Budget européen : stop aux pinailleries !

, par Théo Boucart

Budget européen : stop aux pinailleries !
Le budget européen, et par conséquent le projet de société que l’UE offre à ses citoyens, sont otages des intérêts nationaux. Source : Consilium

OPINION. L’échec du Conseil européen dédié aux négociations sur le prochain budget de 2021-2027 montre une fois de plus toute la faiblesse de l’UE actuelle et tout le chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre un fédéralisme digne de ce nom.

Le Conseil européen des 20 et 21 février s’est terminé sans accord sur les négociations budgétaires, et nous avons été témoins des scènes habituelles de ce genre de réunions entre chefs d’États et de gouvernements : des désaccords même après des dizaines d’heures de négociations, des déclarations dissonantes émanant des uns et des autres, comme Emmanuel Macron assurant que la politique agricole commune (PAC) ne devait en aucun cas être sacrifiée sur l’autel de la rigueur budgétaire, ou encore la première ministre finlandaise Sanna Marin, qui s’est dite exaspérée face à la crispation ambiante et a appelé aux compromis.

Au milieu de tout ce « tintamarre », ils sont à peine audibles, mais ils sont bien là : Charles Michel, président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. L’ancien premier ministre belge s’est fendu hier d’une déclaration qui en dit long sur l’état des discussions : « comme ma grand-mère avait l’habitude de dire, quand on veut réussir, il faut au moins essayer ».

L’ancienne ministre allemande de la défense s’est montrée plus prosaïque : « nous avons un long chemin à parcourir afin d’atteindre un accord ».

Un long chemin, ce n’est pas si inhabituel que ça, surtout s’agissant du budget. Comme le rappelait le premier ministre autrichien, Sebastian Kurz, au moins deux ou trois sommets sont nécessaires pour boucler le budget européen, surtout quand il court sur une période de sept ans.

Une sensation exaspérante de « déjà-vu »

Néanmoins, ces scènes ont beaucoup trop duré. Le budget européen est l’incarnation du projet de société que l’Union offre à tous ses citoyens. Erasmus +, le Green Deal, la résorption des déséquilibres territoriaux, ou encore la nouvelle stratégie industrielle européenne, sont otages des petits jeux des gouvernements nationaux égoïstes. En cas d’absence d’accord d’ici la fin de l’année, toutes ces politiques seront suspendues. Pourrait-on imaginer pareil spectacle en France ou en Allemagne ?

Il faut dire que les institutions européennes doivent en quelque sorte résoudre la quadrature du cercle : le budget 2021-2027 doit financer plus de priorités (outre les politiques traditionnelles, comme l’agriculture ou la cohésion, il doit désormais mettre l’accent sur de nouvelles priorités de la Commission von der Leyen, comme la transition énergétique, la défense ou l’intelligence artificielle), tout en comptant un contributeur net en moins, le Royaume-Uni, officiellement sorti de l’UE le 31 janvier dernier.

Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas manqué d’y faire référence : « nous n’avons pas besoin du Royaume-Uni pour montrer notre manque d’unité ». Malgré le rabat britannique au budget, chèrement négocié par Margaret Thatcher dans les années 1980, Londres était le quatrième contributeur du budget européen, derrière l’Allemagne, la France et l’Italie, en avançant 16,4% du budget total.

Il va donc falloir chercher à combler le manque à gagner (75 milliards d’euros sur sept ans), et c’est là où les désaccords se révèlent particulièrement saillants.

Guerre de tranchées

En voyant le verre à moitié plein, on pourrait se satisfaire de la formation de coalition de pays dans les négociations budgétaires. Imaginons un seul instant 27 positions nationales inconciliables, une mission purement et simplement impossible.

Pourtant, ce serait sous-estimer la rigidité des alliances entre groupes de pays, soulignant le substrat économique et politique profond des différentes régions européennes.

D’un côté, les « quatre frugaux » composés de l’Autriche, du Danemark, des Pays-Bas et de la Suède, parfois nommés les « cinq frugaux » avec l’Allemagne. Le « club des radins » comme dit Jean Quatremer, dans un billet de blog au vitriol. Ces pays du Nord, hérauts de l’austérité budgétaire, ne veulent pas contribuer à un budget qui représenterait plus de 1% du PIB de l’Union européenne (Charles Michel a proposé un compromis à 1,07%, la Commission table sur 1,1% et le Parlement européen souhaite aller jusqu’à 1,3%).

Le Brexit est leur principale justification : il faut particulièrement se serrer la ceinture alors que l’un des principaux contributeurs des budgets précédents s’en va.

De l’autre côté, les « amis de la cohésion » composés de 17 pays, surtout en Europe centrale et méridionale, refusent que la politique de cohésion, premier poste budgétaire dans le budget 2014-2020, serve de variable d’ajustement. Depuis plusieurs années en effet, la cohésion est de plus en plus vue comme une politique de mise en concurrence des territoires pour gagner en compétitivité, au détriment d’une véritable stratégie de résorption des déséquilibres territoriaux, abyssaux dans l’Union.

Au centre, la France et l’Allemagne qui essayent de jouer les arbitres, mais qui doivent affronter leurs propres faiblesses intérieures et une relation franco-allemande moins forte que par le passé.

L’unanimité étant requise pour adopter les cadres financiers pluriannuels, chaque rapprochement de positions implique la mobilisation d’un capital politique considérable.

A bas les chantages

Pour autant, il ne faudrait en aucun cas brosser un portrait manichéen de la situation : si les pays du Nord continuent d’être obsédés par une austérité budgétaire qui s’est révélée particulièrement mortifère dans les pays du Sud, des pays comme la Pologne et la Hongrie doivent arrêter d’encaisser les fonds européens, tout en piétinant les valeurs de l’Union, notamment en termes d’État de droit ou d’indépendance de la justice.

Ces pays devraient voir l’accès aux milliards d’euros des fonds européens conditionnés au respect des valeurs édictées dans l’article 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Cette solution n’est certainement pas parfaite, comme beaucoup d’autres, mais elle a le mérite de ne pas utiliser des moyens de pression trop politiques, comme l’activation de l’article 7 TUE (qui nécessite de toute manière un vote à l’unanimité).

Néanmoins, il ne s’agit nullement d’une critique envers les citoyens polonais et hongrois, qui sont nombreux à désapprouver les positions de leur gouvernement. En tout état de cause, l’ensemble des citoyens européens doivent prendre conscience qu’ils ne peuvent plus être prisonniers des considérations politiciennes nationales.

Le fédéralisme budgétaire à la rescousse

Les 440 millions de citoyens européens (plus les 65 millions de britanniques s’ils veulent nous retrouver un jour) sont à la base d’une nouvelle manière de penser la gouvernance, libérée du carcan de l’État national. Le fédéralisme européen est par nature « démocratique », et comme le budget est une composante essentielle de la démocratie, l’ensemble des Européens doivent s’approprier le débat pour exiger un fédéralisme budgétaire digne de ce nom.

A quoi cela pourrait-il ressembler ? Actuellement, le budget de l’Union représente environ 1% du PIB de l’UE, absolument dérisoire au regard des dépenses de la France qui représentaient 54% du PIB en 2019. De plus, ce minuscule budget n’a pas le droit d’être financé par la dette et ne doit pas être en déficit, ce qui n’est bien sûr pas le cas des budgets nationaux. Enfin, le cadre financier s’étalant sur sept ans, s’il s’est avéré une solution innovante dans les années 1980, il n’est plus adapté aux enjeux du XXIème siècle, dans un monde de plus en plus instable, où la capacité d’adaptation est cardinale.

L’Union européenne doit se doter d’un vrai fédéralisme budgétaire, avec un budget qui représenterait environ 15% du PIB européen, pour financer de véritables politiques ambitieuses en termes de lutte contre le changement climatique, de transition énergétique, d’innovation technologique et numérique ou de résorption des inégalités européennes. L’argent est le nerf de la guerre, et l’Union doit s’imposer dans un monde de plus en plus hostile.

Pour ce faire, l’Union doit instaurer une péréquation budgétaire entre les régions, dont les modalités peuvent être discutées ultérieurement, mais qui serait flexible, en prenant compte de la situation conjoncturelle de chaque pays. Cette péréquation doit être accompagnée d’une démocratie européenne, avec un parlement européen compétent sur ces questions fiscales et budgétaires.

Ces propositions semblent clairement utopiques, et leur application relèverait de la gageure totale. Néanmoins, Jürgen Habermas aimait à rappeler que la démocratie libérale ne peut survivre sans justice sociale. Or les États nations ne peuvent plus être garants de cette justice sociale dans la mondialisation. L’Union doit donc évoluer vers un fédéralisme, budgétaire et politique, pour pérenniser son influence.

Les pinailleries des États nationaux, dont nous sommes les tristes spectateurs, sont aux antipodes de la direction que nous devons prendre tous ensemble.

Vos commentaires
  • Le 23 février 2020 à 15:35, par Bga80 En réponse à : Budget européen : stop aux pinailleries !

    Ouais enfin 15 % il ne faut pas exagérer ! Parce que lorsqu’on sait que déjà le gouvernement français taxent les français à hauteur de 57% du Pib français, alors rajouter 15% aux 57 % de prélèvements sur les français on parviendrait à 15 + 57% du Pib soit 72 % ! Halte à la tonte des travailleurs avec cette UE !

  • Le 23 février 2020 à 17:02, par Théo Boucart En réponse à : Budget européen : stop aux pinailleries !

    Bonjour, merci pour votre commentaire. Dans le cas présent il ne s’agirait en aucun cas d’une addition de prélèvements obligatoires, mais bien d’un transfert de compétences fiscales du niveau national, vers le niveau européen. La taxation énergétique, entre autres, pourrait permettre de grandes rentrées d’argent, avec une possible réforme du marché européen du carbone et l’instauration d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Concernant la fiscalité, l’unanimité est requise pour ce type de changements, et c’est bien ce qui mine l’UE actuellement.

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