Budget 2021-2027 : l’heure de l’Europe politique n’a pas (encore) sonné

, par Emma Giraud

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Budget 2021-2027 : l'heure de l'Europe politique n'a pas (encore) sonné
Le Commissaire européen du budget, Günther Oettinger, et le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ont présenté la proposition du prochain budget 2021-2027 aux députés européens, le 2 mai dernier. © European Union 2018 - Source : EP - PhotographerDidier BAUWERAERTS

Le 2 mai dernier, la Commission européenne a présenté sa proposition de Cadre financier pluriannuel (CFP) (plus communément appelé « budget européen ») pour la période 2021-2027. Elle prétend mettre davantage l’accent sur les priorités politiques (sécurité, protection, soutien à l’économie, entre autres) portées par son Président, Jean-Claude Juncker, en particulier au cours des deux dernières années dans un contexte de Brexit et de crise migratoire s’ajoutant à la morosité économique. Mais loin de sonner la révolution du budget européen, nécessaire à l’Union européenne pour être en mesure d’agir et de mettre en œuvre une véritable stratégie, la Commission a plutôt procédé à un remaniement des pôles budgétaires et a privilégié les revendications nationales au détriment des ambitions européennes. Les négociations à venir s’annoncent tendues, au vu des contestations aussi bien de la part de certains Etats membres que d’autres institutions européennes.

Un budget ajusté sous contrainte plutôt que par conviction

Avec un montant de 1 279,4 milliards € (en prix courants) pour la période 2021-2017, le budget européen évoluerait de 1,0% du Revenu National Brut (RNB) de l’UE pour la période 2014-2020 à environ 1,1% pour les sept années suivantes. Loin de révolutionner sa taille, la Commission européenne s’en est plutôt tenue à des ajustements dans son allocation et sa structuration, entre recul de la part de la politique de cohésion et de la Politique agricole commune (PAC) autour de 30% du RNB européen (tendance historique dans le cas de cette dernière, plus discutée pour la politique de cohésion), accent sur les réformes structurelles et le soutien aux investissements, et progression de nouveaux domaines (à 35% du RNB européen) telles que les migrations, la sécurité et la défense, la recherche et l’innovation, entre autres. En parallèle, l’institution a avancé des pistes de rationalisation du budget européen, via notamment l’intégration de programmes existants pour optimiser l’allocation des ressources ainsi que via la mise en place d’une « réserve de l’Union » destinée à faire face aux imprévus ou crises, mais qui reste faible.

La Commission s’est donc attachée à tenter de trouver un équilibre entre la nécessité de combler le départ du Royaume-Uni en mars 2019, de préserver les politiques fondamentales de l’UE (en particulier la PAC et la politique de cohésion) et de donner plus de moyens à de nouvelles priorités européennes (recherche, migrations, numérique, etc.), tout cela sans froisser les Etats membres par une hausse trop nette des contributions nationales.

Le CFP, reflet d’intérêts nationaux plus que d’ambitions européennes

Loin de refléter certains discours en faveur d’une Europe plus forte, la réaction de la plupart des Etats membres a consisté à réclamer leur part plutôt qu’à déplorer le manque d’ambition à l’échelle européenne, qui aurait pourtant été bénéfique dans des domaines où le contrôle du cours des événements leur a échappé depuis longtemps déjà : environnement, migrations, numérique, terrorisme, fraude fiscale, etc.

Les pays du Nord ont ainsi protesté contre l’augmentation du budget et ont appelé à une révision à la baisse du budget proportionnelle aux implications financières du départ du Royaume-Uni de l’UE. En parallèle, les pays contributeurs nets (majoritairement Europe de l’Ouest et du Nord) ont soutenu le principe du « mécanisme de respect de l’Etat de droit », devant conditionner l’octroi de fonds européens au respect des valeurs européennes – adressé en particulier à la Pologne et à la Hongrie ainsi qu’à toutes les tentations « antilibérales » en Europe – sans lequel la bonne gestion des ressources financières ne pourrait être garantie, selon la Commission. Logiquement, ce mécanisme a été dénoncé par les premiers concernés, estimant que la variable des fonds européens (dont la plupart des pays d’Europe centrale et orientale sont les premiers bénéficiaires) deviendrait un levier de pression politique utilisé par leurs voisins européens pour contrer leurs politiques nationales. Toutefois, au-delà de l’approche discutable sur un plan politique, il est à noter que la proposition de la Commission, outre la nécessité de requérir l’approbation du Parlement européen, devra être adoptée par le Conseil à l’unanimité… Plus généralement, l’institution a proposé la suppression progressive des rabais accordés à différents Etats au cours des prochaines années, afin de restaurer une dose d’équité.

Enfin, alors que la Commission revendique une « valeur ajoutée européenne » « dans la vie des citoyens et des entreprises », les coupes annoncées dans la politique de cohésion et la PAC font craindre un manque de moyens pour y parvenir. Le Comité des Régions alerte ainsi sur un risque de centralisation des ressources et des processus de prise de décision (par exemple dans le cadre de programmes de réformes) au détriment des échelons locaux et régionaux (et donc de programmes de cohésion), qui pourrait remettre en question le principe même de subsidiarité.

Un budget plus interactif – mais donc plus complexe ?

Au-delà de la réallocation de certaines ressources, en particulier des politiques structurelles vers des priorités sectorielles européennes, la Commission a mis l’accent sur la cohésion sociale et des valeurs en Europe, en écho aux débats actuels sur le respect des valeurs européennes et aux préoccupations des citoyens européens face aux crises économique et migratoire notamment. Par exemple, dans le prochain cadre budgétaire, la politique de cohésion devrait être davantage connectée aux performances des institutions publiques liées aux réformes structurelles, à l’accueil des migrants et à la promotion des valeurs sur le continent. Toutefois, tout en louant cette approche davantage sociale, interconnecter les politiques et les objectifs revient bien souvent à complexifier la mise en œuvre des politiques et stratégies. Par ailleurs, les entités locales et régionales pourraient être les victimes directes de mauvaises performances dans le domaine des réformes structurelles, qui dépendent toujours largement de l’échelon étatique et qui pourraient venir conditionner l’octroi de fonds européens. La volonté d’efficacité ne doit pas se déployer au détriment d’un besoin de réalisme et de proportionnalité.

Dans les prochaines semaines, la Commission devrait présenter le détail des programmes ainsi que des mesures de révision des politiques structurelles composant le budget européen après avoir présenté le cadre général début mai. S’engageront ensuite sur cette base les discussions entre les Etats membres et les institutions européennes au cours desquelles chacun tentera de tirer la couverture à soi – il est en effet peu probable qu’une conscience européenne émerge sur le court-terme et dans un contexte de tensions qui n’est pas nouveau. Objectif : clôturer les négociations entre le Parlement et le Conseil au plus tard début 2019 pour procéder au vote avant les élections européennes. Repousser l’échéance reviendrait à rouvrir les tractations avec un Parlement européen probablement « droitisé » à l’issue des élections en mai 2019, en écho aux dernières tendances électorales nationales.

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