uni -et plus particulièrement avec l’Angleterre- excédé depuis le Brexit. En effet, le rejet du parti conservateur, jugé trop à droite sur les questions sociales, sociétales et institutionnelles, a fédéré les Écossais autour de la question de l’autodétermination. Malgré la démission de Boris Johnson, la concrétisation d’un référendum reste incertaine.

Si Nicola Sturgeon entend aller au bout de sa démarche et a déjà coché la date du 19 octobre 2023 pour organiser le scrutin, sa tenue doit être confirmée par la Chambre des communes… à Londres. Consciente de cet écueil, la First Minister a d’ores et déjà sollicité la Cour Suprême Britannique afin d’obtenir un avis sur la capacité du Parlement écossais à organiser un référendum sans l’aval du Parlement Britannique. En cas d’échec, le SNP pourrait organiser une consultation permettant de mettre la pression sur Londres. Le précédent catalan a convaincu le SNP qu’il n’était pas pertinent d’agir unilatéralement ; la stratégie mise en œuvre consiste davantage à mettre la pression sur l’Etat central afin d’obtenir un accord de sortie de la nation écossaise du Royaume-Uni d’ici 2026.

Une stratégie d’autant plus pertinente que le départ de Boris Johnson pourrait rebattre les cartes au sommet de l’Etat britannique. Si le parti conservateur se caractérise par une opposition frontale à l’autodétermination de l’Écosse, David Cameron avait pourtant autorisé la tenue d’un référendum en 2014. La tenue de nouvelles élections législatives en 2024, ou avant en cas de dissolution, pourrait changer la donne. Si des élections anticipées semblent peu plausibles au vu du score historique obtenu par le parti conservateur en 2019, les Tories devraient, selon le dernier baromètre YouGov (07/07/2022), voir leur contingent de députés se réduire aux prochaines élections. Une situation qui pourrait profiter au SNP qui représente aujourd’hui la troisième force politique de la chambre des communes avec 44 députés. Le SNP pourrait donc se retrouver en position d’adouber un futur gouvernement si une majorité claire ne se dégageait pas lors des futures élections. Un levier déterminant, notamment auprès des travaillistes, historiquement plus ouverts sur la question de l’indépendance de l’Écosse.

Une indépendance motivée par des raisons politiques

Après s’être longtemps satisfaite de sa position au sein du Royaume-Uni, la société écossaise s’est progressivement convertie à la cause indépendantiste. Pourtant, l’indépendantisme écossais ne doit pas être confondu avec un nationalisme ethnique. C’est même tout l’inverse puisque c’est par un positionnement tendant vers le centre-gauche de l’échiquier politique que le SNP a su tirer son épingle du jeu dans cet ancien bastion travailliste. L’engagement de Nicola Sturgeon s’est d’ailleurs fait, en premier lieu, en réaction à la politique brutale des années Thatcher.

L’indépendance est désormais vantée par le SNP comme le meilleur moyen de rompre avec le prisme néo-libéral anglais pour se rapprocher d’une sociale-démocratie à la Scandinave. Un signe manifeste du fossé croissant entre l’Angleterre et l’Ecosse, sans toutefois remette en question la proximité culturelle des deux nations britanniques. Un écart que le cynisme du gouvernement Johnson a âprement agrandi. En jouant d’une posture empathique, attentionnée et bienveillante, aux antipodes de celle adoptée par Boris Johnson, Nicola Sturgeon est parvenue à remporter la première partie de son pari : fédérer les Ecossais autour de la nécessité d’un référendum. En outre, les faibles scores des Tories en Ecosse renforcent le sentiment d’être gouverné par un pouvoir étranger “imposé”. La volonté de sécession s’explique donc bien plus par des motifs politiques que par des motifs culturels.

Selon la First Minister, le chemin vers une meilleure société passe par l’appartenance à l’Union européenne (UE). Cet attachement à l’Union européenne, le SNP n’a cessé de le clamer depuis le vote sur le Brexit, il y a six ans. Si les thuriféraires du Brexit concevaient le vote « leave » comme une opportunité de reprendre le contrôle et ainsi renforcer l’Union britannique et le Commonwealth, la sortie de l’UE a provoqué l’effet inverse. Alors que la « Global Britain » est toujours introuvable, le SNP envisage un retour dans l’Union européenne comme une garantie pour la souveraineté de l’Ecosse.

Les conséquences de l’indépendance, l’UE prête à dérouler le tapis rouge à l’Ecosse ?

En cas de sécession de l’Ecosse, il semble peu probable que l’Union européenne déroule un tapis rouge à la nouvelle Écosse indépendante de Nicola Sturgeon. Une adhésion passerait donc par le respect des critères de Copenhague, la structuration de nouvelles institutions et évidemment l’assimilation de l’acquis communautaire. Aucun passe-droit ne sera toléré par les États membres qui devront s’exprimer à l’unanimité pour un retour de l’Écosse au sein de l’Union européenne. Un vote qui pourrait s’avérer délicat tant les États européens sont attachés au principe d’intangibilité des frontières. Et, à moins que ces derniers ne s’entichent de l’Écosse à une vitesse fulgurante, quelques crispations sont à prévoir. L’Espagne, la France ou l’Italie restent très vigilantes aux questions relatives à l’indépendance de territoires régionaux. Ces pays connaissent eux-mêmes des mouvements indépendantistes plus ou moins forts, et ne feront pas de cadeaux à une Écosse fraîchement indépendante. Toutefois, une indépendance en bonne et due forme de l’Ecosse, notamment en son caractère légale et consenti avec le Royaume-Uni, pourrait alléger ces précédents propos. Enfin, un tel scénario aurait également des conséquences économiques pour l’Écosse dont les systèmes productifs, financiers et monétaires sont intrinsèquement liés à ceux du reste du Royaume-Uni. On peut également craindre quelques difficultés à respecter certains pans du droit européen, notamment les normes régissant le déficit public.

En parallèle, le départ de l’Écosse pourrait tout simplement faire voler en éclats le Royaume-Uni. La question de l’Irlande du Nord et de l’unité irlandaise, déjà d’actualité, serait de facto hautement crédibilisée et pourrait concrétiser une union prévue par les accords du Vendredi-Saint signés en 1998.

Quoi qu’il advienne, on peut affirmer avec certitude que Nicola Sturgeon et le SNP utiliseront tous les moyens légaux et politiques afin d’aboutir à l’indépendance de l’Écosse. Une démarche qui pourrait mener à terme au retour de l’Écosse dans l’Union européenne. Dans tous les cas, ce scénario pourrait servir de précédent et pousser certains États membres à lâcher certaines concessions sur les revendications autonomistes de certaines régions européennes.

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