Carton rouge à Arnaud Montebourg et à une partie de la gauche française

, par Alexandre Marin

Carton rouge à Arnaud Montebourg et à une partie de la gauche française
Arnaud Montebourg incarne la nationalisme primaire d’une partie de la gauche française. Il est d’ailleurs dans la même mouvance que Jean-Pierre Chevènement, souverainiste de gauche. - Photo Philippe Grangeaud : Solfé Communications - Parti socialiste (CC/Flickr)

Alerte rouge ! Tous les fédéralistes sont attendus d’urgence à leurs postes. Le verbe d’Arnaud Montebourg est de retour pour lancer ses inepties, et cette fois, la vengeance du « made in France » sera terrible. Petit tour d’horizon de l’euroscepticisme primaire d’une partie de la gauche française.

La dernière attaque de l’ancien ministre du « redressement productif », Arnaud Montebourg, a été repérée sur RMC. Une fois de plus, le propos est un chef d’œuvre dans la catégorie « grand n’importe quoi ». Le socialiste accusait en effet les partis politiques de favoriser la montée du FN en acceptant le consensus pro-bruxellois. Il poursuit par cette phrase : « nous avons besoin d’une union entre les Etats nations européens, cette union ne peut pas nous paralyser, elle nous enlève des outils de souveraineté pour agir ». Bref, pour lutter contre le FN, reprenons son discours ; c’est bien connu, les citoyens préfèrent toujours les copies à l’original.

Arnaud Montebourg n’en est pas à son coup d’essai. Déjà, au commencement de l’année 2007, celui qui était alors porte-parole de Ségolène Royal, en bon bonapartiste, proposait de lutter contre la concurrence fiscale « déloyale » de la Suisse, du Luxembourg, de Monaco et du Lichtenstein en organisant un blocus « comme le général de Gaulle sut le faire en décrétant en 1963 un blocus contre la principauté de Monaco qui dut plier l’échine devant les exigences fiscales que la République française avait mises sur la table ». Fin novembre 2011, il tient les propos suivants : « La question du nationalisme allemand est en train de resurgir à travers la politique à la Bismarck employée par Mme Merkel (…) Ça veut dire qu’elle construit la confrontation pour imposer sa domination (…) Mme Merkel a décidé d’imposer à la zone euro un ordre allemand (…) C’est l’importation des exigences, des diktats allemands sur ce qui restera de la zone euro après avoir expulsé les pays qui ne peuvent pas s’en sortir ».

Au cours de l’année 2013, on ne comptera plus les clichés véhiculés par le « Laurent Wauquiez de la gauche française ». Ses prises de position alimentent un nationalisme primaire et une vision passéiste des relations internationales privilégiant le rapport de force entre les nations et les chamailleries étatiques pour défendre les intérêts particuliers nationaux plutôt que de plaider pour une démocratie européenne capable de défendre les intérêts communs des citoyens européens. En avril, il estime qu’il fallait « ouvrir les hostilités avec l’Union européenne » ou plus poétiquement « toréer (en Montebourgeois dans le texte) l’Union européenne ». En juin, il accuse Barroso, alors président de la Commission d’être « le carburant du FN ». En août, le ton s’adoucit : « Bruxelles ? Des connards ! » Un mois après, on a droit à la métaphore suivante : « l’UE vit sur des idées déclassées, qui appartiennent aux temps d’avant. Sur les technologies, qui est une bataille féroce, l’UE, c’est la cavalerie américaine qui arrive quand tout le monde s’est fait scalper ». Enfin, en février 2014, c’est la direction générale de la concurrence de l’Union européenne qui en prend pour son grade : « Nous n’avons pas besoin de ces talibans du droit de la direction générale de la concurrence et cette direction devrait être démantelée d’urgence ».

Ce serait drôle s’il était le seul à proférer de telles contrevérités sur l’Europe. Hélas, c’est loin d’être le cas, et dans le concours aux plus eurosceptiques, la compétition est rude. Mélenchon, déjà décoré de plusieurs cartons rouges par plusieurs pamphlets parus dans le Taurillon, en est devenu un spécialiste. En 2005, dans une phrase restée célèbre, il envoyait les Lituaniens « se faire foutre », enchaînant, tout en délicatesse, par ces mots : « t’en connais, toi, des Lituaniens ? J’en ai jamais vu un, moi ». À la célébration du premier anniversaire du « non » au traité constitutionnel européen, il reprend la fameuse caricature de Philippe de Villiers pour commenter avec une finesse toute particulière le résultat des élections présidentielles polonaises d’octobre 2005 : « le plombier polonais a élu une majorité gouvernementale nationale-catholique anti-européenne depuis ralliée par l’extrême-droite, et il est devenu moins romanesque d’invoquer sa radieuse appétence pour l’Europe ».

Le 11 novembre 2013, il reprend la même image dans un discours prononcé sur la guerre et la paix, à l’occasion de l’armistice, alors qu’il évoque la « guerre économique » dont le capitalisme serait responsable, et qui aurait remplacé la guerre militaire : « Celui qui vous prend votre pain, le plombier polonais, l’ouvrier de l’arsenal qu’on fait venir de tel ou tel pays, les travailleurs délégués qui viennent aujourd’hui, comme vous le savez, mettant à profit la directive service, dite « Bolkestein », si vous vous en souvenez, qui est en application ».

Aujourd’hui, le nationalisme de Mélenchon est visible jusque dans son slogan « La France insoumise » (aux banques, à la finance internationale, à Bruxelles ?). Il va même jusqu’à proposer de sortir des traités européens (donc de l’Union européenne).

Quant aux analyses subtiles et méticuleuses de Mélenchon sur l’Allemagne, elles n’ont rien à envier à celles de Montebourg et se passent de tout commentaire.

Comment ces hommes politiques peuvent-ils légitimement s’opposer aux idées du FN quand eux-mêmes adoptent des positions quasi-identiques sur l’Europe ? Comment reprocher à l’extrême droite de stigmatiser les ressortissants des pays africains quand on pointe du doigt ceux qui viennent d’Europe centrale ?

Le problème, c’est que la partie pro-européenne de la gauche est paniquée à l’idée de diviser le parti par la remise en cause des stéréotypes dont l’autre partie a pourtant usé et abusé. Plutôt que de les combattre, elle préfère s’en remettre à la fatalité, rejeter la faute sur Bruxelles, ou tout simplement se taire.

Cette fracture a commencé lors du référendum de 2005. Il s’est poursuivi lors de la directive sur la libre circulation des services, plus connu sous le nom de « Bolkenstein ». Si le projet de directive était effectivement « néolibéral » au départ, il a été amendé par les socialistes européens. Les eurodéputés socialistes français s’y sont néanmoins opposés parce que ce texte ne consacrait pas un modèle social européen à la française, et que donc il ne faisait pas de l’Europe une France en grand. En 2012, c’est le mécanisme européen de stabilité qui se heurte à l’opposition de la gauche du PS et d’une partie des Verts, alors qu’il consacre la solidarité financière au sein de la zone euro et vise à contrebalancer un pacte budgétaire européen, le TSCG, nécessaire pour maintenir la monnaie unique en l’absence de Trésor européen et d’obligations européennes. Ces deux propositions fédéralistes n’ont guère reçu de soutien au sein de la gauche radicale française qui se contente de critiquer, et de prophétiser la venue d’un plan B pour l’Europe qui se fait encore attendre.

Même la gauche « sociale-libérale » a adopté un discours eurosceptique en suggérant sans aucun fondement que la Commission européenne privilégiait la stabilité budgétaire à la sécurité, en rétablissant le contrôle aux frontières, et en plaidant pour la fermeture des frontières face aux réfugiés. Le plus triste, c’est que le mouvement « Nuit debout », les rares fois où il s’exprime sur l’Europe, reprend les lieux communs, se contente de dénoncer le manque de démocratie sans dénoncer le système intergouvernemental, et envisage la possibilité de sortir de l’Union européenne. La plupart des commentaires sur le sujet vont dans ce sens, à quelques exceptions près.

Les partis ou mouvements politiques de gauche ne seront crédibles que s’ils arrêtent de parler d’Europe uniquement au moyen de préjugés et s’ils adoptent un discours résolument en faveur d’une intégration plus poussée contrastant avec les discours populistes et la mode eurosceptique actuelle.

La députée européenne libérale Sophie in’t Veld explique ainsi la victoire de son parti aux dernières élections européennes et sa critique de la politique sécuritaire que mène le gouvernement français depuis l’année dernière : « Si vous faîtes une copie faible de l’original, vous avez tort. L’original sera toujours plus convaincant. Chercher comme les socialistes à donner la même réponse que Mme Le Pen, ce n’est pas convaincant. Les gens ne sont pas bêtes. Au contraire dans cette période difficile, il faut donner du courage aux citoyens, il faut être honnête avec eux (…) Il faut avoir le courage d’aller à contresens. »

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