Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »

, par François Mennerat

Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »
Rupert Murdoch, magnat des médias australien, a fait tourner à plein régime sa machine de presse pour alimenter la campagne du « Leave », quitte à s’asseoir sur une certaine déontologie journalistique. Le patron du Sun ou du Times est en effet un partisan du Commonwealth, un détracteur du projet européen. - David Shankbone (CC/Wiki)

« Je te manipule, tu me manipules ». C’est ainsi que l’un de nos auteurs décrit le jeu des partisans du Brexit et de certains journalistes au Royaume-Uni. Après une campagne mouvementée, certains d’entre eux ont fini par avouer le caractère mensonger et populiste de certains de leurs arguments, laissant une partie des électeurs stupéfaits, déjà en proie aux regrets. Ces petits jeux politiques ont mené le pays au chaos, la démocratie à l’agonie.

Ce qui vient de se produire au Royaume-Uni doit nous servir de leçon. Une leçon que nous aurions dû, pourtant, avoir déjà entendue.

Le peuple de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été abusé. Il a été abusé à la fois par un groupe de presse et par de petits politiciens calculateurs. Et il commence à s’en apercevoir.

Ne dites jamais à un journaliste qu’il a cédé à des intérêts ou des injonctions contraires à son éthique professionnelle. Ne le dites jamais non plus à un médecin, un avocat, un enseignant, ou un boucher. Il se draperont inévitablement dans leur dignité offensée. Cela fait vingt ou trente ans que la presse du groupe Rupert Murdoch martèle ou instille quotidiennement des calomnies et mensonges répétés contre « Bruxelles » et ses « décideurs technocratiques non élus », « corrompus » et « inutilement dispendieux ». La diffusion de ses organes de presse coïncide étrangement avec la carte du « Leave ». En quelque sorte, Nigel Farage est, indirectement, sa créature. Rupert Murdoch, de nationalité australienne, règlerait ainsi ses comptes avec ceux qui, dans la classe politique britannique, auraient trahi le Commonwealth pour adhérer à ce qui était alors la Communauté (économique) européenne.

Ne l’oublions pas : ce n’est pas UKIP (UK Independence Party) qui a décidé de tenir un referendum ce 23 juin sur la question de rester dans l’Union européenne ou d’en partir. C’est le parti qui avait été, à trois reprises, à l’origine de la demande d’adhésion à la CEE. Ce n’est pas un parti d’extrême droite (ou gauche) populiste, nationaliste et xénophobe qui a posé la question stupide, c’est le plus ancien et très honorable parti de Grande-Bretagne. Et ce pour de petits calculs minables de petits politiciens sans envergure mais prétentieux et arrogants qui ont oublié que certains de leurs prédécesseurs avaient été d’immenses hommes d’État. Ils ont fait prendre à leur pays, à leur peuple et aux autres États membres de l’Union des risques sans aucune commune mesure avec leurs enjeux partisans. Ils ont osé prendre des paris honteux mettant en péril l’avenir de leurs électeurs et des peuples européens.

En rapportant leurs propos sans mise en garde, les media se rendent complices des politiciens qui manipulent leurs électeurs et souvent leur mentent. Ils leur mentent par des assertions délibérément fausses ou en leur masquant les conséquences vraisemblables des choix qu’ils leur demandent d’entériner. Mais les politiciens s’appliquent aussi à flatter les media pour les manipuler, tandis que ceux-ci le leur rendent bien : la boucle est bouclée.

Il est commun d’en rire, ou de hausser les épaules. Mais tout ceci constitue une grave perversion de la démocratie. Les conséquences, comme au Royaume-Uni aujourd’hui peuvent être gravissimes, pas seulement pour le pays directement concerné, mais aussi pour ceux avec qui ils est en relations étroites.

Le principe fondamental de la démocratie impose que l’on respecte le peuple (les Suisses disent « le Souverain »), ce qui a deux implications.

Premièrement, on doit l’informer, complètement et avec une infinie patience de tous les aspects des décisions et de leurs enjeux ; dans le cas contraire, on ne peut que le manipuler.

Deuxièmement, on ne doit l’inviter à donner son avis que sur des sujets simples ; pour le reste, la démocratie directe n’est qu’un leurre ; respecter le peuple c’est aussi ne pas lui demander d’endosser des choix et des décisions trop complexes, ce pourquoi il élit des représentants dont il attend un travail en profondeur, avec le bien commun pour seul horizon ; dans le cas contraire, on se moque de lui et on se dérobe à ses responsabilités d’élu.

Il est indigne que la plupart des media, aujourd’hui, ne présentent les actualités politiques ou le jeu démocratique à leur lecteurs, auditeurs ou spectateurs que sous des aspects ludiques et simplistes. Les premières victimes sont toujours les électeurs, particulièrement les moins « éduqués ». Le travail d’élu est un vrai travail. Ceux qui l’entreprennent doivent le faire sérieusement. Les media doivent les y aider.

Il est frappant, dès le lendemain du referendum britannique, d’entendre des gens ayant voté pour quitter l’Union européenne pleurnicher que ce n’était, en réalité, pas ce qu’ils voulaient pour leur pays. Comment, donc, ont-ils pu se laisser entraîner à jouer avec leur avenir et celui des autres ? Ils y ont été encouragés par les media et par des politiciens pervers.

Mais gardons-nous d’une attitude punitive et vengeresse. À quoi cela nous mènerait-il de nous acharner sur un peuple dont, après tout presque la moitié n’a pas voulu ce résultat et une bonne partie de l’autre moitié s’est laissée abuser par légèreté, ignorance ou bêtise ? Les habitants du Royaume-Uni doivent sentir le vent du boulet, ils doivent avoir peur, très peur : c’est déjà le cas, laissons-les baigner un peu dans leur jus.

Mais nous savons très bien, nous, que notre intérêt est que, finalement, le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. Ne nous drapons pas dans des principes stériles. Ne faisons pas comme ces inconséquents qui, 9 ans après avoir fait capoter le projet imparfait de traité constitutionnel, comme d’autres, autrefois, avaient fait capoter le projet de Communauté européenne de défense, ne sont toujours pas capables de nous présenter leur fameux plan B. Les principes, grands ou petits, sont là pour nous guider, pas pour nous bloquer. Le moment venu, tendons la main aux Britanniques. Ce qu’un vote mal informé peut faire, un autre vote mieux informé peut le défaire ; il ne se trouve là rien de scandaleux, c’est tout simplement la vie, toujours le fruit de l’espérance, pas de la haine ; la rigidité mentale, c’est la mort.

Déjà, en Grande-Bretagne, une pétition circule pour demander un tel nouveau vote. En 24 heures elle a recueilli plus de 2 millions de signatures. Souhaitons que, finalement, ce nouveau vote soit accepté, même si cela, malheureusement, est bien douteux ; restons ouverts et accueillants : c’est notre intérêt à nous aussi. Si un nouveau vote permettait à nos amis et frères du Royaume-Uni de rester parmi nous, nul doute que leurs représentants seraient plus modestes à l’avenir.

Le malheur des uns ne fait pas forcément le bonheur des autres. Notre objectif n’est-il pas d’unir des hommes, et des peuples, sans cesse plus étroitement ? C’est cela, le projet européen, pas de raviver la guerre de Cent ans.

Et balayons devant notre porte. Bien plus que Marine Le Pen, ceux qui, à gauche comme à droite, se croient assez forts et assez malins pour la manipuler constituent un danger mortel pour la démocratie.

François Mennerat
Membre du bureau exécutif européen de l’UEF
Ecrit le 26 juin 2016, de retour d’Écosse, où j’ai vu pleurer mes amis de bien plus de trente ans.
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Le lendemain du vote, à la télévision britannique, le leader du UKIP, Nigel Farage, a avoué que l’un des principaux arguments des pro-Brexit était un mensonge. La contribution du Royaume-Uni à l’Union européenne ne viendra en aucun cas combler les déficits du système de santé.

Source : The Independent

Vos commentaires
  • Le 29 juin 2016 à 09:19, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »

    Les Britanniques se sont exprimés. Confrontées aux conséquences de la décision majoritaire de l’électorat, des voix se font entendre, au Royaume-Uni, pour y renoncer. Mai sil faut condamner fermement toute tentation en ce sens, tout comme le refus d’engager la procédure de l’article 50 dès à présent. Le choix des Britanniques doit être impérativement respecté. C’est une exigence démocratique. Il est inconcevable d’envisager que demeure, au sein de l’Union européenne, un État dont la population s’est prononcé contre l’appartenance à celle-ci.

  • Le 30 juin 2016 à 12:40, par Bernard Giroud En réponse à : Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »

    Sauter au précipice parce que la majorité l’a décidé ? Tu veux rire Xavier !

    Il y a certains bons principes, un certain nombres de bons supports ou étais sociaux, qui méritent d’être bien réfléchis a à nouveau, ou bien revisités, comme l’on dit.

    Cette histoire anglaise n’est que la suite médiocre d’une histoire qui dépérit, faute d’être activée, alimentée, par le feu de l’Esprit. Nous retournons en arrière, à cause de nos mensonges, de nos tricheries, ; Nous n’avons pas, ou peu de réflexion sur la suite d’un projet à mettre en commun, sur la suite d’un projet qui nous mobilise, qui mobilise nos volontés, nos espoirs , et donc nos énergies.

    Dans ce type de direction si les meilleurs ne se découvrent pas, c’est-à-dire que s’ils ne lancent pas la balle, ne se "mouillent pas", au risque de se perdre, ne donnent pas le bon exemple, alors oui, la sauce ne lève pas, l’ensemble de la masse ne se mobilise pas. Nous restons « à plat », en aphasie. Nous n’avons plus que la solution de continuer à nous "emmerder" à nous jalouser, sans imagination, avant, un jour d’aller plus loin, je veux dire d’aller… moins loin. Rassurons nous, dans cette dernière hypothèse, les conséquences seraient limitées, puisque nous sommes, nos "nations", sont dans l’espace des "petits". Nous passerons donc après les autres, les plus grands, qui nous remettrons à notre place.

    Tout cela pour dire que ce sont toujours les meilleurs, qui doivent s’attaquer aux entreprises les plus difficiles, et que sans eux et leurs exemples de vérité, il est bien difficile de dépasser nos lourdeurs journalières. Ces meilleurs ne comptent pas leurs temps et payent de leur personne. Nous sommes tous un peu meilleurs que nous le pensons, parfois. C’est à cela qu’il faut croire. L’imaginaire, ensuite, nous permet de payer de notre personne et aussi de nos biens, même limités. Les résultats sont souvent surprenants.

    Il faut redécouvrir ce bon sens meilleur en nous qui est aussi le sens du don de soi, et le propager, et ne pas nous laisser trop endormir par les usines médiatiques de fabrication de la médiocrité, du populisme et de l’aphasie, qui font justement, le jeu de la séparation.

    Les cupides, spécialistes de ce siècle, en embuscades, dressent les camps les uns contre les autres pour ramasser les bonnes balles quand elles passent à portée. Ce sont eux à qui profitent de ce jeu de la séparation. Ils ne savent pas, leur cervelle est occupée à leurs petits sous ou à leur grande fortune, que les projets à la hauteur du siècle, nécessitent l’union, la coopération à la hauteur de ce siècle, , pas la concurrence et la guerre.

    Simplement parce que pour faire mieux, il faut plus de « cervelles », plus de moyens et plus sens de la continuité d’un projet humain plus universel.

    Mais au fait qui croit aujourd’hui, en Europe, au projet humain face à son futur ?

  • Le 1er juillet 2016 à 16:30, par Bernard Giroud En réponse à : Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »

    Ce vote n’a rien à voir avec la démocratie, telle qu’un honnête homme peu la respecter Les principes ont aussi un bon sens.. Je conçois que cela paraisse un peu compliqué pour un dogmatique, mais comme te dit François, la rigidité mentale c’est la disparition

    Pour ma part, j’irai contre le mensonge et la falsification, et je m’emploierai à redresser cet accident acquis au prix de la perversion. Le choix que je ferai, le chemin que je suivrai est celui de l’union, de la compréhension du nœud à dénouer, en somme, le respect de la personne.

    Révise un peu tes tablettes, ce sera plus facile pour les fédéralistes de se faire entendre et respecter.

  • Le 5 juillet 2016 à 15:06, par Clive Hole En réponse à : Brexit : « Je te manipule, tu me manipules »

    Bravo pour cet article, surtout la mise en exergue de l’influence nauséabonde de Rupert Murdoch, qui quoique d’origine australienne est actuellement sujet américain de l’état de Delaware, un paradis fiscal onshore. Ce référendum montre le grand danger d’une presse et média qui mentent, et qui est redevable de personne et un grave danger pour la démocratie.

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