Brexit : la confiance est rompue

, par Antoine Potor

Brexit : la confiance est rompue
Le Commissaire européen Maroš ŠEFČOVIČ. Image : European Union

Alors que la huitième semaine des négociations concernant la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni vient de s’achever, tous les regards sont tournés vers ce qui s’annonce désormais comme un énième rebondissement du Brexit : le piétinement pur et simple de l’accord de retrait par le Gouvernement britannique.

Back to the future

Retour en novembre 2019, après de nombreux échecs aux portes du Parlement britannique, la démission de Theresa May et l’arrivée tonitruante de Boris Johnson, l’accord de retrait est en effet approuvé sur la papier par les parlementaires britanniques, en attendant la ratification qui surviendra en janvier 2020. Cet épilogue avait alors mis fin à plus de deux années de négociations ponctuées de plusieurs reports pour éviter le “no-deal”.

L’intérêt de ce texte est d’encadrer les conditions du divorce et d’anticiper les éventuelles difficultés autour des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. C’est à ce titre que l’on y retrouve tout une procédure liée au règlement des différends autour d’un Comité mixte (Article 164 et suivants) mais aussi le protocole autour de l’Irlande du Nord. Ce dernier, annexé à l’accord de retrait a été le point de friction principal durant toutes les négociations du fait de la difficulté à s’accorder sur un équilibre entre la garantie de la paix en Irlande et l’unité du territoire britannique.

C’est sur la base de cet équilibre fragile que les discussions pour un futur accord de libre échange ont pu débuter en mars dernier avant d’être fortement ralenties par la pandémie de la covid-19. Ce contre-temps dans le calendrier s’est pourtant révélé être un souci mineur face aux difficultés à avancer autour de la table des négociations : accord sur la pêche, aides d’Etat, level playing field, les divergences sont nombreuses et ne trouvent pas le chemin du compromis depuis plusieurs mois.

Une situation qui ravive la peur du “no-deal”, un scénario qui pourrait plaire à Boris Johnson qui s’est toujours vanté de le préférer à un mauvais accord, mais il ne semble apparemment pas prêt à en assumer la responsabilité, de là à briser les engagements britanniques ?

Pacta sunt servanda

Pacta sunt servanda : les traités doivent être respectés. Il s’agit sûrement de l’un des plus vieux adages en droit international. Entré par la force des âges dans la coutume internationale il est inscrit noir sur blanc dans l’article 26 de la Convention de Vienne de 1969 qui régit le droit des traités.

Il semble cependant que Boris Johnson n’accorde aucune valeur au droit international. En effet ce qui n’était au départ qu’une information à prendre avec des pincettes dévoilée par le Financial Times est devenue une réalité : le gouvernement britannique s’apprête a délibérément à briser l’engagement pris dans l’accord de retrait. Une manoeuvre qu’il justifie difficilement en soulignant la précipitation dans laquelle aurait été signé l’accord de divorce, alors que plusieurs commentateurs rappellent sa déclaration de septembre 2019 : “Je préfère être mort que de demander un nouveau délai”...

C’est donc par la bouche de Brandon Lewis, Ministre en charge de l’Irlande du Nord que l’information a été confirmée. Dans une prise de parole devant des parlementaires britanniques, il a confirmé qu’une future loi présentée par le gouvernement allait “briser le droit international [et l’accord de retrait] dans une proportion limitée”.

Une déclaration suivie des faits puisque mercredi 9 septembre a été publié le fameux projet de loi concernant le marché intérieur britannique qui dispose noir sur blanc que certaines de ses clauses s’appliqueront “nonobstant” les engagements internationaux, notamment concernant l’article 10 du protocole sur l’Irlande du Nord relatif aux aides d’Etat, sujet central pour les Européens.

Cette prise de position claire a engendré de nombreuses réactions, jusqu’à entrainer la démission de Jonathan Jones, directeur du service juridique du gouvernement. De nombreux parlementaires ont réagi, dont certains fervents brexiters, comme le Lord Lamont qui souligne l’impossibilité de faire passer ce texte en l’état. Une position déjà adoptée par certains députés britanniques qui se préparent à déposer un amendement afin d’empêcher le gouvernement de servir des pouvoirs qu’il cherche à s’arroger.

Plus généralement c’est la réputation et la crédibilité internationale britannique qui est en jeu : alors que Boris Johnson a souvent mis en avant sa capacité à conclure un grand accord commercial avec les Etats-Unis, Nancy Pelosi - la Présidente de la Chambre des représentantes - a indiquéqu’il n’y aurait aucune chance quant à un accord commercial si l’accord du Vendredi Saint est mis à mal”. L’Ambassadeur allemand au Royaume-Uni y est également allé de son commentaire acerbe témoignant son incrédulité face à une telle “détérioration des négociations” qu’il n’a jamais connue en “plus de trente années comme diplomate”.

C’est cependant bien du côté européen que les réactions se font les plus dures. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ainsi que le Président du Conseil européen, Charles Michel, ont rapidement réagi après la déclaration de Brandon Lewis. Les deux représentants de l’Union ont rappelé que l’accord de retrait doit être appliqué dans son ensemble sans quoi il serait difficile de construire une relation de confiance. C’est dans cet objectif que le Vice-Président de la Commission, Maroš Šefčovič, en charge des affaires institutionnelles a demandé la réunion du Comité mixte ce jeudi 10 septembre.

Une réunion censée éclaircir les intentions britanniques à l’issue de laquelle Maroš Šefčovič a réclamé à ce que les dispositions en cause soient retirées sous trois semaines du projet de loi sans quoi l’Union européenne saisirait les instruments de règlement des différends prévus dans l’accord de retrait. Un ultimatum balayé rapidement par Michael Gove qui a indiqué que le gouvernement britannique n’avait aucune intention d’accéder à la demande européenne.

Un coup de poker ?

Il serait bien simple de résumer ce refus à une simple tentative de déstabilisation après la détermination affichée par Michael Gove. Ce ne serait pourtant pas la première fois que les Britanniques adoptent cette stratégie de négociations. À l’approche des échéances, ils ont toujours agité la menace du “no-deal” et plus récemment ont tenté de s’en prendre au négociateur européen selon les affirmations de The Telegraph depuis démenties.

En réalité Boris Johnson se retrouve enfermé dans son idéologie face aux exigences européennes dans les négociations : pour accéder au marché intérieur il est nécessaire de s’aligner sur de nombreuses normes afin de garantir une concurrence saine et juste.

Plutôt que d’assumer son tort et tenter d’obtenir un accord même minime, le Premier ministre britannique préfère tenter l’absurde : pousser les Européens à abandonner les négociations. Une tentative vaine et qui pourrait même se retourner contre lui alors que les vives réactions chez les conservateurs présagent davantage d’un rejet du projet que de leur assentiment.

Les Européens, quant à eux, restent droit dans leurs bottes et agissent avec flegme comme l’a commenté Thierry Breton, tel un pied de nez au légendaire flegme britannique. S’ils ont rapidement réagi et menacé de prendre des sanctions, il semble que cela serve avant tout de contre-feu. Michel Barnier et son équipe non nullement l’intention de rompre d’eux-mêmes les négociations, et ils ont bien raison.

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