Beppe Grillo, un homme confus

, par Claudia Muttin, traduit par Alexandre Marin

Beppe Grillo, un homme confus

Quand il passait en revue les arguments finaux de son discours de clôture de l’année 2013 et parlait du futur de la politique européenne, Beppe Grillo paraissait confus. Impression personnelle sur un homme qui, bien que confus, faisait déjà campagne, et qui, après avoir passé habilement les exposés du « système politique qui a exaspéré l’électorat » et du « pays qui doit fonctionner de nouveau », prenait cinq minutes pour disserter sur l’Europe, adoptant une stratégie de hauts et de bas, d’arguments politiques et d’ébauches de réponses, de paroles ordinaires et de lieux communs qui finissent par mélanger spectateur et électeur.

La confusion n’est certes pas un mal, mais la volonté d’embrouiller l’est quelques fois. Il vaut donc peut-être la peine de passer en revue les perles lancées par notre Beppe national pour tenter de démêler le fil peu clair de son discours, sans esprit de polémique, et pour partager des impressions avec les é-lecteurs de toutes tendances.

Sur la politique italienne : commençons par ce « de là (de l’Europe), nous changerons la politique italienne » : proposition cohérente étant donné que la politique nationale n’arrive plus à répondre de façon efficace à des problèmes et défis qui ne s’enferment pas derrière une frontière nationale.

Reste à préciser si l’on veut user d’un Parlement qui représente plus d’un demi milliard de citoyens juste pour un transfert de pots cassés ou également pour servir l’intérêt de la société européenne (et ne me dîtes pas qu’aujourd’hui nous ne sommes pas tous citoyens et qu’il existe la citoyenneté à la carte) d’une manière constructive et en revendiquant plus de droits pour tous les citoyens et plus de pouvoirs pour leurs représentants.

Sur la souveraineté : Le thème de la création d’un pouvoir politique et démocratique européen nous porte directement au point suivant : « souveraineté monétaire, alimentaire, économique, financière, sur quelque thème que ce soit ».

Passons sous silence le passage nostalgique d’un goût douteux sur l’autarcie précaire de la double décennie (époque de l’Histoire italienne qui couvre la dictature fasciste, et, par extension, va de la fin de la première guerre mondiale à la fin de la seconde). Passons également le « ils vendent l’eau à Rome, les services publics, les entreprises publiques communales » et dissocions nous aussi de ce « que nos pères ont donné leurs vies pour ces choses là » (du moins, il ne me semble pas que mon père ait encore donné sa vie pour quoi que ce soit, et certainement pas pour les entreprises publiques communales). Sautons plutôt à pieds joints sur l’emploi mythique du concept de « reconquête de la souveraineté », et tentons de clarifier un concept simple : il est drôle celui qui pense que les petits Etats européens peuvent être individuellement souverains dans un monde de géants aux dimensions continentales, non celui qui retient que la souveraineté européenne est inefficace parce qu’incomplète, et que la souveraineté même ne peut se reconquérir pour et avec une communauté de destin européenne.

Sur le programme : Il poursuit avec un « nous irons en Europe et nous repositionnerons notre programme ». Beppe, tu es en train de nous dire que les idées que le mouvement 5 étoiles portera en Europe sont les mêmes que celles qu’il utilise en Italie ? Vraiment tout ce qui intéresse les électeurs italiens, c’est de résoudre les problèmes italiens ? Si j’étais un Portugais, un Grec ou un Espagnol, je serai préoccupé et déçu par ce comportement, et ensuite, évidemment que je voterais pour les candidats de mon Beppe national, pour les envoyer se heurter aux autres parlementaires à Bruxelles.

Tout cela, évidemment que ça coule de source dans la « nouvelle politique » ; évidemment que ça pourrait contraster avec le retour aux vues égoïstes et nationalistes qui ont fait tellement de bien à notre continent dans la première moitié du XX°siècle (ça vaut la peine d’ajouter qu’en 2014, se seront écoulés cent ans depuis le déclenchement de la première guerre mondiale).

Sur la méthode : La réponse réside sans doute entièrement dans cette « Europe qui ne nous plait pas comme ça, nous irons voir ce qu’il faut changer ». Disons-le ainsi, le coup de l’ « Europe qui ne nous plait pas » est un argument plaisant. Cheval de bataille des anti-européens déjà utilisé par la ligue du Nord et quelques autres courants de droite, il synthétise le choix de se consacrer à la pars destruens. Aucun construens ? Prenons position, il ne s’agit pas seulement d’attitudes, de choix rhétoriques, il s’agit d’un déploiement : il y a celui qui s’aligne du côté destructeur, et l’autre, du côté constructeur, et moi d’un politique, je m’attends à quelque proposition sur la construction, pas qu’il se fasse élire sur la promesse qu’il ira voir ce qui se passe à Bruxelles. Comment seront re-structurés les pouvoirs au niveau européen ? Quelles compétences devra avoir chaque institution ? Comment seront défaits les nœuds de la représentation des citoyens en Europe et de l’Europe dans le monde ? Qui veut changer l’Europe par la politique doit avoir un projet de grande ampleur et pas seulement des intentions.

Sur la rigueur et le développement : Intéressante, la référence au Pacte Budgétaire européen : il est vrai que le choix des gouvernements (même si élus, donc légitimes) de sortir de la voie législative européenne pour l’approuver par voie intergouvernementale est discutable, mais le vrai scandale –dans un panorama d’économies intégrées et interdépendantes- réside dans le fait d’avoir un système de règles de contrôle de l’endettement public pour garantir que le système soit soutenable, à défaut d’une politique fiscale européenne qui puisse se fonder sur un budget aux dimensions adéquates, qui laisse « aux Etats la rigueur », et « à l’Europe, le développement ».

Regardons plus loin : pourquoi ne pas critiquer les manques et les oublis du Pacte Budgétaire, tout en travaillant sur le lancement d’un New Deal européen, luttant pour l’affirmation du bon vieux « no taxation without representation » au niveau supra-national ?

Sur la petite entreprise italienne en Europe : le principe nous porte directement au commentaire de la proposition sur le sort des petites entreprises italiennes. En paraphrasant (si j’ai bien compris, et sans commenter ces références à la « défiscalisation du travail et l’impôt régional sur les activités de production », intéressants mais hors sujets, qui achèvent l’image de l’homme confus) : on donne l’argent qui revient à l’Europe aux petites entreprises italiennes pour qu’elles puissent rester en Italie, et éviter de délocaliser leur production en Roumanie. Mais ce ne sera pas un peu compliqué ? Y en aura-t-il pour tout le monde ? Et pour combien de temps ? Tu pêches (peut-être une maigre besogne) à la place d’une canne ? Pourquoi ne pas se battre pour des règles identiques en Europe – avec à l’esprit que des phénomènes comme la mondialisation ne se combattent pas, mais se gèrent- afin que toutes les entreprises arrêtent de produire à l’étranger en profitant des déséquilibres juridiques et sociaux ?

Non, il semble plus facile de se dédier à l’approche « nous vous donnons, donc nous voulons », qui, non seulement laisse complètement de côté la réalité que dans un continent uni sous les auspices de la paix depuis plus de soixante ans et riche de liens culturels, sociaux, et humains, conquis avec passion et volonté, le « nous », et le « vous » sont la même chose, mais en plus, réduit aussi le projet européen à une balance entre donner et avoir. Ce sera une question de goûts, mais la paix, les droits, la protection de notre modèle social et l’objectif d’améliorer la qualité de la vie des citoyens pèsent trop pour que quelques intérêts –quelques « donner » et « avoir »- puissent faire concurrence.

Sur les pays en difficulté : Dans la perspective des élections européennes, le Beppe confus est de retour : « nous devons gagner les élections européennes, et alors ils devront parler avec nous, avec la France, avec l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, le Portugal… nous devons nous sentir fiers avec cette Europe en difficulté et oubliée ». Donc le parti qui obtiendra le pourcentage de voix le plus important parlera avec les Etats entiers ? Et moi qui pensais que les élections européennes servaient à élire les représentants du peuple européen en Europe. C’est comme ça que l’on commence à devenir des Européens en difficulté. Ensuite, nous verrons peut-être « l’Europe à deux vitesses », mais je veux espérer qu’on ne divisera pas les Etats et les citoyens sur la base de la situation géographique (nord-sud) ou des ressources et des taux de croissance (riches-pauvres), mais sur la base de leur volonté de poursuivre, unis et déterminés sur la voie de l’intégration pour créer une Europe politique, démocratique, toujours moins fragile et imparfaite.

Sur l’euro : Dernière remarque sur la conclusion « nous sortirons de l’euro si c’est nécessaire ». Il serait intéressant que quelqu’un qui, comme Beppe, sur le thème « il avait vu loin », et s’était prononcé avant Stiglitz et Krugman, nous illustre les conséquences, sur le court et long terme, qu’un système économique subit avec la sortie d’une union monétaire en terme de coût des matières premières, des ressources énergétiques, de crédibilité de la dette publique, d’attractivité pour les capitaux étrangers, pour la force du pouvoir contractuel de la monnaie nationale retrouvée.

J’aimais énormément le billet de mille lires avec Montessori, mais je pense que l’attachement à la nostalgie ne vaut pas- et ne rend pas « nécessaire » de faire expérimenter à soixante millions de citoyens- l’absence d’Europe.

Et donc ? A la fin du discours, pendant que j’essayais d’imaginer ce qu’il y avait d’écrit sur les notes du leader, j’ai surtout eu l’impression de me trouver devant un citoyen déçu qui ne voit les problèmes que devant ses yeux –et entre hautes et basses mentions de la dimension européenne devant presque un tiers du discours- mais qui n’arrive pas à imaginer et à rêver à des solutions qui aillent au-delà du bout de son nez (et peut-être aussi de celui de son électorat).

Ainsi arriva l’année 2014, une année électorale et européenne, dans laquelle nous pouvons entrer avec le bon pied. À condition de ne pas être confus –et d’user consciemment de cette confusion pour écraser quelque chose- au point de ne pas comprendre quelle direction il nous faut prendre.

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