Budget européen : Le bras de fer commence

, par Hervé Moritz

Budget européen : Le bras de fer commence
Kristalina Georgieva, ancienne commissaire en charge de la coopération internationale et de l’aide humanitaire, promue à la vice-présidence en charge du budget dans la Commission Juncker, devra trouver une solution pour enrailler le problème chronique des paiements - Friends of Europe

Ce jour est un grand jour. Les parlementaires européens se prononcent aujourd’hui sur l’investiture de la nouvelle Commission, placée sous la direction du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Un autre vote clé aura lieu, celui sur le budget 2015. Or, depuis plusieurs semaines, des inquiétudes émergent au sein des institutions européennes, qui craignent que les dirigeants des Etats membres manquent de volonté politique pour mettre un terme aux pénuries chroniques de paiements. Explications.

Vous avez dit « pénuries de paiements » ?

En effet, la Commission élabore chaque année un budget annuel, qui rentre dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 (un cadre budgétaire global défini pour sept ans). Alors que chaque Etat membre estime le montant des aides européennes qui devront être versés en 2015 (aux agriculteurs selon la PAC, aux collectivités pour des projets dans le cadre de la politique de cohésion, etc.), la Commission construit son budget selon ces données. L’Union européenne prend ainsi des engagements pour subvenir à ces besoins. Or, les paiements annuels, fiancés par les contributions des Etats, sont largement en dessous des estimations globales de la Commission européenne. Ainsi, les engagements contractés par l’Union européenne pour tel ou tel projet (financements d’infrastructure, etc.), ou tel ou tel programme (Erasmus, etc.) ne sont pas suivis de paiements suffisants, sans compter les imprévus qui peuvent demander des ajustements budgétaires. Au moment de payer, l’Union européenne ne peut pourvoir à ses engagements en raison de prévisions budgétaires trop faibles. Ainsi, les factures impayées sont reportées sur l’exercice suivant.

Ce problème est récurrent depuis plusieurs années. Fin 2011, 11 milliards d’euros d’impayés furent reportés sur le budget 2012. Déjà amputé de 11 milliards d’euros, le budget 2012 en lui-même insuffisant pour l’ensemble de l’exercice se termina avec 16 milliards d’euros d’impayés, reportés à leur tour sur le budget 2013. En 2013, 26 milliards de factures impayées ont été transférées sur le budget 2014. Une situation inquiétante pour Jean Arthuis (ALDE), l’actuel président de la commission des budgets du Parlement européen, qui dresse un tableau inquiétant de la situation dans une interview pour EurActiv :

“L’Union européenne est train de générer de la dette ce qui est contraire aux traités. Quand le Conseil et le Parlement européen définissent un montant d’engagement, ils doivent être conscients qu’il faudra, à un certain moment, honorer ces engagements. Le vrai sujet c’est l’accumulation des impayés et l’effet « boule-de-neige » qui est en train de se produire. (...) On pourrait être à près de 30 milliards d’euros d’impayés à la fin de l’année 2014. Les impayés ne cessent d’augmenter. Nous devons y mettre fin.”

Même dans le cadre financier pluriannuel négocié l’année dernière entre les Etats et les institutions européennes, un différentiel de 52 milliards d’euros entre les engagements et les paiements a été approuvé, en prévoyant 960 milliards d’euros d’autorisations d’engagements et seulement 908 milliards de crédits de paiement. Une situation qui prévoit de fait de différer le paiement des factures.

Les menaces qui pèsent sur le budget 2015

Pour résorber en partie cette dette, les Etats membres ont décidé de réduire le budget 2015 sans pour autant apporter une réponse viable à ces impayés chroniques. Ainsi, le Conseil a exigé des coupes franches, qui pourraient mettre à mal les investissements européens dans des domaines prioritaires. Les investissements pour l’emploi et la croissance pourraient en pâtir, tout comme la recherche, qui pourrait voir son enveloppe réduite de 10%, condamnant plusieurs centaines de projets et affectant des milliers de partenaires.

La proposition des Etats membres envisage aussi la réduction de l’aide humanitaire européenne. Alors que l’Union européenne demeure le premier pourvoyeur d’aides humanitaires dans le monde, l’aide totale devrait être réduite de 1,5% en 2015, soit une baisse de 2,1 milliards d’euros. Or, les impayés de 2014 seront reportés sur le budget 2015, réduisant encore plus le montant disponible pour l’exercice 2015. Plusieurs projets en Afrique subsaharienne ou en Haïti ont ainsi été reportés, mettant en péril l’action de plusieurs ONG.

De même, les bourses Erasmus sont également menacées, victimes des impayés et du manque de subside pour ce programme qui remporte pourtant un vif succès auprès des citoyens européens. Le Parlement européen a d’ores et déjà annoncé qu’il ferait front face à la proposition des Etats membres, considérant que les coupes dans certains domaines prioritaires ne sont pas acceptables.

La position de la Commission : les Etats devront cracher au bassinet

La Commission Barroso a tranché. Dans l’immédiat, la Commission européenne a décidé d’augmenter les crédits de paiements de 4 milliards d’euros pour combler le budget 2014. Une mesure, déjà évoquée en mai dernier et qui sera présentée en session aujourd’hui aux eurodéputés. De même, le budget 2015 a été revenu pour faire face à la situation. Ces révisions devraient permettre de maintenir les programmes et les engagements de l’Union européenne.

José Manuel Barroso a d’ailleurs justifié les modifications apportées au budget 2014 et l’élaboration du budget 2015 dans une lettre adressé au Conseil de l’Union européenne. Il en appelle à la raison des gouvernements pour honorer leurs engagements européens, devant contribuer notamment à la relance de l’économie en Europe, au retour à la croissance et à l’emploi au profit des citoyens européens. Les programmes en faveur de la croissance et de l’emploi ne peuvent subir de coupes dans la situation actuelle du continent, qui a plus que jamais besoin d’un large plan de relance. D’ailleurs, les incertitudes gagnent les projets de la nouvelle Commission : La situation budgétaire laisse planer un doute sur le plan d’investissement de 300 milliards d’euros promis par Jean-Claude Juncker pour la relance. L’absence de marge de manœuvre devrait rendre difficile sa mise en pratique, bien que les services de la Commission travaillent sur la possibilité de financer ce plan d’investissements par l’émission de Project bonds, collectant ainsi des subsides privés.

La Commission mise également sur la flexibilité budgétaire, négociée en marge du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Les recettes supplémentaires, provenant des sanctions financières imposées par l’Union européenne, notamment au secteur bancaire ou à certaines multinationales (comme Google) qui ne respectent pas les règles de concurrence, dégagent pourtant un excédant de 4,7 milliards d’euros cette année. Si la flexibilité était appliquée comme l’avait demandé le Parlement européen, aucun budget rectificatif ne serait nécessaire. En effet, les fonds non versés pourraient être transférés d’un exercice à un autre, d’une catégorie de dépenses à une autre. Une flexibilité qui doit permettre à la Commission de réorienter les crédits vers des domaines prioritaires. Cependant, le Conseil bloque un tel mécanisme.

Cette proposition de budget devra pourtant être approuvée par les Etats membres, une étape qui ne sera pas une partie de plaisir pour la nouvelle Commission, sous la direction de Jean-Claude Juncker.

Le Parlement monte au front : Comment devrait se négocier le budget 2015 et le budget rectificatif de l’exercice 2014 ?

Les députés européens devraient rejeter aujourd’hui les coupes budgétaires proposées par le Conseil et approuver la proposition de la Commission. La Parlement européen a en effet décidé de se jeter dans l’arène pour défendre un budget européen acceptable par une majorité d’eurodéputés. Les coupes envisagées par les Etats membres ne peuvent être acceptées, menaçant des champs d’action prioritaires pour l’Union européenne comme l’aide humanitaire fortement amputée. Le Parlement est aussi résolu à régler le problème récurrent des impayés, se reportant d’exercice en exercice.

Après l’approbation de la proposition de la Commission, une période de conciliation va ainsi s’ouvrir. Le Parlement, la Commission et le Conseil négocieront pour parvenir à s’entendre sur le budget 2015 et les rectifications à apporter au budget 2014. La nouvelle commissaire bulgare, Kristalina Georgieva, dès son entrée en fonction le 1er novembre à la vice-présidence en charge du budget, devrait élaborer un plan pour lutter contre les pénuries chroniques de crédits de paiement.

Le plus difficile sera de demander aux Etats membres de mettre la main à la poche pour résorber cette dette. Du 6 au 14 novembre, les dirigeants des institutions européennes devraient négocier avec les représentants des Etats membres. Cependant, le problème de la dette européenne apparaît minime pour une partie des Etats, qui font face à une situation budgétaire nationale des plus critiques. Certains Etats frondeurs pourraient refuser de cracher au bassinet.

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