Le Cliché européen

Carol Szathmari : Mémoire du premier photoreporter de guerre.

, par Chérine Zidour

Carol Szathmari : Mémoire du premier photoreporter de guerre.
Autoportrait de Carol Szathmari à Bucarest ( source : Wikicommons)

Le photojournalisme est à la croisée entre la technique et l’émotion. C’est un art qui transcende les frontières et ouvre une fenêtre sur le monde. Chaque cliché d’une ruine, d’un champ de bataille dévasté ou d’un soldat à terre sont les expressions d’une société où chacun peut laisser un témoignage du passé. Pour changer le monde ou simplement en hommage aux vestiges de l’humanité, le rôle du photojournaliste est d’une importance cruciale pour faire éclater la vérité. C’est une mission que Carol Szathmari (1812-1887) va entreprendre. Son nom ne vous évoque rien ? Pourtant, il est considéré comme le premier reporter de guerre au monde. Ses clichés sur la guerre de Crimée de 1853 vont marquer l’Histoire et celle du photojournalisme.

Né en janvier 1812 à Kolozsvár, en Transylvanie, (la Roumanie actuelle), d’ascendance noble, Carol Szathmari entreprend des études de droit au Collège réformé de Cluj. Mais ce jeune homme est un artiste dans l’âme, il arrête sa formation juridique pour se consacrer à sa véritable passion : la peinture et la lithographie. Après un court passage aux Beaux-arts de Vienne, il se rend à Rome pour y étudier la peinture de 1832 à 1834. Mais c’est au gré de ses voyages en Europe que ce jeune adepte de la vie de bohème va perfectionner son art et ses compétences linguistiques. Véritable polyglotte, il parle couramment le roumain, l’anglais, l’allemand et l’italien.

Emérite portraitiste et paysagiste, il est habile aussi bien à la peinture à l’huile qu’à l’aquarelle. De retour dans son pays natal, après avoir sillonné l’Europe à la recherche d’inspiration, il est commissionné de réaliser les portraits des Boyards de Valachie, des principautés de l’aristocratie roumaine. Parmi ses clients figurent Gheorghe Bibescu, un des princes régnant de Valachie, et son épouse, pour lesquels il va peindre de nombreux portraits. Très vite, son talent est reconnu et il devient artiste officiel de la cour royale.

Entouré d’hommes puissants et notamment d’officiers militaires de haut rang, il va nouer des relations avec la haute sphère qui vont lui permettre d’accéder aux camps militaires russes et turcs en territoire Valachie. Un détail important pour la suite de l’histoire.

C’est en 1848 qu’il expérimente pour la première fois la photographie. Un de ses clichés majeurs représente une statue de Cupidon aux bras cassés, recouverte de gesso, un apprêt à base de plâtre et de colle utilisé pour une uniformisation du matériau avant la dorure ou la peinture sur bois. Habile à la pratique photographique, il ouvre son studio photo en 1850 où il immortalise le portrait de nombreux généraux. Mais aussi de paysans et de commerçants qu’il utilise comme inspirations pour ses œuvres, croquis, peinture ou encore de lithographie.

Vers la fin du mois de juin 1853 éclate la guerre de Crimée qui oppose la Russie à la coalition de l’Empire Ottoman et ses alliés. Composée du Royaume-Uni, de l’empire de Napoléon III et du royaume de Sardaigne, elle redoute le déclin de l’Empire ottoman qui, s’il parvenait aux mains de la Russie, aurait provoqué un déséquilibre au sein de l’Europe.

En avril 1854, les principautés danubiennes étaient alors occupées par les forces russes. Szathmari, muni de sa carriole faisant office de chambre noire, arpente le champ de bataille. C’est à la frontière du Danube, fleuve qui traverse l’Europe d’Est en Ouest jusqu’à la mer Noire, qu’il documente le conflit russo-ottoman. Armé uniquement de son courage et de sa ténacité, il photographie les camps ennemis où s’étendent à perte de vue artilleries, infanteries russes et turques, où de fiers fantassins posent pour l’éternité. Il va permettre pour la première fois de poser une image sur un conflit armé.

Le procédé photographique qu’il adopte requiert des compétences de chimiste dans sa manipulation et une rigueur extrême. Il utilise la technique du collodion humide, adapté au reportage photographique, inventé en 1851 par le photographe britannique Frederick Scott Archer. Elle consiste à mélanger de la nitrocellulose (un matériau plastique à l’élaboration de support) à de l’alcool et de l’éther sur une plaque de verre que l’on plonge dans un bain de nitrate d’argent pour la sensibiliser à la lumière. Une fois sèche, on transfère la plaque dans un châssis étanche à la lumière, où la prise de vue et le développement pourra ensuite se faire. Bien que complexe le rendu photographique est d’une intensité et d’une finesse sans pareille. Ses clichés, d’une importance capitale pour l’histoire, vont être regroupés en un album saisissant et novateur. Il sera récompensé pour son travail et sa bravoure lors de l’Exposition universelle de Paris de 1855, où il recevra la médaille de seconde classe. Un titre honorifique et prestigieux qui lui vaudra un entrevue et les félicitations de l’empereur.

Un article de Lumière, une revue de la Société française de photographie fait écho de sa rencontre privée avec l’empereur Napoléon III, présidant l’Exposition. « M. de Szathmari, l’habile photographe de Bucarest, dont nous avons déjà annoncé l’arrivée, a eu l’honneur d’être reçu par l’Empereur mercredi soir. Sa Majesté a voulu voir toutes les photos reliées dans son magnifique album ; les portraits des généraux russes et turcs l’ont beaucoup intéressé. Témoin oculaire de tant d’événements liés à la guerre d’Orient et proche de la plupart de ceux qui se sont distingués dans ce grand combat, M. de Szathmari a pu donner des détails intéressants à Sa Majesté. En acceptant ses hommages, l’Empereur a félicité l’auteur de cet intéressant recueil. »

Reporter de guerre accompli, il reçoit le titre de peintre et photographe officiel de la cour roumaine, sous le règne du prince Alexandru Ioan Cuza. Ses œuvres seront exposées dans diverses collections et musées français et roumains. Il devient membre de la Société française de photographie en 1864 puis de celle de Vienne en 1870. Outre ses clichés de guerre, il documente la guerre d’Orient de 1877, en compagnie du prince également, photographie Bucarest, sa ville de cœur, et en retire de superbes panoramas.

Artiste, photographe, poète, explorateur, Carol Szathmari révolutionne, et même bouleverse le monde du photojournalisme.

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