Histoire d’un « dénigrement de doctrines religieuses »
Lors d’un colloque public intitulé “Basic information about Islam” tenu à Vienne en janvier 2008, une conférencière avait affirmé que Mahomet « aimait le faire avec des enfants » et rapportait un débat privé avec sa sœur dans lequel elle posait la question : « un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (...) De quoi s’agit-il, si ce n’est de pédophilie ? » Cette référence au mariage du prophète de l’Islam avec Aïcha, jeune fille de six ans, mariage consommé selon la tradition historique musulmane alors qu’elle avait neuf ou dix ans, lui valut un passage devant le juge pénal autrichien pour violation de l’article 188 du Code pénal qui dispose que le dénigrement public de doctrines religieuses est puni d’une peine d’emprisonnement de six mois ou bien d’une amende de 4€ à 5000€. Jugée coupable de ce délit de blasphème, elle s’en sortira avec une amende de 480€, ce qui sera confirmé après épuisement de l’ensemble des voies de recours.
Un recours devant le juge européen des droits de l’Homme
Cette femme a alors décidé de contester sa condamnation pour blasphème devant la CEDH, pour violation de sa liberté d’expression, laquelle est garantie par l’article 10 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Sa demande sera de façon étonnante rejetée à l’unanimité par les juges européens des Droits de l’Homme. En effet, ceux-ci après avoir rappelé que la liberté religieuse ne doit pas faire obstacle à ce que la religion soit critiquée, affirment que cette faculté de critique doit pouvoir faire l’objet de limitations par la loi, afin notamment de garantir la paix sociale et religieuse dans le cadre d’une société démocratique. Cette appréciation des nécessités de protection de la paix sociale doit dès lors s’effectuer selon le contexte national. L’Autriche a alors pu condamner cette femme, tout en respectant les valeurs humanistes des Droits de l’Homme, parce que la critique des pratiques sexuelles du prophète Mahomet s’apparente, selon les constatations du juge pénal autrichien, à une attaque à l’égard de l’Islam, notamment parce que la conférencière n’avait pas donné de précisions sur le contexte historique de ces pratiques aujourd’hui bannies.
Cette amende de 480€ est appréciée comme étant de plus proportionnée, après avoir été mise en balance avec sa liberté d’expression…
Une décision à contre rebours des valeurs de la société européenne
Le jour suivant cet arrêt autorisant les lois nationales à pénaliser le blasphème, les citoyens irlandais ont approuvé massivement par référendum la suppression du délit de blasphème prévu par la loi fondamentale du pays connu pour sa foi catholique importante.
A l’inverse, dans d’autres Etats membres, le blasphème demeure aujourd’hui pénalisé comme en Allemagne notamment. En France, le délit de blasphème du droit local d’Alsace et de Moselle a été aboli par la Loi Egalité et Citoyenneté de 2016 à l’initiative du Sénat.
Dans une Europe où la loi se sécularise de façon continue [1], ce résidu de condamnation du blasphème pose question. En effet, si la loi française disposait d’un article identique à celui autrichien, la question que l’on peut se poser légitimement serait : combien de fois le journal satirique Charlie Hebdo aurait-il été condamné ? Une chose est sûre, ces condamnations auraient reçu l’assentiment des juges des Droits de l’Homme en application de cet arrêt, et ce n’aurait pas été les armes mais la loi qui aurait tenté de faire taire ce journal devenu symbole de la liberté d’expression.
Aujourd’hui l’espoir réside dans la Grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui peut être saisie par une partie pour rendre un arrêt définitif. Il semble indispensable qu’elle protège la liberté d’expression des revendication bigotes comme l’a déjà fait la Cour Suprême des Etats-Unis dans son arrêt Joseph Burstyn, Inc. v. Wilson dès 1952.
Que penserait Voltaire de cette décision prise sur le fondement des droits de l’Homme dont il est l’un des pères ? Le défenseur acharné du chevalier de La Barre, dernier français condamné à mort pour blasphème en France en 1766 [2], qui a fait de la lutte contre l’influence de l’obscurantisme religieux dans la justice une de ses causes principales, se serait probablement retourné dans sa tombe…
Si cette décision venait à être confirmée, cela marquerait un recul significatif dans l’étendue de la liberté d’expression, et pourrait être problématique, notamment en ce qui concerne la liberté de recherche des universitaires en sciences religieuses, dans les pays où le délit de blasphème subsiste. Les citoyens de ces pays devraient se mobiliser massivement non seulement pour l’abrogation de ces dispositions comme en Irlande, mais également pour affirmer que « le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières » comme le résume si bien André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique.
Que penserait également la Cour européenne des Droits de l’Homme de la condamnation à la crucifiction du Christ pour blasphème au judaïsme ? Cherchera-t-elle encore une proportionnalité entre la sanction et la nécessité d’assurer “la paix sociale et religieuse” ?
1. Le 3 novembre 2018 à 17:57, par Pinailleur raisonnable En réponse à : CEDH, Tu ne dénigreras point les prophètes religieux !
Que penserait Voltaire de cette décision ? Ne nous donne-t-il point un indice en son Traité sur la tolérance ?
« Je ne compare point sans doute les premiers sacramentaires aux premiers chrétiens : je ne mets point l’erreur à côté de la vérité ; mais Farel, prédécesseur de Jean Calvin, fit dans Arles la même chose que saint Polyeucte avait faite en Arménie. On portait dans les rues la statue de saint Antoine l’ermite en procession ; Farel tombe avec quelques-uns des siens sur les moines qui portaient saint Antoine, les bat, les disperse, et jette saint Antoine dans la rivière. Il méritait la mort, qu’il ne reçut pas, parce qu’il eut le temps de s’enfuir [Il faut regarder cet ouvrage comme une espèce de plaidoyer où M. de Voltaire se croyait obligé de se conformer quelquefois à l’opinion vulgaire. On ne mérite point la mort pour avoir jeté un morceau de bois dans le Rhône. On ne punit point de mort un homme qui, par emportement, donne quelques coups de bâton dont il ne résulte aucune blessure mortelle, et, aux yeux de la loi, un moine n’est qu’un homme : Farel méritait d’être renfermé pendant quelques mois, et condamné à payer aux moines, outre des dommages et intérêts, de quoi refaire un autre saint Antoine. (K.)]. S’il s’était contenté de crier à ces moines qu’il ne croyait pas qu’un corbeau eût apporté la moitié d’un pain à saint Antoine l’ermite, ni que saint Antoine eût eu des conversations avec des centaures et des satyres, il aurait mérité une forte réprimande, parce qu’il troublait l’ordre ; mais si le soir, après la procession, il avait examiné paisiblement l’histoire du corbeau, des centaures, et des satyres, on n’aurait rien eu à lui reprocher. » cf. https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_sur_la_tol%C3%A9rance/%C3%89dition_Garnier_1879/09
Contrairement à l’auteur de l’article - qui en vient tout de même à comparer ridiculement une condamnation à payer une amende de 480 € avec une condamnation à mort par crucifixion - Voltaire n’était guère opposé à ce que l’on punisse d’une forte réprimande quelque blasphème qui troublât l’ordre public et il n’est donc point dit que Voltaire eut désapprouvé la décision toute mesurée de la Cour.
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