Bavière : Revers historique des chrétiens-sociaux et de la social-démocratie

, par Thomas Arnaldi

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Bavière : Revers historique des chrétiens-sociaux et de la social-démocratie
Markus Söder, ministre-président de la Bavière. Photo : Flickr - Markus Spiske - CC BY 2.0

9,5 millions de Bavarois étaient appelés aux urnes ce dimanche 14 octobre pour renouveler les membres du Landtag, le Parlement local de l’Etat libre de Bavière. Après une hécatombe pour la CSU (Union chrétienne-sociale, proche de la CDU d’Angela Merkel) et du SPD (sociaux-démocrates), les Verts et les Freie Wähler (électeurs libre, conservateurs) sortent grands vainqueurs de ce scrutin.

Les élections bavaroises étaient attendues, redoutées aussi. Depuis un an que se sont tenues les élections fédérales en Allemagne, la Bavière était à la croisée des chemins. Son ministre-président Horst Seehofer, patron de la CSU, petite sœur bavaroise de la CDU d’Angela Merkel, tiraillait la branche droite des chrétiens démocrates pour former une nouvelle grande coalition. Aujourd’hui ministre fédéral de l’intérieur, Horst Seehofer n’a pas hésité à employer des propos polémiques pour lutter contre l’immigration et notamment la politique d’accueil de la chancelière Merkel. Markus Söder quant à lui devenu ministre-président de Bavière après le départ de Seehofer pour Berlin, n’a pas tergiversé non plus à faire campagne sur des thématiques identitaires. En témoignent ses mesures de renforcement des pouvoirs de la police bavaroise ou l’instauration de crucifix dans les écoles.

Fin de l’hégémonie de la CSU ?

Depuis plusieurs mois que la grande coalition fédérale avait émergé, les partis politiques redoutaient fortement l’élection bavaroise. Déjà en septembre 2017, la CSU réalisait le plus mauvais score de son histoire en descendant sous la barre des 42% des suffrages exprimés, du jamais vu depuis 1962 que ce parti règne en maitre au Landtag, le Parlement de l’Etat fédéré. Et pourtant, le système électoral allemand avec un système de vote proportionnel personnalisé où les électeurs choisissent avec deux voix pour un candidat représentant leur circonscription et une liste de candidats représentant une couleur politique, ne favorise pas les partis hégémoniques. Au contraire, c’est le système de coalition qui devrait l’emporter. Or, depuis 1962, la CSU domine le paysage politique local en réalisant des scores uniques : pas une seule élection sans remporter la majorité absolue au Parlement régional, sauf en 2008 où pour la première fois, la CSU a dû se trouver un partenaire de coalition.

Cependant, depuis la mise en place de la grande coalition, accouchée sous une forte contrainte politique à Berlin, la CSU vacille. Lorgnée sur sa droite par le parti d’extrême-droite Alternative für Deutschland (AfD), elle fait campagne sur la crise migratoire, descendant toujours plus dans les sondages en perdant son électorat modéré. Ce parti outrageusement populiste et d’une violence verbale très provocatrice est né en 2012 de la volonté d’en finir avec la zone euro. Pas assez ancré électoralement, il ne peut se présenter aux élections de Bavière de 2013 et ne franchira pas non plus le seuil de 5% nécessaire pour pouvoir rentrer au Bundestag la même année. Cinq ans plus tard, le parti est désormais devenu le premier parti d’opposition au Bundestag et fait son entrée au Landtag de Bavière avec 10,4% des voix.

Lors du journal télévisé de l’ARD, les sondages de sortie des urnes s’affinent (capture écran Tagesschau 20 Uhr)

Une participation très élevée de 72,4%

Les élections bavaroises, sans doute aidées par le clivage ambiant et l’impact médiatique prépondérant de la Bavière ces derniers mois, ont conduit à une hausse de la participation de près de huit points par rapport aux dernières élections de 2013 confortant l’idée d’un scrutin régional sous haute tension.

Si la CSU, petite sœur bavaroise de la CDU, a perdu la majorité en ne réalisant que 37,2% des voix, elle n’en demeure pas moins le parti prédominant du paysage politique du riche Land de Bavière. En perdant plus de 10 points, et jusqu’à 20 points de pourcentages dans certaines circonscriptions par rapport à 2013, et essuyant une perte électorale encore plus poussée que les élections fédérales de 2017, elle réalise un score cataclysmique pour l’image régionale avec de sérieuses conséquences sur la politique fédérale. La stratégie de campagne de la CSU a été catastrophique tout au long de la campagne électorale. Voulant faire le jeu des extrêmes et récupérer les électeurs tentés de rejoindre les rangs de l’AfD, le ministre-président sortant Markus Söder, n’a pas réussi à conserver ses électeurs modérés qui ont été tentés par les Verts (Die Grünen) ou le parti des Freie Wähler (électeurs libres), un parti atypique et conservateur classé à droite du spectre politique.

Jubilation chez les verts

Ces deux derniers sont les grands vainqueurs de l’élections. Les Verts réalisent un de leurs meilleurs scores dans un Parlement régional et un succès historique en Bavière. 17,5% des voix équivalents à 38 sièges sur les 205 qui composeront le Landtag, les Verts deviennent la deuxième force politique de Bavière. Ils obtiennent six mandats directs, c’est-à-dire les mandats attribués au candidat qui obtient la plus forte proportion des voix dans une circonscription, un record pour un parti de Bavière autre que la CSU. A Munich, les électeurs ont donné jusqu’à 44% de leurs voix au parti écologiste. Pour la Spitzenkandidatin (tête de liste) Katharina Schulze, « ces résultats ont déjà changé la Bavière ». Avec le week-end électoral des législatives du Luxembourg, des locales de Bavière et des communales de Belgique, les Verts réalisent un succès électoral très fort à l’échelle européenne.

Les Freie Wähler (électeurs libres) étaient quant à eux déjà présents dans le Landtag de Bavière de 2013 avec près de 9% des voix. Directement concurrents de l’AfD sur les questions d’immigration et de la zone euro, ce parti est plutôt bien implanté en Bavière, seul Land allemand dans lequel on le compte au Landtag régional. Bénéficiant par ailleurs de l’avantage de ne pas être étiqueté d’extrême-droite, ni de droite extrême, sa marge de progression de 2,6 points en 2018 lui permet d’obtenir 27 sièges, réalisant ainsi un meilleur score que l’AfD et surtout que les sociaux-démocrates.

Le sondage infratest dimap de la chaîne de télévision ARD émet une première projection de sièges à 20h.

Cuisante défaite et revers historique des sociaux-démocrates

Le SPD essuie effectivement un score pitoyable sous la barre des 10% des voix, du jamais vu dans l’histoire de la République fédérale, même en Bavière où ses scores n’ont jamais été prépondérants. La déception chez les partisans sociaux-démocrates était nettement visible lors de l’annonce des résultats du scrutin à 18h00. Lors de sa conférence de presse à Berlin, la présidente des sociaux-démocrates Andrea Nahles a reconnu que ce très mauvais résultat était dû à « la mauvaise performance de la grande coalition au pouvoir ». Plus de la moitié des électeurs bavarois du SPD ont choisi un autre parti, c’est un revers historique pour le plus vieux parti d’Allemagne qui réalise son plus mauvais score dans un Land allemand.

Toute la soirée, les libéraux du FDP ont tremblé de savoir s’ils seraient présents dans un dixième Land régional et s’ils feraient de nouveau leur entrée au Landtag de Bavière. Avec 5,1% des voix, ils atteignent de justesse le seuil et peuvent y envoyer 11 députés. Quant à l’AfD, elle ne réussit à percer que dans des circonscriptions localisées. Réalisant 10,2% au niveau régional, elle atteint jusqu’à 17% au niveau frontalier avec la République tchèque. Présente dans 15 des 16 Parlements régionaux, elle attend désormais les élections de Hesse en octobre pour faire carton plein dans tous les Landtags.

Quelle coalition peut voir le jour ?

Malgré la débâcle électorale historique de son parti, Markus Söder n’a pas démissionné et aspire toujours à gouverner en créant une « coalition des citoyens ». Les hypothèses de coalition ne laissent pas beaucoup de suspens avec soit une coalition avec les électeurs libres ou les Verts. Aucun des deux partis n’a exclu a priori de négocier une coalition avec la CSU. Les électeurs libres se retrouvent avec de nombreuses thématiques communes avec la CSU, tandis que les Verts pourraient être tentés de s’allier avec une CSU affaiblie pour surfer sur la nouvelle vague de popularité électorale. Cependant, cette dernière coalition soulèverait de nombreuses difficultés au regard de la sécurité intérieure, de la relocalisation des réfugiés et surtout de la construction d’une troisième piste à l’aéroport de Munich.

Une coalition avec le SPD numériquement possible serait cependant à exclure du fait des tensions internes à la grande coalition au niveau fédéral. Tiraillée sur la droite par la CSU, la CDU peine à maintenir un équilibre avec le SPD qui subit des revers électoraux conséquents depuis septembre 2017. Le dilemme consistant à quitter la coalition pour convoquer de nouvelles élections et réaliser un score historiquement bas ou bien y rester en subissant de lourdes défaites avec espoir de changer les choses dans les prochains mois est très présent. Andrea Nahles l’a bien dit dimanche soir, « quelque chose doit changer » : sera-ce un changement dans les têtes dirigeantes ou bien une décision plus radicale ? Le scrutin en Hesse du 28 octobre y permettra sans doute d’y voir plus clair.

Pour en savoir plus sur les résultats officiels : Landtagswahl

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