Carton rouge à Martin Schulz pour sa singulière conception de l’opposition parlementaire

, par Inglorious Bulls, Waël Salem

Carton rouge à Martin Schulz pour sa singulière conception de l'opposition parlementaire

Les lecteurs, même peu familiers du sport, comprendront aisément la nature et le sens d’un carton rouge. Toutefois, nous ne sommes pas sur le terrain, et cet article n’a pas le pouvoir d’exclure ce joueur fautif qu’est Martin Schulz... À notre plus grand regret, d’ailleurs !

Que reproche-t-on au juste à M. Schulz ? Souvenons-nous qu’il y a quelques jours, M. Barroso a été triomphalement reconduit à la tête de la Commission européenne, en récoltant 382 suffrages sur un total de 718. Félicitations à lui, mais ce n’est pas tant l’issue du scrutin, courue d’avance, que le comportement de l’opposition parlementaire, menée par M. Schulz, qui nous intéresse présentement.

Un chef de l’opposition amorphe face à la réélection annoncée de M. Barroso

En effet, M. Schulz a opté pour une posture, disons... « originale » en appelant les députés de son groupe parlementaire à s’abstenir lors du vote, alors que ceux-ci étaient supposés incarner l’opposition, la contradiction nécessaire à la vie politique de toute démocratie. M. Schulz a ainsi opté pour une résistance des plus molles en appelant ses collègues à l’abstention, alors que son rôle au sein du système politique européen était de proposer et de défendre une alternative viable à la ligne soutenue par la majorité en la personne de M. Barroso. C’est du moins le comportement que nous étions en droit d’attendre d’un chef de l’opposition digne de ce nom.

D’ailleurs, c’était là le moment rêvé pour remettre en question la politique défendue par M. Barroso, qui s’est distinguée par une indécision certaine et une efficacité limitée en ces temps de crise, le moment rêvé de proposer une Europe plus sociale et moins libérale, réclamée par ceux qui s’estimaient représentés par l’opposition de M. Schulz. Las, en adoptant une posture parfaitement neutre, M. Schulz a trahi la confiance de ceux qui espéraient faire entendre leur voix au Parlement européen. Pire même, M. Schulz a privé l’Union européenne d’un des piliers institutionnels vitaux à tout régime qui se dit et se veut démocratique : l’opposition parlementaire.

M. Schulz a fauté. Gravement même. Après cela, comment s’étonner qu’aux yeux de nombreux de nos concitoyens l’Europe paraisse si peu démocratique ? Comment blâmer ceux, trop nombreux, qui n’accordent aucun crédit aux élections européennes et préfèrent s’abstenir ?

Une mollesse motivée par l’ambition

Car lors de cette manoeuvre politique peu glorieuse, M. Schulz n’était pas totalement désintéressé, loin de là... En effet, en n’opposant qu’une résistance flasque à la réélection de M. Barroso, indigne d’une véritable opposition, celui-ci espérait bien décrocher la présidence du Parlement européen au cours de la seconde moitié de la mandature, et il risque bien d’y arriver le bougre !

Ainsi donc, M Schulz aurait choisi de mettre l’opposition en sourdine afin de satisfaire son ambition ? Les faits sont là, troublants, et ils vont clairement dans ce sens... Que penser alors d’un politicien capable de passer outre ses devoirs, mettant par là même en péril l’équilibre des forces au sein du Parlement européen qui, rappelons-le, occupe une place croissante au sein de la législation nationale des États membres de l’Union ? Pas grand bien, hélas...

Une stratégie politique... hasardeuse

Outre un « petit » coup de pouce à sa propre carrière, M. Schulz projetait de placer quelques commissaires issus de son groupe parlementaire (nous ne pouvons guère parler d’opposition, du moins pour l’instant) à des postes clefs au sein de la Commission, largement dominée par les droites européennes. Le calcul politique aurait pu se révéler judicieux, très payant même, toutefois il convient d’apporter un bémol à cette stratégie. Car si M. Schulz et le PSE ne font à ce jour plus partie de l’opposition, cela ne signifie pas qu’ils ont intégré la majorité, loin de là ! Cette dernière a sans doute déjà fort à faire avec les ambitions personnelles de ses membres aspirant à intégrer la Commission, et on peut douter que ceux-ci acceptent l’éventualité même de céder « leur » place, celle qu’ils convoitaient jusqu’alors, à un « camarade » de l’autre bord. A fortiori lorsqu’il s’agit de postes importants.

Si nous nous permettons une digression franco-française, il suffit d’observer à quel point les membres de la majorité présidentielle ont apprécié la politique d’« ouverture » de M. Sarkozy pour se représenter les réactions que M. Schulz risque d’affronter sous peu. Surtout que, sur ce plan-ci, les choses sont bien moins aisées au niveau européen puisqu’on ne peut pas vraiment affirmer que la majorité européenne soit « tenue » par un chef, à la manière de M. Sarkozy en France. De longues nuits de tractations et autres négociations pour M. Schulz en perspective, et un espoir de réussite mince, très mince... Nous lui souhaitons bien du plaisir, mais il n’a que ce qu’il mérite. Que cela lui serve de leçon à l’avenir !

Ah, mais non : dans moins de deux ans et demi ce ne sera plus le problème de M. Schulz, puisqu’il quittera la tête du PSE au profit de celle du Parlement européen... Il n’aura ainsi guère l’occasion de tirer les leçons ni d’assumer la responsabilité de ses actes actuels sur le long terme. Quelle chance !

Même si Martin Schulz semble avoir des dons incontestables pour la politique politicienne, l’Union a besoin d’Hommes d’État, et pas seulement de politiciens.

Illustration : photographie de Martin Schulz. Source : Wikimedia.

Vos commentaires
  • Le 25 septembre 2009 à 07:39, par Valéry En réponse à : Carton rouge à Martin Schulz pour sa singulière conception de l’opposition parlementaire

    Bravo pour ce carton rouge amplement mérité. Notons que la plupart des députés européens français de l’opposition se sont clairement prononcés contre la reconduction de M. Barroso à la tête de l’Union européenne. Socialistes, Écologistes et Démocrates ont été rassemblés par ce refus indispensable.

    M. Schultz aurait dû mener son groupe dans ce combat pour deux raisons : non seulement M. Barroso est le candidat de la droite, ce qui implique que les socialistes avaient le devoir de marquer leur opposition, mais de plus il a un bilan désastreux en tant que président de la Commission européenne.

    Il a été réélu avec le soutien actif des nationalistes au Parlement européen car ces derniers se rendent bien compte qu’en adoptant une posture servile envers le Conseil européen et en renonçant à faire jouer à la Commission le rôle qui est le sien, c’est bien l’Europe des nationalismes qu’il sert et non pas l’Europe unie et démocratique à laquelle la plupart de nos concitoyens aspirent. En cela il nourrit le rejet de l’Europe.

    Il eut été difficile d’empêcher cette élection, la droite a en effet gagné ces élections et en cela la reconduction du « Caméléon » est la conséquence démocratique des élections.

    Toutefois en renonçant à mener ce combat d’opposition et en contribuant à cette réélection, M. Schultz a manqué à tous ses devoirs. Espérons que le PSE ne récompensera pas ce comportement en le soutenant pour la présidence de l’Assemblée européenne dans deux ans et demi.

  • Le 25 septembre 2009 à 17:49, par Benoît C. En réponse à : Carton rouge à Martin Schulz pour sa singulière conception de l’opposition parlementaire

    Je suis amplement d’accord avec VXL sur ce carton rouge. Bravo aux Inglorious Bulls (votre nom met un peu de piquant mais je serai ravi de faire tomber le masque).

  • Le 5 février 2013 à 06:13, par Valéry En réponse à : Carton rouge à Martin Schulz pour sa singulière conception de l’opposition parlementaire

    Tout vas bien... Côté PSE, les jeux semblent faits : la tête de liste sera l’actuel président du Parlement, l’Allemand Martin Schulz. nous dit JQ : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2013/02/monti-pr%C3%A9sident-.html

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom